Sylvia d'Antoine Wauters
07/08/2015
Sylvia d'Antoine Wauters, Cheyne éditeur, 2014, 83p.
Celui-là, je devais le lire depuis longtemps, depuis sa sortie plus précisément, et puis j'ai trainé comme d'habitude. J'ai surtout tourné autour du pot, j'ai hésité. La perspective de lire une certaine vision de Sylvia Plath, poétesse que j'admire particulièrement, sans vraiment qu'il en soit question explicitement, me perturbait un brin. Je ne voyais pas exactement comment cela pouvait s'articuler avec tout autre chose : la mort de deux grands-pères et le processus de deuil afférant. En d'autres termes : je n'ai rien contre un rôti au chocolat, a priori, mais me forcer à y goûter est une autre affaire.
Et puis, je l'ai lu. J'ai fini par céder. Sylvia est bien plus qu'un processus de deuil - parce qu'élaguer les poncifs, ronger l'os et dépouiller, c'est étonnamment avoir moins pour toucher plus. Antoine Wauters parle d'un avant, d'un pendant et d'un après la mort de ces deux êtres si prégnants dans sa vie d'homme - qui ont toujours été là - en déshabillant l'expérience du deuil de ce qui la gonfle fréquemment d'oripeaux indigestes. Pour cela, en revenir aux corps, à la nature organique de la mort. Attitudes animales, pourrissement végétal : l'homme s'inscrit dans cette marche vieille comme le monde. Face à cette expérience d'une banale extrémité, la poésie dit ce qui n'a pas toujours su passer les lèvres, ce qui n'a pas pu être parlé du vivant de Charles ou Armand.
De Sylvia Plath, Wauters dégage la corde lisse, souvent raide et dangereuse mais évidemment sensible, qui se tient entre vie et mort, qui ne forment pas deux entités contraires. Vie et mort sont les deux nuances subtiles d'une même réalité qui circule inlassablement. Expérimenter la mort, le deuil, la douleur, c'est encore vivre. C'est créer : poésie, amour et doucement, une nouvelle vie qui poursuit la boucle. Il y a une lucidité, une âpreté terriblement exigeante dans cette vision holistique de l'existence chez Sylvia Plath qui interdit le détour ou l'apitoiement. Dans la brutalité poétique que Wauters empoigne - en empoignant la main de Sylvia - l'énigme du vivre se découvre comme flux.
Je n'en dis sans doute pas grand chose, ou du moins il m'est arrivé d'être plus claire. C'est qu'il n'y a pas d'histoire linéaire à vous conter, ni de personnages à présenter. Prenez plutôt Sylvia comme un échange : de la mort à la vie, de l'auteur au lecteur, de la perte à la joie.
Et la vie ne se souvient pas, tu dis, ma vie s'écrit pour s'éprouver elle, comme clarté, comme calme, rendue à elle. Nouvelle manière d'être heureuse, tu dis que l'écriture peut, d'un pôle des bronches à l'autre, en l'espace du mot pôle et bronche, faire passer de la jachère au plein jeu de chaleur. Au blanc lacté. A la mamelle d'où expirer viendrait un jour et repartirait le lendemain. Nous laissant vivre. Nous laissant. Nous. p. 21
9 commentaires
Je vois que nous sommes sur la même longueur d'onde concernant cette lecture, ma douce ! Je suis ravie de partager avec toi cet enthousiasme pour ce livre merveilleux. :)
Oui, tout à fait ma douce. Je suis aussi très heureuse que tu m'aies invitée à lire ce livre maintenant et de partager cela avec toi. Antoine Wauters est indéniablement un grand poète contemporain. Merci mille fois
Ce livre est dans ma PAL et tu me donnes bien envie de le découvrir ! (Quoique je sais que ce ne sera pas dans l'immédiat.) Il y a des phrases qui me paraissent complètement nébuleuses dans ton billet,mais ça n'enlève rien à l'émotion bien palpable. C'est quoi une vision holistique de l'existence ? Et "l'énigme du vivre se découvre comme flux"... c'est très énigmatique pour moi, je l'avoue. Je ne suis pas à ton niveau intellectuel mais je le répète, c'et l'émotion et ce lien indéfectible entre vie et mort qui l'emporte. Et ce point de départ du deuil personnel des grands-pères pour se consoler grâce à un écrivain dont l'expérience sensible rejoint la vôtre, c'est ça qui m'intéresse.
Effectivement, comme je le disais, je ne suis pas très claire finalement dans mon billet. Comme je l'ai écrit juste après lecture, j'ai surtout été guidée par mes impressions, mon ressenti et je n'ai pas été très explicite. Mais j'ai trouvé quelques bonnes chroniques sur le net qui sauront combler cette lacune. Et même si le coup de "l'énigme de vivre se découvre comme flux" est nébuleux, qu'il te donne envie de lire ce livre me fait plaisir. J'espère qu'il te touchera autant que moi !
Oserai-je dire que je ne connais pas du tout cette poétesse et que du coup je suis assez perdue avec ce que tu dis....je le note quand même dans un coin de ma tête, même si comme toi, le procédé du double deuil et de l'hommage me paraît un peu risqué...mais vu que c'est un coup de coeur.
C'est clairement risqué, mais du coup, quand c'est réussi, c'est une sacrée prouesse ! J'espère que ce récit te donnera envie un jour :)
Heu... Tu me fais un peu peur avec le deuil et le rôti au chocolat...
Il y a plusieurs livre de Wauters à la bibliothèque, mais pas celui-ci. Je commencerai sans doute par découvrir cet auteur avec Nos mères ou Césarine de nuit. S'ils me plaisent, je lirai Sylvia.
Est-ce que lire ce livre si on ne connait pas Sylvia Plath a du sens ?
Charline me conseille de longue date "Césarine de nuit" ! Tu m'en diras des nouvelles si tu le testes avant moi.
"Sylvia" peut tout à fait avoir du sens sans connaître Sylvia Plath mais, tant qu'à faire, autant que ce soit le cas :p A moins que ça donne envie de la découvrir ensuite, remarque.
Bon, je suis désolée de t'avoir fait un peu peur avec mon billet. Je reconnais que je me suis tapée un trip un peu ésotérique qui ne rend peut-être pas hommage à l'ouvrage... Pourtant, il est fabuleux, je t'assure !!
bon je note l'auteur... je verrai bien ;)
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