L'écrivain et la vie de Virginia Woolf
27/03/2014
L'écrivain et la vie de Virginia Woolf, Rivages Poche, 2008, 165p.
Il n'est plus nécessaire que j'avoue mon amour pour Virginia Woolf. Depuis la création de ce blog, je n'ai cessé de le clamer dès que je rédige un billet sur l'un de ses romans - ou même lorsque je n'en rédige pas (toute occasion est bonne pour louer la reine des reines, of course). Pourtant, je suis piètre connaisseuse de son travail dès lors qu'il n'est pas romanesque. Voilà une lacune que j'ai décidé de combler dernièrement en écoutant Une chambre à soi (que je n'ai pas chroniqué car, chose étrange, je n'ai pas réussi à mettre en mots un ouvrage que je n'ai techniquement pas lu. Et cela sonne donc le glas de mes tentatives infructueuses des livres audio car c'est tout de même frustrant d'avoir toujours la sensation d'un manque au final) (Autant vous dire que je n'ai pas intérêt à finir aveugle dans mes vieux jours, je serais bien malheureuse) (Mais je digresse lamentablement ; excusez-moi...). En écoutant Une chambre à soi, donc, et à présent en picorant ce recueil d'essais et d'articles compilés par les éditions Rivages autour du triangle amoureusement littéraire : l'écrivain, le lecteur et le critique. Quelle(s) relation(s) chacun de ces trois protagonistes entretient-il avec la littérature, avec le livre et l'un avec les autres ? Telles sont trois axes qui synthétisent les textes ici rassemblés, publiés initialement entre 1916 et 1937.
Sans vous en faire le détail article par article (il faudra pour cela les lire, c'est bien plus amusant), je relèverai ce qui m'a particulièrement plu/interpelée/marquée.
Tout d'abord, la plume de Virginia se reconnait décidément entre mille, qu'elle fasse courir un roman ou quelques songeries théoriques. Il sera toujours question d'enchâsser une pensée à une autre afin de donner la primauté à l'expérience physique du mot assemblé en phrase. Ce n'est pas à dire qu'il n'y a pas d'organisation, vous vous en doutez bien, c'est à dire qu'elle est souvent sous-jacente. C'est à l'émotion, au corps même - car Virginia Woolf propose décidément une écriture terriblement physique (c'est peut-être bien là une définition de la poésie d'ailleurs), de penser le texte avant la raison. Et là où la raison à besoin d'une architecture ultra apparente avec des connecteurs logiques (méthodologie de la dissertation, bonjour), le corps s'en tamponne les miches avec une plume de paon. Ce procédé est particulièrement frappant dans le second texte intitulé La lecture. En bon lecteur moulé par l'université, on s'attend à quelques dizaines de pages autour de la problématique "qu'est-ce que la lecture ?" et blah blah blah. Virginia Woolf, au contraire, nous promène dans des jardins. Je me suis demandée un petit moment où elle m'emmenait, très sincèrement. J'étais vaguement paumée. Jusqu'au moment où j'ai compris qu'elle nous invitait à réfléchir sur la lecture, non pas en nous expliquant par A + B ce qu'elle en pense, mais en nous faisant expérimenter ce qu'elle en ressent. Bingo ! Et là, il n'y a qu'à s'incliner.
Par ailleurs, Virginia Woolf sans ironie et sans snobisme n'est pas Virginia Woolf. Il y en a donc un peu partout, sans déguisement. Parfois, l'un allié à l'autre frise la mauvaise foi, pour ne pas dire y plonge tout à fait. Ainsi, l'article intitulé La chronique littéraire ne cache pas une animosité cinglante enrubannée de bonne éducation british. Virginia Woolf, ce n'est pas un secret, avait un problème avec les chroniqueurs littéraire (occupés de littérature contemporaine # les critiques, occupés de littératures passées selon ses propres définitions). Elle n'y va pas par quatre chemins : le chroniqueur ne sert à rien, ni l'auteur ni les lecteurs, et il faut être sacrément dénué d'égo et de talent pour verser dans cette activité. Bon, on peut donc aller se faire tailler un short. Cet article est néanmoins si plein de mauvaise foi, comme je vous le disais, que Leonard Woolf s'est senti obligé d'ajouter un post-scriptum pour que le tout paraisse moins partial. Même dans ces moments là, je l'aime quand même. Pour le coup, ce type d'article éclaire particulièrement bien la personnalité de Woolf, et la manière dont elle réceptionnait les critiques de ses romans (à mettre en relation avec les nombreuses remarques de son journal)
Enfin, ce qui m'a semblé le plus délicieux sont ses balades autour de la lecture, sans doute parce que c'est l'activité entre toutes dont je ne peux me passer ; sans doute parce qu'elle la met si plaisamment en valeur. Le premier article, Heures en bibliothèque, m'a tout particulièrement séduite. Virginia Woolf développe le cheminement d'un lecteur qui pourrait être n'importe qui - en l'occurrence, il pourrait être moi tant tout cela m'a parlé ! Le lecteur n'est pas le savant, nous dit-elle, car le savant vise la connaissance et la lecture n'est qu'un moyen potentiel de l'atteindre ; il la cherche assis à sa table de travail, aimable, un peu blême et concentré. Le lecteur, au contraire, est jeune, vigoureux et aventureux. La connaissance ? Pourquoi pas, se dit-il ! Mais d'abord découvrir et gravir les montagnes de livres ! Voici que lors de cette grimpette exaltante, le lecteur rencontre d'abord les classiques car ceux-ci gratifient, offrent caution, éclairent d'une aura millénaire ; puis il se tourne vers ses contemporains ; puis le voici qui revient en arrière et lit les classiques d'un nouvel œil. Tout cela est tellement juste, tellement pertinent. Bon Dieu, comment Virginia Woolf fait-elle pour tout comprendre en une si petite quinzaines de pages, aussi nonchalantes que des bouquets de violettes sur un buffet de campagne ? (Je tiens à préciser que si le cheminement que j'ai tenté ici de résumer vous parait obscur ou discutable, c'est entièrement imputable à mon résumé pourri. Il faut évidemment lire l'article original pour vous rendre compte qu'il est parfait).
Mais voilà, je m'emporte, je deviens lyrique. C'est quand même dingue : je suis incapable de garder la tête froide cinq minutes avec Woolf ! Il y a presque quelque chose d'exaspérant, tiens ! (Non, ne répondez pas). Pourtant, en toute franchise, je n'ai pas aimé avec la même vigueur tous les articles. Mais dans l'ensemble, j'y ai trouvé ce que j'aime toujours chez cette auteure tellement divine : son génie évidemment, sa sagacité, sa poésie et l'expérience physique qu'elle inspire, son ironie, sa fragilité. Oserai-je préciser à quel point il y a quelque chose de jouissif à retrouver tout cela en un seul et même écrivain ?
Challenge Mélange des genres chez Miss Léo
1ere participation dans la catégorie Essais
Challenge Virginia Woolf chez Lou
4eme participation
15 commentaires
J'aime beaucoup sa prose et des analyses. il faut que je relise une chambre à soi, trois guinées !
Moi aussi ! Il faudra que je relise Une chambre à soi, du coup... Par ce qui est de Trois guinées, je l'ai enfin trouvé dans une édition poche abordable (comme il n'est plus édité, les prix flambent vite...), je pourrai donc l'attaquer prochainement !
Sacrée Virginia ! "L'écrivain et la vie", un titre qui dit tout et qui résume fort bien le merveilleux billet que voilà ! Ce livre se retrouvera à coup sûr dans ma PAL ! Plus je la découvre, plus je me rends compte qu'il y a beaucoup de choses que je ne connais pas d'elle. Ô inépuisable Virginia ! ^^
Et quel plaisir de la savoir inépuisable ! Il n'y a rien de pire que d'avoir tout lu d'un auteur qu'on aime passionnément. Bien sûr, il nous est encore possible, ensuite, de décortiquer son œuvre mais je préfère de loin savoir que j'ai encore à la découvrir par la lecture plutôt que par le scalpel. Je ne doute pas une seconde que cet ouvrage se retrouvera un jour dans ta PAL, tiens ! Quel joie de partager le même engouement pour un auteur, n'est-ce pas ? :)
Tout à fait d'accord avec toi !! :)
D'ailleurs, il faudra que tu me précises quels livres de Woolf tu n'as pas encore lus à l'occasion^^
J'aime ton enthousiasme! Tu en parles très bien et tu donnes envie de la lire même aux lectrices pas encore convaincues (moi). Je devais faire une LC de Virginia Woolf avec quelqu'un ?? j'ai oublié de la noter et voilà, je ne sais plus. Tant mieux parce que je n'ai pas trop le temps en ce moment et j'ai tellement d'autres LC .. Mais j'y reviendrai!
J'espère que tu auras l'occasion, un jour (pas forcément bientôt mais quand ce sera le bon moment avec un peu de temps devant toi), de te mettre à Virginia Woolf. Elle vaut tellement le coup !
Lol J'adore ta conclusion pour les personnes qui n'auraient pas saisi la beauté de Wolf et n'auraient pas été concaincues par ton billet. Personnellement j'ai trouvé ta chronique passionnée. Il faut malheureusement que je lise les oeuvres de Virginia Wolf pour comprendre ton enthousiasme. J'avoue ne m'être jamais laissé tenter par cette lecture et pourtant je possède un exemplaire de la Traversée des apparences. Il faut que je comble mes lacunes, j'ai honte de l'admettre mais en même temps la plupart des articles étaient souvent obscurs et cela m'a un peu effrayé. Wolf me fait peur.
A voir donc, c'est peut-être comme Proust il faut y aller mollo pour pas faire d'indigestion... ^^
"La Traversée des apparences" est son premier roman, encore assez structuré. C'est du coup une bonne manière de rencontrer son œuvre qui contient déjà les thématiques qui jalonneront ses romans suivants tout en n'entrant pas directement dans sa prose future très dépouillée des artifices narratifs.
Woolf est comparable à Proust d'une certaine manière. Disons que tout deux ont une écriture merveilleuse mais aussi très exigeante car très poétique et surtout, qui réclame d'être dans le bon état d'esprit pour l'apprécier. Ce ne sont clairement pas des auteurs que l'on peut ni que l'on doit se forcer à lire sous peine de s'en dégoûter. Peu importe les soit-disant lacunes. Le tout, c'est de sentir le bon moment. Tant que ce n'est pas le cas, mieux vaut ne pas s'y obliger ! Tout ce que je peux te dire, c'est que quand ce moment arrivera, tu savoureras une des plus belles plumes du XXeme siècle :)
Figure-toi que je n'ai jamais lu Virginia Woolf! Du coup, ton billet m'encourage fortement à palier à cette lacune. Quel(s) ouvrage(s) me conseillerais-tu pour la découvrir (de préférence un petit format!)? Biz
On ne peut pas avoir déjà tout lu et heureusement, c'est plus exaltant comme ça !
Pour commencer Woolf, je conseille généralement "La promenade au phare". Elle a écrit ce roman en 1927, période charnière dans sa carrière de romancière. Il a l'avantage de ne pas être top long (entre 250 et 300 pages dans mes souvenirs, mais comme Woolf écrit en monologue intérieur, la notion de longueur du récit peut vite être dilaté^^), et de donner un excellent aperçu de l'écriture très particulière de Woolf (en monologue intérieur donc, et très poétique) sans que celle-ci soit trop fastidieuse (contrairement à Les vagues par exemple ou même à Mrs Dalloway). Clairement, c'est une écriture très particulière hein, mais ça me semble un bon titre pour l'approcher. Tu peux aussi faire le choix de commencer par l'un de ses premiers romans (La Traversée des apparences puis Nuit et Jour) qui sont beaucoup plus structurés. Ils sont moins caractéristiques de ce qui fait "son style" mais ils peuvent être plus rassurants de prime abord. Ils sont plus longs par contre (entre 450 et 500 pages)
Sinon, si tu aimes la forme brève, pourquoi pas attaquer avec l'un de ses recueils de nouvelles ? Ça peut être une bonne idée ! De mémoire, il y a "La fascination de l'étang" et "La mort de la phalène" :)
Lorsque j'avais lu Les Heures de Michael Cunningham je m'étais promis de lire Virginia Woolf et puis je ne l'ai pas fait... Je vais suivre tes conseils qui semble judicieux, en tout cas tu sais donner envie de découvrir cette auteure
C'est aussi The Hours qui m'a donné envie de découvrir Woolf ! Je suis contente de te donner envie et j'espère que ça te plaira !
Je ne connaissais pas ce recueil de textes mais je note, j'adore aussi son style dans ses essais ou articles plutôt que ses romans...
Les commentaires sont fermés.