2084 de Boualem Sansal
05/02/2016
2084 de Boualem Sansal, Gallimard, 2015, 274p.
Depuis 2084, le monde est devenu l'Abistan, vaste empire théocratique où l'on se doit d'être soumis au dieu unique Yölah. Nul besoin de se souvenir du passé - d'ailleurs, y en a-t-il eu un ? Yölah est tout puissant et Abi est son délégué. Rien n'a jamais existé avant eux. Nul besoin de parler d'autres langues que l'abilang et surtout, nul besoin de penser. De tels actes seraient le reflet de Balis, le démon. Respecter les règles et obéir sans poser de question : telle est la condition du bonheur en Abistan.
Ati y est exilé dans une lointaine province pour soigner sa tuberculose. Il n'a accès qu'à la montagne, aux autres malades et aux pèlerins qui parcourent le pays pour rendre grâce à Abi. Au fur et à mesure de cette solitude forcée et de quelques rencontres, il commence à remettre en question les principes qui ont jusqu'ici régi sa vie. Ati veut comprendre, avant tout. Cette réflexion l'amène progressivement, une fois rentré chez lui, à chercher les lieux de résistance au régime.
On l'a beaucoup dit et lu : un livre tel que 2084 est d'une importance cruciale par les temps qui courent. Surtout, ne jamais cesser de réfléchir afin de botter en touche l'obscurantisme. Soit. C'est précisément pour cette raison que je souhaitais me frotter au vainqueur du Grand Prix de l'Académie Française 2015 et parce que la référence à Orwell se voulait à la fois périlleuse et terriblement tentante.
C'est en l'occurrence bien plus qu'une référence tant Boualem Sansal tresse étroitement 1984 à son récit, nous rappelant ainsi à quel point le propos est toujours d'actualité et surtout, à quel point on l'oublie trop souvent. Aussi, et bien qu'il est impossible de ne pas faire un parallèle évident avec l'islamisme galopant - Sansal, lui-même, ne s'en cache pas -, 2084 est un rappel au danger permanent des dictatures, quelles qu'elles soient.
Tel est l'aspect politique du roman. Mais qu'en est-il de son revers littéraire ? Non parce que, ne l'oublions pas : ce n'est pas un essai. Par conséquent, aussi nécessaire que soit le sujet, j'ai tout de même envie de m'intéresser à sa qualité littéraire et je n'ai surtout pas envie de l'encenser gratuitement pour de mauvaises raisons. Nous voilà donc au point où le bât blesse. 2084 fait montre d'un didactisme digressif plus qu'ennuyeux et souffre d'une absence totale de rythme - j'ai serré les dents jusqu'au bout mais, franchement, c'en était décourageant. Maintenant le livre refermé, je me demande encore pourquoi je me suis infligée cette peine (le lecteur est maso, à l'occasion). L'ensemble n'est pas même porté par le personnage principal tant celui-ci manque d'épaisseur et se complait finalement toujours, malgré quelques ébauches lumineuses, dans une certaine médiocrité. Était-ce une manière de démontrer qu'à trop baigner dans l'absence de réflexion, on en est plus vraiment capable malgré l'envie ? En tout état de cause, le politique ne sauve aucunement le littéraire, et l'enthousiasme de mon début de lecture a très clairement fait place à l'agacement. Mieux vaut encore relire 1984 qui sait, lui, décoiffer sur les deux tableaux.
14 commentaires
Ah ! Ton dernier paragraphe tue évidemment le désir de lire qui aurait pu naître à la lecture du premier...
Comme ce que tu dis correspond exactement à ce que je craignais, je crois que personnellement je ne vais pas m'infliger cette lecture. Ce qui ne m'empêchera pas de m'interroger sur ce qui se passe autour de nous et les dangers qui nous guettent.
Tu as raison : il vaut définitivement mieux s'interroger sans en passer par ce roman ennuyeux ;)
Il est sur la table de nuit de monsieur, mais j'avoue que moi qui trépignais d'impatience, je suis refroidie d'un seul coup. Un bon roman, c'est avant tout un soin porté à la forme. Je préfère relire Orwell dans ce cas.
Mais oui, à la forme, au style, à l'expressivité de la langue. Ici, j'ai eu la sensation d'avoir à faire à une démonstration politique insipide, c'était vraiment pénible. Il fallait écrire un essai, à ce compte-là.
Mais ce qui m'énerve encore plus, c'est de le lire encenser dans toute la presse littéraire. Cela pose vraiment la question de l'enjeu de la littérature.
Bonjour !
Je viens de voir ton commentaire chez Lilly, et je suis très contente de voir que tu veux te lancer avec Harry :p. En VO ou en VF ? Les versions VO sont vraiment chouettes en tout cas, et les dernières éditions vraiment superbes.
Et oui, je viens de finir les 2ème tome ! Je suis une petite joueuse par contre : je les lis en VF... Mais je me refais les films en VO ensuite ;)
Beaucoup de critiques ont souligné le manque de style... J'ai déjà lu 1984 mais je suis sûre qu'il existe d'autres romans dénonçant les dictatures sans assommer son lecteur !
Heureusement qu'il n'y a pas que 1984, mais ici le parallèle était tout trouvé puisque Boualem Sansal se réclame de son inspiration.
Dans la lignée des romans qui dénoncent les dictatures sans assommer, et d'une manière totalement différente de 1984, il y a Cristallisation secrète de Yoko Ogawa que j'ai lu et chroniqué il y a peu. Ce fut un coup de coeur !
Ah mince, effectivement, je ne retiendrai donc pas ce titre... Non mais.
Tu risquerais de t'y ennuyer comme un rat mort ;)
j'ai un peu hésité pour ce livre, tu confirmes mes réticences!
Il n'y a effectivement rien à regretter !
Merci pour cet avis! Je n'ai pas lu l'ouvrage. Personnellement j'aime beaucoup le Boualem Sansal DES DEBUTS, c'est à dire *Le serment des barbares* un ouvrage très très très littéraire, très beau très puissant. Mais après... ça s'essouffle, il sacrifie son écriture au prix de je-ne-sais-quel discours moralisant et la plupart du temps pas très profond. C'est dommage. Cet ouvrage semble s'inscrire dans la droite ligne de ce qui me déplaît de plus en plus chez cet auteur. C'est dommage, d'autant plus que *Le serment des barbares* fait partie de mes ouvrages préférés...
Pour ma part, je ne connais pas du tout Boualem Sansal en dehors de "2084"... Mais c'est effectivement regrettable si son écriture se faisait auparavant plus travaillée...
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