Bâtons à message - Tshissinuashitakana de Joséphine Bacon
18/03/2015
Bâtons à message - Tshissinuashitakana de Joséphine Bacon, Mémoire d'encrier, 2009, 140p.
Le premier espace de la parole tracée, pour les Innus, fut la nature elle-même. Ainsi, l'épinette blanche se faisait balise pour informer les êtres de leur progression dans les territoires gigantesques et gelés. Ces marques révélaient une alliance primordiale entre l'être et le lieu et entre les êtres eux-mêmes.
Dans son premier recueil poétique, Joséphine Bacon fait de la poésie les nouveaux bâtons à messages : Le poème devient repère nécessaire dans une jungle qui en manque cruellement. Elle retourne aux racines, fouille les légendes, les sons du tambour, les accents de voix ; de même que les peines et les désespoirs. C'est le terreau duquel naissent ses poèmes, comme l'épinette, qu'elle entend nous transmettre avec une simplicité et une grâce désarmante.
Je n'ai, très sincèrement, pas apprécié tous ces textes avec la même force et la même émotion. Certains me sont apparus trop naïfs - même pour une poésie qui se veut simple et claire comme l'eau vive. Il faut néanmoins souligner que le recueil est bilingue et que les poèmes ont été composés premièrement tantôt en français, tantôt en langue innue. Peut-être, donc, faut-il imputer cette apparence naïveté à une traduction difficile de certains textes ? Toujours est-il que d'autres m'ont par contre incroyablement touchée. J'ai trouvé chez Joséphine Bacon une force brute qui dynamise et syncrétise en quelques vers brefs ; j'ai savouré une douceur, une confiance et une lumière intérieure qui valent mieux que de longs discours.
Je retrouve chez Joséphine Bacon ce que j'avais tant apprécié dans la prose de Virginia Pésémapéo Bordeleau et chez d'autres auteur(e)s amérindien(ne)s : le caractère presque performatif de la parole. Écrire, c'est avant tout ne pas oublier et aller de l'avant simultanément. En somme, c'est avant tout guérir.
Tschishikushkueu,
Femme de l'espace,
ce matin, j'ai revêtu
ma plus belle parure
pour te plaire
tu guideras
mes raquettes ornées
de l'unaman de mes ancêtres.
Mes pas feutrés
touchent avec respect
cette neige bleue
colorée par le ciel
l'étoile de midi
me conduit à Papakassik
où m'attend la graisse
qui élève le chant de mon héritage
quand je pile les os.
*
Ma douleur,
devenue remord,
est le long châtiment
qui courbe mon dos.
Mon dos ressemble
à une montagne sacrée,
courbée d'avoir aimé
tant de fois.
*
Ma peine m'est venue
d'une parole,
un soir d'orage,
alors que le tonnerre
réclamait
une tendresse silencieuse,
son sourd
que seule la pluie écouta.
*
Je me suis fait belle
pour qu'on remarque
la moelle de mes os,
survivante d'un récit
qu'on ne raconte pas.
*
6 commentaires
"J'ai trouvé chez Joséphine Bacon une force brute qui dynamise (...) j'ai savouré une douceur, une confiance et une lumière intérieure qui valent mieux que de longs discours."
C'est exactement ce que j'ai ressenti en rencontrant cette femme le week-end dernier au Printemps des Poètes ! C'est impressionnant ce qu'elle dégage et je suis contente que tu aies pu le ressentir à ton tour simplement en la lisant !
Je n'ai pas acheté Bâtons à messages, mais j'ai pris deux autres recueils de Joséphine Bacon : Nous sommes tous des sauvages, et Un thé dans la toundra. J'espère t'en dire bientôt des nouvelles :)
Et puis j'aime beaucoup cette expression "cette neige bleue", elle me renvoie au titre de Piotr Berdnarski que j'ai lu la semaine dernière. Si tu ne connais pas Les neiges bleues, je te le recommande très vivement. C'est un roman, il raconte l'enfance à la première personne d'un jeune garçon exilé avec sa mère en Sibérie sous le régime communiste. Son père est au goulag. C'est très bien écrit, très poétique... très très beau ! Je vais le chroniquer bientôt !
"Un thé dans la toundra" me tente beaucoup également ! Je l'ai noté pour un prochain achat. Hâte d'en lire ton avis.
De même, j'attends de te lire sur "Les neiges bleues". Tu m'as donné l'eau à la bouche !
J'aime beaucoup Joséphine Bacon. Comme toi, je suis parfois étonnée par certains passages très simples, et à d'autres moments, emportée par la grandeur, l'ouverture. "Mon dos ressemble
à une montagne sacrée"...cette union du corps avec la nature est magnifique ! Merci Lili :)
Oui, c'est une poésie qui laisse transparaître les douleurs et les traumatismes mais qui est surtout incroyablement constructive et pleine d'élan et d'espoir. C'est ce que j'aime dans la littérature amérindienne ces 20/30 dernières années : cette dynamique positive. Et la symbiose retrouvée entre l'être et la nature est un de ses éléments primordiaux.
Bises ma Topi !
Cette femme est tellement émouvante... elle était présente au dernier festival America et qu'est-ce qu'elle était touchante...
Rahhh vous me faîtes toutes baver à me parler de vos rencontres avec Joséphine Bacon ^^
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