La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaëtan Soucy
06/11/2015
La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaëtan Soucy, Boréal Compact, 180p., 2013 [1998]
Il était une fois deux frères qui vivaient dans une vieille masure décrépie avec leur père tyrannique. Et voilà qu'un beau jour, ils le découvrent mort dans sa chambre.
"Nous avons dû prendre l’univers en main mon frère et moi car un matin un peu avant l’aube papa rendit l’âme sans crier gare. Sa dépouille crispée dans une douleur dont il ne restait plus que l’écorce, ses décrets si subitement tombés en poussière, tout ça gisait dans la chambre de l’étage où papa nous commandait tout, la veille encore. Il nous fallait des ordres pour ne pas nous affaisser en morceaux, mon frère et moi, c’était notre mortier. Sans papa nous ne savions rien faire. À peine pouvions-nous par nous-mêmes hésiter, exister, avoir peur, souffrir." p. 13
Quelle peut être la vie, jadis corsetée, sans le poids de sa contrainte suprême ? Le père, qui fut homme de foi, régissait tout d'une main de fer, démente, radicale, et les enfants ne sortaient jamais. L'un comme l'autre n'ont aucune idée du monde extérieur. La cuisine de leur terrestre séjour n'est rien de moins qu'une prison hors du temps et des hommes. Ils tentent de s'organiser, à la frontière de la folie, et chaque geste banal semble être un effort surhumain pour pénétrer un autre univers. La petite fille qui aimait trop les allumettes, c'est le conte de deux orphelins coupés de tout à la rencontre des mystères de l'autre côté de la pinède.
Comment vous dire ? WAHOU ! Ceux qui ont déjà lu ce court roman comprendront qu'il est sacrément difficile d'en dire quoique ce soit tant il s'effeuille doucement, tant il doit se découvrir sans avoir été défloré. Il faut donc le survoler mais tout de même vous dire de le lire absolument. C'est un tour de force sacrément magistral que voilà, à tous points de vue. Il n'y a rien à chipoter sur le fond ni la forme. C'est parfait, c'est intelligemment en équilibre. Gaëtan Soucy tient de bout en bout un style qui ne ressemble à aucun autre, entre férocité et magie, entre des expressions extrêmement soutenues et une oralité crue qui suinte la naïveté qui s'ignore. Le projet était franchement périlleux mais il le saisit à merveille et c'est une prouesse d'écrivain impressionnante. Non content de cela, le lecteur va de promenade en promenade, et écarquille les yeux à mesure que le livre avance. C'est un livre où le décalage est complet entre ce qui est relaté et la manière dont l'un des enfants, "le secrétarien", nous le restitue. Rien de plus déconcertant que la naturel, au fond.
Et puis, c'est tout, je ne vous en dirai pas plus. Je ne peux pas. Mais quel bonheur, quelle claque, quelle vague passionnante de littérature !
Merci Topi pour cette nouvelle lecture. Ton colis de mai, décidément, est une merveilleuse mine d'or !
Québec en novembre 2015 chez Karine et Yueyin
2ème participation
24 commentaires
Pfiou comment résister après un billet pareil?!!
Héhé, mais je suis bien contente que tu ne puisses pas résister ; ce court roman vaut tellement le coup ! J'espère que la découverte te plaira ;)
je m'étais promis de la lire cette année, bon j'ai raté la LC mais le mois commence à peine :-) Très beau billet :-)
Mais oui, tu as encore largement le temps de te frotter à ce merveilleux titre ! J'espère que tu auras l'occasion de le faire ! Pour ma part, je note Lise Tremblay ;)
J'adore ton enthousiasme ! Tu as raison, c'est très difficile de parler de ce livre mais tu parles magistralement du style, je trouve !
Merci Anne, je suis contente si je parviens un poil à lui rendre honneur. Le style de Gaëtan Soucy est tellement particulier, étrange et hypnotisant dans ce titre !
Excellent ! (l'article)
Le roman, excellent !
http://www.libellus-libellus.fr/article-gaetan-soucy-la-petite-fille-qui-aimait-trop-les-allumettes-une-histoire-de-gosses-119688678.html
Karine avait bien aimé mon sous-titre : une histoire de gosses. Mais c'est pour ceux qui placotent le québécois : - )
Merci Lou, je vais aller lire ton billet.
Je crois bien rappeler ce que signifie les gosses en québécois... ;)
ça fait un moment que je le guette à la bib il va vraiment falloir que je le trouve là ou ailleurs !
Héhé, c'est pénible lorsque les bibliothèques n'ont pas les romans qu'on veut lire ! Mais oui, Icath, d'une manière ou d'une autre, il va falloir te le procurer ;)
Je le sais qu'il est top, punaise, j'en ai déjà entendu que des "wahou" et autres onomatopées de peur qu'il ne soit défloré. Et si je tentais une unique participation au mois québécois avec ce titre hein ?!
(je craignais qu'il soit trop dur ou trop cruel en fait, c'est aussi pourquoi je tergiversais)
Vivent les onomatopées lorsqu'on ne veut pas trop en dire.
Le propos est effectivement plutôt dur mais le livre est d'une telle beauté ! Si en plus, il te permet une participation au mois québécois, ça ne se refuse pas !
Tu m'as donné envie, là, j'avoue...
Et en plus, il est dispo à ma médiathèque, hop !
Génial ! Bonne lecture alors, Lili ;)
Est-ce que tu as déjà lu la trilogie des jumeaux d'Agota Kristof ? Est-ce que j'ai raison de les associer ? Ton enthousiasme fait plaisir à lire, mais je crois que je le reporterai sur l'auteur, en privilégiant un autre titre personnellement. La narration n'est-elle pas trop enfantine, trop orale ?
Je ne connais pas la trilogie que tu évoques, malheureusement...
Le style est assurément oral, pas tellement enfantin. Je dirais plutôt décalé par le mélange des genres. Du coup, cela donne une oralité très originale, tout à fait différente de celle que l'on peut retrouver dans d'autres romans. Même moi qui ne suis pas fan d'oralité, j'ai trouvé le style de ce titre tout à fait magistral.
Comme tu dis ce livre est une claque et extraordinaire ...
Un grand coup de coeur du Québec en septembre de l'an dernier :-)
J'ai l'impression qu'il a plutôt fait l'unanimité parmi les lecteurs. C'est un signe !
Bon bon bon après un tel billet, il ne reste qu'à découvrir le livre ! ;)
Oh oui, il pourrait bien te plaire, Moglug !
Merci pour ce très beau billet, Lili ! Je suis si heureuse que mon petit livre chouchou t'ait plu :) J'ose te conseiller un autre titre, un peu dans la même veine : Le souffle de l'harmattan de Sylvain Trudel. Si jamais tu le croises, je pense qu'il pourrait te plaire aussi. Bisous :)
Merci pour ce nouveau conseil et merci encore pour ton cadeau, ma chère Topi
Un roman très fort et original, dont je garde un souvenir assez vif, bien que je l'ai lu il y a maintenant plusieurs années... C'est une lecture qui ne peut laisser indifférent, une expérience sans doute unique..
L'acquittement, du même auteur, m'avait semblé par comparaison plutôt terne.
Je suis d'accord : cette lecture ne peut laisser indifférent.
Je verrai ce que ça donnera avec d'autres titres de Gaëtan Soucy !
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