Le plaisir du hasard, Du bout des doigts
06/12/2012
Il faut être claire : L'autre jour, j'ai fait ma ronchon ! Mais à ma décharge, cela n'a rien de réjouissant d'enchaîner les mauvaises découvertes, les lectures fadasses et ennuyeuses à tour de bras. Alors oui, j'ai fait mon vieux pou pas content (aha).
Et puis, une fois cela fait, je suis allée flâner dans une de ces vieilles brocantes bordéliques et poussiéreuses comme on en trouve dans les coins paumés - vous voyez le genre? J'y suis restée un sacré bout de temps à éplucher tous les livres présents et suis tombée (c'était prévisible) sur deux-trois surprises bien attirantes avec lesquelles je suis repartie sans me poser de question : il était plus que temps de renouer avec les plaisirs du hasard ! Et oui, vive le hasard ! Parce que je n'avais jamais entendu parlé du livre que voilà et que, finalement, c'est une sacrée jolie surprise (bien plus que tous les bouquins qu'on m'a récemment conseillé et qui me sont tombés des mains. Comme quoi hein.)
Du bout des doigts de Sarah Waters, ed. Denoël, 2003, 750p. (Il est aussi édité en poche chez 10/18)
Le noeud de ce chouette pavé est un complot un poil sordide : Où un jeune fripon de fort belle allure et de fort belle goujaterie convainc une petite voleuse naïve de ravir une demoiselle esseulée, de la marier et de lui piquer son héritage.
La petite voleuse naïve, c'est Sue Trinder. Elevée par Mrs Suckby dans le Londres mal fâmé, elle est orpheline - fille d'une meurtrière. Dans ce quartier, on est en plein Dickens : les pièces sont basses et sombres, le feu crépite pour réchauffer les petits doigts qui briquent les pièces volées et les lits sont froids et rèches. Pour une raison qu'elle ignore, qu'elle met sur le compte de l'amour, Sue n'a jamais été donnée ou vendue contrairement à tous les bébés qui passent entre les mains de Mrs Suckby. C'est cet amour filial qui illumine tout ce foyer crasseux.
La demoiselle esseulée, c'est Maud Lilly. Frêle et blanche, elle apparait immédiatement au lecteur comme un petit moineau simple dévoué à la fantasque bibliophilie de son oncle. D'autant qu'elle n'a jamais connu le monde et vit dans un manoir grinçant, loin de la ville : on croirait se trouver dans la maison de Rochester lorsque Jane Eyre y pénètre pour la première fois.
C'est ainsi que s'offre le début de l'intrigue à travers la voix de Sue. Progressivement, les évènements et les sentiments vont tricoter des ressors plus complexes jusqu'à étonner totalement le lecteur avant la prise de parole de Maud, dans la seconde partie. Le récit va ainsi se retourner et à nouvel angle, nouveaux rebondissements. Il n'y a dès lors plus qu'à tourner les pages avec plaisir et avidité pour suivre cette aventure victorienne.
Le livre m'a semblé être de plus un très habile syncrétisme - d'époque tout d'abord : On retrouve à la fois l'ambiance scabreuse, corsetée et élégante du XIXeme siècle anglais et l'audace piquante de notre langue contemporaine ; on retrouve également les fils de la littérature d'aventure, policière, érotique et amoureuse. A travers ce mélange des genres, se débattent deux jeunes filles dont les destins semblent être menés à distance par de machiavéliques marionnetistes : vision on ne peut plus ancrée dans le temps victorien de femmes qui devaient se battre pour acquérir un semblant de liberté. A cet égard, les épisodes en asile sont bouleversants et cette fameuse réflexion du psychiatre incriminant "l'éducation grandissante des femmes" qui mèneraient à la folie est édifiante...
Seul petit bémol (s'il faut souligner les faits avec objectivité) : certains passages sont peut-être un peu délayés - une centaine de pages en moins n'auraient pas été un mal à mon sens. Mais honnêtement, je vais pas cracher dans la soupe d'un ouvrage avec lequel j'ai pris un si agréable plaisir de lecture ! Pour celles et ceux qui cherchent un joli cadeau de Noël à faire à un amateur de l'ère victorienne, ce livre pourrait bien être pour vous.
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5 commentaires
Ca donne envie! Merci pour ces conseils de lecture avisés!
Oh bah ça pourrait êtr eun cadeau que je me ferais... à MOUAH!! :-) Car ton billet me donen furieusement envie!
Ca avait été un gros coup de coeur. J'avais aussi adoré Caresser le velours.
Du bout des doigts...excellent !
@Crastepouille et Hélène Choco : J'espère qu'il vous fera craquer autant que moi si vous avez l'occasion de plonger dedans !
@Manu et Un autre endroit : Aaaah, je ne suis pas la seule à avoir aimé alors ! Vu le plaisir que j'y ai pris, je tenterai sûrement "Caresser le velours" dans quelques temps. "Affinités" m'attend également dans ma PAL depuis que Missycornish me l'a offert pour le swap victorien :)
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