Le principe de Jérôme Ferrari
29/10/2015
Le principe de Jérôme Ferrari, Actes Sud, 2015, 161p.
En ouvrant le dernier roman de Ferrari, que ma médiathèque a enfin acquis avec quelques mois de retard, je me suis lancée à l'aventure d'un sujet fort éloigné de mes accointances et sur lequel, donc, je ne connais strictement rien. Je parle en l'occurrence de physique quantique et, plus précisément, de la vie de Werner Heisenberg (1901-1976), célèbre pour son "principe d'incertitude (ou d'indétermination)" qui consiste à considérer qu'on ne peut jamais connaître avec une égale précision à la fois la position et la vitesse d'une particule donnée. Autant dire, qu'on ne connait jamais rien fondamentalement (et non subjectivement), s'il me fallait résumer vulgairement ce que je comprends de ce théorème.
Il faut bien avoir en tête ce principe, que Ferrari nous fait rapidement découvrir dès les premières pages du roman, car, au fond, il est la clé pour comprendre son texte. S'il est question du destin d'Heisenberg au fil des différentes parties : sa jeunesse en tant que chercheur dans la première, son parcours qui prête à discussion durant la seconde guerre mondiale dans la suivante (a-t-il fait preuve de courage, de stupidité ou des deux à la fois ? Telle est la question), enfin de son incarcération bucolique par les anglais dans la troisième, on peut se demander si la finalité du propos n'est pas de disséminer subtilement une réflexion littéraire sur l'(im)possibilité fondamentale de la littérature à découvrir un personnage et, plus généralement, une réflexion philosophique sur cette même (im)possibilité de jamais saisir un être. Le principe d'Heisenberg se trouve, dès lors, transposé - ou adapté - de la physique quantique à la philosophie.
Vaste projet éminemment passionnant, vous l'aurez compris, qui a le mérite de trimballer habilement les petites cellules grises d'un lecteur frétillant.
Pourtant, je n'ai pu m'empêcher d'être péniblement soumise à un principe également proportionnel d'irrégularité au fil de ma lecture. Tandis que je me suis délectée de la plume savoureuse de Ferrari toute la première partie - qui n'a rien à envier au projet qui la sous-tend -, j'ai déroulé la suivante avec beaucoup moins d'enthousiasme : celui qui veut montrer qu'on ne saisit jamais vraiment rien parvient effectivement à enjoindre une espèce de latence ennuyeuse et un poil ronflante. Paradoxalement, mon sentiment s'est brutalement inversé à la troisième partie : j'ai à nouveau accroché au style mais c'est le virage narratif - on passe de la P2 à la P3 - qui m'a larguée du point de vue du propos. Quant à la dernière partie, j'ose clairement demander quelle est sa finalité. Bref.
Je ressors à la fois charmée par le projet ambitieux de Ferrari et par certaines pages d'une grande qualité mais également embêtée par une trop grande inégalité des faits et une certaine outrecuidance épisodique. Mi-figue, mi-raisin en somme mais qui ne m'empêche pas de penser que Jérôme Ferrari est un sacré bout d'auteur à suivre encore !
2 commentaires
Le seul roman de Ferrari que j'ai lu (il y a cinq ans) c'est "Où j'ai laissé mon âme" et qu'est-ce q'il est bon, ce roman ! "Le sermon sur la chute de Rome" traîne toujours dans ma PAL... et il me faut avouer que celui-ci ne me tente guère...
Je note "Où j'ai laissé mon âme"! Pour ma part, j'avais beaucoup aimé "Un dieu un animal". J'avais loué "Sermon sur la chute de Rome" à la bibliothèque au moment de sa sortie mais je n'avais finalement aucunement accroché au propos (je l'avais réservé sans savoir de quoi il parlait), et ce n'était sans doute pas le moment pour moi de le lire aussi, du coup je l'ai rendu sans l'avoir tenté...
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