Le jeu des perles de verre de Hermann Hesse
02/01/2014
Il y a de ces livres qu'on note consciencieusement dans un carnet en ne sachant pas vraiment quand on aura le temps ou l'envie de s'y attaquer tant ils sont à la littérature ce que l'Everest est à l'alpinisme. Mais on les note quand même, parce qu'on a la foi : c'est clair, un jour, on aura le courage de les gravir.
Il se trouve que début décembre, j'ai senti l'élan d'attaquer l'un de ces livres, précédemment tenté il y a plusieurs années et laissé en plan au bout de 200 pages, littéralement terrassée par l'ennui. Oui, j'avoue : la première fois, Le jeu des perles de verre de Hermann Hesse, monumental chef d’œuvre qui valu en grande partie à son auteur le prix Nobel de littérature en 46, m'a ennuyée.
Le jeu des perles de verre de Hermann Hesse, ed. Le livre de poche, 1943, 692p.
Le roman que voici est sous-titré Essai de biographie du Magister Ludi Joseph Valet accompagné de ses écrits posthumes, ce qui résume sans lacune l'ensemble de l'ouvrage. Il est cependant nécessaire d'apporter quelques précisions quant à l'univers dans lequel il plonge le lecteur.
La Terre a jadis connu l'ère des guerres et des pages de variétés. Période abyssale où la connaissance était soumise au politique, la vérité au pouvoir et où la culture s'abaissait à n'être qu'un vaste champ de divertissement. Période suprême de déchéance, tant physique qu'intellectuelle. A son terme, une poignée d'éclairés créa, en marge du siècle, la province de Castalie pour sauvegarder à l'avenir les lumières de l'esprit. Sorte d'Eden spirituel, Castalie vit recluse, recrute les génies dès le plus jeune âge, les forme, leur offre le luxe des études et de la recherche puis les intègre dans son Ordre au meilleur de leurs compétences. On y pratique la linguistique, les mathématiques, la musique - toute matière qui cristallise la pureté, la précision, la virtuosité humaine. Et bien sûr, celle qui les réunit toute et qui caractérise Castalie : le jeu des perles de verre. Malgré une longue introduction à son propos, le lecteur ne saura jamais vraiment de quoi il s'agit : exercice méditatif, symphonie des sons, des nombres et des pensées, le jeu des perles de perles est la métaphore littéraire de cette utopie intellectuelle d'anticipation imaginée par Hesse : un remède à l'absurdité humaine à détruire et à s'avilir dans la stupidité.
Joseph Valet est le produit parfait de cet Ordre. Sélectionné très jeune par le Maître de la musique, il rejoint Castalie pour ne plus jamais la quitter - ou presque. Il effectue une scolarité sans ombrage, fascine ses camarades, gravit les échelons avec une rapidité étonnante. Sa personnalité est un mélange parfait de génie, de charisme et d'humilité raisonnée. Si Joseph Valet ne laisse aucun doute sur sa confiance et ses capacités, il ne connaît par ailleurs ni la fatuité ni l'égocentrisme. Et ce qui le rend d'autant plus parfait sous la plume de Hesse, c'est qu'il questionne, doute et remet en cause. A plusieurs reprises durant sa scolarité, Joseph Valet interroge la pertinence et la pérennité de Castalie, dont les résidents vivent totalement coupés du siècle, mais qui pourtant existe grâce à lui. Malgré leur génie, que connaissent vraiment les Castaliens du monde dès lors qu'ils vivent en vase clos ? Comment peut-on continuer à progresser lorsqu'on ne crée rien ? A quoi bon une suprématie de l'intelligence et de la connaissance lorsqu'elle ne sert à rien, n'est destinée à rien ?
Au fil des années de formation, ses questions prennent de plus en plus d'ampleur. La clé de son évolution réside dans sa confrontation à l'Histoire. Jugée médiocre puisque liée à l'Homme et donc à sa bassesse, la matière historique se révèle riche d'enseignement pour Valet. Si Castalie existe grâce au siècle, il apparaît de plus en plus que l'absence d'échange entre eux conduit ce dernier à tolérer la province, bien plus qu'il n'en nourrit une fierté. Progressivement, viendra un temps où la tolérance s'amenuisera également et où Castalie sera menacée. Pour Valet, une nécessité se fait jour : raviver le contact avec le siècle, apprendre, faire profiter le siècle du génie castalien. L'élite n'a de sens que si elle éduque et élève, lorsqu'elle nourrit. Une élite stérile est vouée à l'extinction puisqu'elle n'est qu'un luxe, une prétention. Malgré les règles strictes de sa province, Joseph Valet choisit donc l'individualisme et part vivre selon ses convictions. Mais la fin étrange, que l'introduction nous annonce, laisse planer le doute quant au message de Hesse. Jusqu'à la fin, Valet reste une exception et une énigme.
Il serait par trop ambitieux et prétentieux d'envisager vous critiquer Le jeu des perles de verre. Son statut de chef d’œuvre n'est pas à questionner et les références à la pensée chinoise, à la philosophie nietzschéenne ou à la musique classique sont bien trop nombreuses pour espérer vous en donner un panorama, ne serait-ce que bref. Je vais donc me borner à vous en donner mon ressenti de lectrice.
Je vous disais précédemment que ma première tentative de lecture s'était soldée par un abandon ennuyeux. Et bien que j'en nourris une petite honte, j'avoue que je ne ressors pas complètement enthousiasmée de cette seconde tentative - bien que cette fois victorieuse. Si j'ai été intellectuellement réjouie un certain temps par l'ébullition neuronale qu'ont suscitée les premières pages du roman, j'ai progressivement patiné dans toute cette raideur, ce dogmatisme froid. Le meilleur des exemples : la poésie et plus largement, la création artistique, est prohibée de Castalie comme un divertissement inutile. Voilà qui pose le ton. Même si j'ai adoré les réflexions auxquelles nous invite Hesse, mon désaccord quant à l'utopie qu'il propose a commencé à faire durer la lecture et à me faire trouver le temps long... L'intellectualisme le plus désincarné, c'est bien mais c'est aussi très chiant, à force. Oui, j'avoue, voilà dans quel état d'esprit je me suis trouvée au bout de 300-400 pages. A tel point que je ne pense pas avoir goûté à sa juste valeur l'évolution finale - où Hesse démontre que chaque système doit être remis en question et dépassé. Mon cerveau ne cessait de trouver tout cela pertinent et génial, et mon plaisir de lectrice à avoir hâte de passer à quelque chose de plus réjouissant. Une lecture en demi-teinte donc. Il faut dire que la période de Noël n'était peut-être pas la plus propice à une lecture aussi ambitieuse. Quoiqu'il en soit, je peux maintenant dire que je l'ai lu, je peux en discuter succinctement les concepts et les idées, mais je n'ai malheureusement pas vibré et j'en garderai un souvenir plutôt laborieux...
6 commentaires
Oui, je pense que la réflexion qu'il propose est vraiment pertinente. Mais bon, je vais quand même passer vu la difficulté du texte.
Disons qu'il vaut mieux le garder pour un long moment de temps libre car ce n'est pas ce qui détend le plus ^^
Ouf! Tu l'as lu! Il faudra peut-être (?) que je le fasse aussi mais... pour le moment j'avoue que je n'ai pas le courage! et en plus une Utopie qui bannit la poésie? Enfin, au moins, il était antinazi!
Oui, on ne peut pas tout avoir ^^ En tout cas, je vais plutôt me pencher sur des écrits courts dans les semaines à venir, et poétiques : ça me fera du bien ! Au fond, je ne suis pas sûre que la lecture de ce roman soit indispensable. La plupart des réflexions qu'il initie se sente dans les autres romans de Hesse, plus courts et plus digestes...
Je t'ai taguée : http://www.chaplum.com/tag-blogueur-convivial-8259 ;-)
Merci Manu, je vais voir ça tout de suite !
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