J'ai toujours ton coeur avec moi de Soffía Bjarnadóttir
14/03/2016
J'ai toujours ton cœur avec moi de Soffía Bjarnadóttir, Zulma, 2016, 142p.
Mieux vaut ne pas craindre les personnages étranges car tout cela fourmille dans ce premier roman de Soffía Bjarnadóttir - A cet égard, la littérature islandaise n'a décidément rien à envier à l'exotisme japonais tant il décoiffe lui aussi, façon vent du nord à pleins poumons. Mais quelle joie de se prendre ces embruns dans les yeux !
Voyez vous-même : on pourrait commencer par un "Aujourd'hui, maman est morte", mais l'auteure lui préfère l'étonnant "Lorsque Siggy est morte, j'ai eu envie de réclamer ses yeux à l'entrepreneur des pompes funèbres" : vous avouerez qu'on est tout de suite plus dans le conte halluciné. Il faut dire que Siggy n'est pas exactement la mère présente, la mère aimante ; n'est pas exactement mère du tout. Elle s'apparente plus à une comète entre ciel et terre, entre gris clair et gris foncé, tantôt ahurie et ahurissante, enflammée et en dehors des heures. A n'en pas douter, Siggy était extraordinaire, dès lors qu'on n'attendait pas d'elle l'amour maternel.
"Qui était cette femme ? Ce n'était pas ma mère. Pourtant, elle m'avait mise au monde. Voilà pourquoi il m'arrive de l'appeler maman. Je la vénère et je la crains, comme le dieu Shiva qui façonne et défait toute chose. Dans mon souvenir, elle a passé sa vie à mourir, et je ne sais pas s'il s'agit de son histoire ou de la mienne." p. 78
Et puis la voilà morte, envolée. Hildur, la narratrice, retrouve les pas de cette mère qu'elle a fui il y a longtemps, lasse de trop mourir à ses côtés. Hildur elle-même est de ces êtres qui échappent et son parcours et son deuil se trouvent émailler de souvenirs impressionnants et de rencontres sur l'île de Flattey où Siggy lui a légué une petite maison jaune.
"Je ne suis qu'une spectatrice tourbillonnante aux yeux rouges, à la peau blanche et à l'âme bleu roche.
Dans un tel état de stupéfaction, j'aurais pu tuer un chaton ou torturer un chien. Comme si Siggy m'avait jeté un sort et que j'obéissais sans broncher.
Maman dans le cercueil, maman dans la baignoire, maman dans le lit, maman sur la plage, maman vivante, maman morte." p. 16
J'ai toujours ton coeur avec toi ne s'embarrasse d'aucune longueur, d'aucun développement : à quoi bon délayer ? Soffía Bjarnadóttir a pris le parti de délivrer les lourdes images d'une relation complexe qui se poursuit de mère en fils, d'âme en âme, à travers les âges et les pays et bouleverse tout bonnement. C'est fou comme la folie peut être incroyablement empathique - Et l'empathie pleine de folie, à l'occasion. On s'y perdrait presque, ce qui me semble exactement la bonne chose à faire. Que chaque cellule s'émeuve et ne pense plus.
10 commentaires
Ca ne me tente pas, trop étrange pour moi !
L'histoire est vieille comme le monde pourtant mais il ne faut effectivement pas craindre une narration et un point de vue très hallucinés !
Il me fait envie depuis sa sortie ! Ton billet confirme encore plus mon intérêt. Merci Lili :)
Super ! Je n'aurais pas pensé que ce titre pourrait te tenter, c'est une bonne surprise. J'espère qu'il te plaira, du coup (et j'espère te revoir plus souvent sur ton blog, ça me manque de te lire !)
Bisouxx doux ma Topi :*
Vous me tentez..... Je connais mal cette littérature islandaise, en fait.
J'avoue ne pas la connaître très bien non plus... Mais elle vaut le détour :)
Ah que j'aime ton billet ! C'est vrai que cette première phrase est vraiment originale ! Et malgré cette ambiance étrange, ces personnages très "borderline", il y a aussi un certain côté magique, une fascination, une empathie comme tu le dis avec cette histoire et ces deux femmes. Je suis vraiment contente de l'avoir trouvé à la bibli, ce premier roman !
Merci Anne ! Je l'ai aussi trouvé par hasard à la bibliothèque ; je n'en avais jamais entendu parler avant. Les surprises ont du bon ! C'est vraiment un chouette premier roman, fou et magique à la fois :)
Ton extrait choisi, "Maman dans le cercueil, maman dans la baignoire, etc" me fait un peu frissonner je l'avoue ! Du coup je ne sais pas si je franchirais le pas, les mères borderline me font un peur...
Et pour le coup, on est dans de la mère plus que borderline là !
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