Veracruz d'Olivier Rolin
21/02/2016
Veracruz d'Olivier Rolin, Verdier, 2016, 128p.
"Un jour de juin 1990, j'attendais au bar El Ideal, calle Morelos, une jeune chanteuse cubaine qui ne vint jamais..." p.9
Nous y voilà, exactement, à Veracruz, en ce début de récit : chaleur moite, bar un poil glauque joliment nommé El Ideal (non sans humour), intellectuel esseulé qui se transforme en pilier de comptoir dans l'attente de LA femme qui ne vient pas. Aucun doute, je suis bel et bien dans l'ambiance cliché des petites villes sud-américaines telle que la littérature se plait à jouer avec - pour un peu, j'entendrais un brin de salsa suave et fatiguée par-dessus. Sauf que, quand un auteur me susurre de telles images à l'oreille, surtout un auteur de talent comme Rolin, réputé pour emmener promener son lecteur dans des lieux un peu fous, je me méfie. Généralement, il y a baleine sous gravillon.
Quatre gravillons pour être précise qui apparaissent par la magie des récits enchâssés. Quatre personnages qui suintent la peur, la couardise, la violence et la destruction. Quatre anges de mort, en sommes planqués dans leur univers de contrebande de cigares et qui s'observent, se jaugent, en attendant la déflagration qui viendra d'on ne sait où, mais qui viendra, c'est une certitude. Quatre histoires que notre intellectuel esseulé reçoit un beau matin, toujours accoudé à son comptoir, et qu'il pense être de la main de LA femme qui ne vient pas. Dans une frénésie un peu désespérée, il les lit encore et encore dans l'espoir d'y dénicher une trace de l'absente et nous les livre de même à l'examen, bruts de décoffrage. Dans ce jeu de piste littéraire, le lecteur oscille entre la curiosité un peu démente, l'intrigue, le délice du style et la nausée du propos. Un voyage qui ne manque pas de piquant et d'intérêt, déjà, même si l'on ne sait aucunement où il nous mène.
"Je conçus le plan désespéré de me rendre maître d’elle par les livres. Je choisissais les textes que j’allais lui lire avec le soin maniaque d’un magicien préparant un philtre, dosant et composant les effets attendus de crainte, de désir, de gaieté, de surprise, d’imaginations lascives ou terribles, suivant les mouvements que je voyais se faire dans son âme, en fonction aussi des moments du jour où elle m’appelait auprès d’elle, et par exemple je ne lisais pas les mêmes pages, ni ne les lisais de la même façon, selon que l’heure éclatante de la sieste glissait sur son corps allongé, à travers les persiennes, des lames obliques de lumière, tandis que le souffle des ventilateurs gonflait et soulevait légèrement, comme une matière vivante, frémissante, les feuilles dans leur coffret, ou que la fraîcheur de la nuit avait fait monter la brume de la mer et sortir des combles les grandes chauves-souris sacrées des Zapotèques." p. 35-36
Au fond, nous n'en saurons jamais rien. A moins, qu'au contraire, Olivier Rolin nous livre la clé de l'énigme dans les derniers chapitres. A chaque lecteur de voir puisque, Veracruz, est la plongée dans l'univers illusoire de la littérature, où rien n'est tangible, où examiner le réel à la recherche d'une vérité fictionnelle est un piège, où les mots ne sauraient se résoudre à un message pas plus qu'à une gigantesque vacuité. Peut-être la littérature est-elle un peu de tout cela, peut-être n'a-t-elle rien à voir. Nulle réponse n'est proposée comme un dogme. La littérature est un vaste jeu de piste dans lequel il faut nécessairement s'amuser et crapahuter encore et encore pour découvrir quelques mystères un brin magiques. Jeu d'auteur et jeu de lecteur, donc, réjouissant à souhait et déroutant comme on les aime. L'un et l'autre danse une salsa folle à l'issue de laquelle chacun tire sa révérence avec panache et les secrets restent entiers :
"Il n'y aura jamais de paix. Ne croyez pas un mot de ce que j'ai écrit.
Laissez-moi, maintenant." p.121
Merci à Delphine Olympe pour m'avoir donné l'envie de ce livre !
8 commentaires
Rien ne me fait plus plaisir que de voir que tu as aimé ce texte que je trouve magnifique ! Ce qui m'a vallu une invitation sur FB, à laquelle j'ai répondu avec joie ;-)
Je suis bien contente que tu l'aies acceptée :)
Merci pour ces horizons littéraires que ton blog m'invite à découvrir !
Héhé en effet, ça semble pas mal ! Ton billet donne envie !
Je pense qu'il pourrait te plaire, ma douce ! L'interrogation autour de la littérature est très intéressante !
Ton billet me fait d'autant plus envie que je connais Veracruz et qu'il y a un film mexicain charmant qui y a été tourné : "Danzon" (là c'est une femme qui se cherche, rencontre des hommes et danse le danzon, une danse caribéenne). Je note !
Tu partiras donc avec une certaine idée de Veracruz, pour voyager ensuite dans bien d'autres espaces :)
"Baleine sous gravillon"...hihi, quelle expression charmante ! Ce roman a tout pour me plaire. J'aime bien quand l'auteur joue avec le lecteur :)
Héhé ! Alors là, indéniablement, tu seras servie, ma Topi !
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