Pour seul cortège de Laurent Gaudé
05/11/2012
Pour seul cortège de Laurent Gaudé, ed. Actes Sud, Août 2012, 186p.
Êtes-vous prêts à voyager ? Telle est la question que je poserais à qui souhaite entamer ce roman de Laurent Gaudé. Bien sûr, dans le genre question éculée lorsqu'il s'agit de littérature, ça se pose là : après tout, quel livre ne fait pas voyager me direz-vous. Mais celui-là plus qu'un autre, me semble-t-il, et à tellement de niveaux que c'en est vraiment saisissant.
Voyageons dans le temps et l'espace tout d'abord, puisque c'est ce qui apparait de prime abord. Embarquons aux côtés de trois personnages qui, tous, marchent vers leur antique destin. Nous sommes à Babylone avec Alexandre, ce grand stratège qu'aucune bataille n'a terrassé mais qui s'écroule lors d'un banquet sous le regard alarmé de ses sujets. Nous sommes avec lui et nous épongeons son front douloureux tandis qu'il agonise, ne sachant pas mourir. Nous sommes également avec Dryptéis, sa belle-soeur qui revient d'un temple lointain où elle s'était retirée pour escorter Alexandre dans ses derniers instants. Enfin, nous sommes avec Ericléops, le fidèle. Il est allé au-delà de l'hindus porter un message à ce roi barbare qui faisait peur à tous et le rapporte à Alexandre, le priant de l'attendre de sa voix murmurée.
Voyageons entre la vie et la mort, car comme dans beaucoup de roman de Gaudé, il est question de ce fameux passage, de ce mystère insondable dont l'auteur se plait à lever le voile avec une délicatesse sans pathos. Car tel est sans doute le but de toute fiction : Par le subterfuge de l'imagination, délivrer des secrets. Dans bien des esprits, vie et mort sont opposées. L'une exclue nécessairement l'autre. Ici, au contraire, vie et mort se mêlent, se répondent, et la frontière entre les deux est si floue qu'un être peut être à la fois vivant et mort, qu'une voix d'ailleurs peut parvenir au vivant et l'un et l'autre peuvent se guider. C'est ainsi qu'Ericléops sera de la dernière chevauchée d'Alexandre malgré son trépas et que Dryptéis pourra converser avec ce beau-frère illustre pour l'accompagner dans l'éternité.
Enfin, voyageons dans le Verbe tragique, car telle est l'incroyable performance d'écrivain de Gaudé : parvenir à glisser dans le roman les mécanismes et surtout, l'esprit éblouissant de la tragédie antique. Il est, on le sait, écrivain de théâtre. Ici, il joue encore plus fort : il mêle le théâtre à la prose romanesque en alternant successivement les trois voix et en les faisant se répondre au-delà de toute matérialité. C'est la fatalité qui reprend son droit dans ces cheminements résolus et dignes vers un destin auquel il n'est pas possible d'échapper. Advient ce qui doit être et pour seul cortège, s'offre à nous les êtres nus, dépouillés, face à une existence qui les dépasse.
A tous niveaux, ce roman est une lecture éblouissante, caressante, façonnée de la violence pure de la vie.
Que peux-je donc faire d'autre, après une telle lecture, que de remercier le sourire aux lèvres l'auteur pour un si beau voyage littéraire ?
Challenge de la rentrée littéraire 2012
3eme lecture
Livre envoyé et lu dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire 2012 de PriceMinister !
Merci beaucoup !
3 commentaires
Hi ! Nous aurions pu faire une lecture commune, j'en pense la même chose que toi !!! Je suis encore sous le charme et même plus car dans la foulée j'ai lu "Le soleil des Scorta" ! Quel auteur !
Moi c'est la période historique qui me fait fuir.
@Aspho : Pas encore lu "Le soleil des Scorta" pour ma part ! J'envisage de lire le Goncourt par contre, si ça te dit en LC :)
@Manu : Oui, j'ai cru comprendre que l'Antiquité, c'était pas trop ton truc. Traumastisée par les cours d'Histoire? hihi :D
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