Automne parisien : balade au XIXème siècle
30/10/2016
Paris et moi, c'est à peu près tous les ans ; comme une bouffée d'art et de vie citadine pour mieux savourer le reste de l'année ma Creuse solitaire et silencieuse. C'est un plutôt bon équilibre ; le meilleur moyen de savourer autant le départ que le retour. Deux (presque) nouveautés pourtant cette année : pour la première fois depuis une quinzaine d'années, je n'y voyageais pas seule et pour la première fois depuis huit ans, j'y voyageais en automne. J'avais totalement oublié le charme de Paris sous les couleurs particulières de l'automne, sublimées par un soleil purement lumineux - sans chaleur étouffante. Ça a été l'occasion d'arpenter paisiblement des lieux délaissés depuis longtemps : le jardin des plantes, le cimetière du Père-Lachaise, ou de retourner sur les lieux chéris que je ne manque jamais de contempler à chaque passage : le jardin du Luxembourg, le parvis de Notre-Dame. Point trop de monde en pleine semaine, malgré les vacances scolaires. Du temps pour apprécier, s'en mettre plein les yeux, se réjouir de ne pas être là toute l'année pour mieux admirer sans être blasée. C'est à peu près la réflexion que je me fais à chaque visite parisienne (tout comme je me la fais de plus en plus en revenant à Lyon) : un peu de manque favorise d'aimer toujours la ville comme au premier jour.
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Et bien sûr, comme chaque année, la visite fut égrainée de quelques expositions qui, sans le réfléchir, ont toutes eu pour point commun de mettre à l'honneur le XIXème siècle que j'affectionne tant.
"Soyez vous-même, les autres sont déjà pris" ©Oscar Wilde
Nous avons attaqué en beauté par la fin du siècle et l'ambiance décalée, un brin décadente de l'Angleterre victorienne d'Oscar Wilde au Petit Palais. En étoile exaltante et brûlante, tout s'organise autour de lui : tableaux, visages, écrits reflètent tour à tour sa personnalité, ses aspirations, son travail de critique d'art, de poète ou de dramaturge, mettent en scène ou illustrent son verbe autant que sa vie.
Je connaissais peu Oscar Wilde, finalement : une réputation sulfureuse pour l'Angleterre conformiste et corsetée, un unique roman passionnant, brillant et désabusé et ses fameux bas de soie qu'il exhiba avec malice sous l’œil d'un photographe new-yorkais. Le Petit Palais propose ici un voyage dans le sillage de cet "impertinent absolu", sans cliver la vie intime, la vie mondaine ou la création : tout se répond et correspond. Oscar Wilde y apparaît comme un dandy au goût prononcé pour la mise en scène et l'esclandre, mais aussi et surtout, comme un être complexe, attachant, d'une grande profondeur. Il est impossible de limiter Oscar Wilde à une seule et unique image en sortant de cette excellente exposition. Même celle de l'impertinent semble trop contraignante. C'est peut-être bien le goût de l'absolu qui, finalement, le définit le mieux.
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"Dix-huit ans de luxe, de joie de vivre, d'agitation, de gaieté, de galanterie et d'élégance incomparable. Pendant un temps - un temps trop court, hélas !-, on se serait cru revenu au XVIIIème siècle !" ©Le comte de Maugny
Changement de décor mais presque pas d'époque (puisque nous sommes toujours en pleine ère victorienne en Angleterre) ! il suffit de traverser la Manche (ainsi que la Seine présentement) pour débarquer dans le spectaculaire Second Empire du musée d'Orsay et s'en prendre plein les yeux.
Ce n'est clairement pas l'envers du décor qui a guidé le commissariat d'exposition : nulle trace du Second Empire de L'Assommoir. L'adjectif spectaculaire est bel et bien à prendre dans son sens étymologique : qui tient du spectacle. Le règne de Napoléon III a été de bout en bout mis en scène pour servir le pouvoir : la réfection de Paris sous la préfecture d'Haussmann, les manifestations publiques, les demeures, les grands magasins, les théâtres, les tenues somptueuses ou encore l'art, tout parle et reflète le pouvoir en place et le véhicule aux yeux de tous. En somme, on pourrait résumer (très grossièrement) la dynamique du Second Empire comme une ostentation assumée et incroyablement féconde. Le Musée d'Orsay offre au visiteur une promenade entre mille richesses - et même si de nombreux meubles et objets apparaissent aujourd'hui comme d'"écœurantes pâtisseries", on ne peut manquer d'être éblouis par tant de splendeurs, et être transportés dans un autre espace-temps.
J'ai adoré, en outre, retrouver certaines toiles que j'affectionne particulièrement, qui font pourtant partie des collections permanentes du musée mais que j'avais délaissées depuis trop longtemps : "Le déjeuner sur l'herbe" et le portrait de Zola par Manet. Quel délice !
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"Une ravissante nature morte de Fantin-Latour : un pichet de verre bleu et des fleurs si fraîches ; chaque tableau apporte avec lui un carré de silence et une raison à notre ramage intérieur de s'interrompre" ©Paul Claudel
Enfin, la dernière exposition est peut-être la moins spectaculaire, mais mérite le détour, ne serait-ce que pour découvrir un peintre largement méconnu - dont ne subsistent bien souvent que deux peintures de groupes, où trônent fièrement nos plus célèbres poètes, et quelques tableaux de liseuses. Le musée du Luxembourg lève le voile sur Fantin-Latour, un peintre à fleur de peau. Où l'on découvre un être très tôt travaillé, ou habité, par la peinture comme nécessité vitale, qui use des seuls modèles qu'il a sous le pinceau pour exercer son art : ses sœurs et son propre visage qu'il peindra inlassablement. Il s'expatrie en Angleterre et crée de nombreuses natures mortes qui lui vaudront progressivement une renommée. Ce qui, pour tant d'autres, n'est qu'un fastidieux exercice, est pour lui une source inépuisable d'inspiration. Où l'on découvre également un peintre qui souhaite renouveler la peinture mais n'adhère aucunement à l'impressionnisme et à l'idée neuve de sortir la peinture de l'atelier. Fantin-Latour poursuit donc, en solitaire, sa révolution en pratiquant la peinture de groupes (qui, après tout, le portera à la postérité).
Plus personnellement, j'ai découvert en Fantin-Latour un artiste partagé entre l'envie de saisir la vie telle qu'elle est, dans un réalisme parfois âpre (il ne fait pas de cadeau à sa femme à travers ses portraits) et la quête d'un idéal qui se révèle aussi dans son amour pour la musique de Wagner. Il finira d'ailleurs sa vie en développant une peinture d'imagination qu'il avait ébauchée dans sa jeunesse, comme autant d'illustrations de ses oeuvres musicales favorites. J'avoue que, sur ce point, j'ai beaucoup plus accroché à la personnalité de l'homme qui transparaît tout à long de l'exposition qu'aux partis pris de l'artiste. Sa dernière période ne m'a pas particulièrement pas transcendée. Mais c'était malgré tout intéressant de se frotter à un sujet auquel je n'étais pas acquise d'avance (et vous voyez que, finalement, c'est celui sur lequel j'ai le plus de choses à dire... Comme quoi).
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Inutile de dire que je rentre de ce séjour remplie de souvenirs charmants mais aussi de nombreuses lectures... On ne se refait pas, surtout quand on se frotte à chaque sortie d'expositions à des librairies de musées grassement achalandées et, à l'extérieur, à des librairies d'occasion tout aussi achalandées... Ceci, néanmoins, sera l'affaire d'autres billets !...
18 commentaires
Han, quel merveilleux billet !! Et je suis heureuse de voir que ce séjour ait été riche en découvertes pour toi. L'expo sur Wilde me donne particulièrement envie !
Je te confirme qu'elle était passionnante et très instructive ! J'ai très envie de lire des textes de Wilde du coup ! En as-tu lu, ma douce ?
Quel beau programme !
Pour ma part, j'irai voir l'expo sur le Second Empire avec mon aîné : la deuxième fois qu'il me la réclame !!!!!
Aaaah quelle chance, s'il te la réclame !! Si c'est une période qui vous intéresse tous deux, vous ne devriez pas être déçus : elle est éclatante et passionnante ! J'espère que tu nous en diras des nouvelles sur ton blog !
Tu as bien fait de consigner tous ces moments ici ! Cela donne envie !
Merci Moka ! Et vois-tu, tu m'as inspirée aussi : j'ai cueilli "Le passage du diable" d'Anne Fine chez Gibert ^^
j'avais justement un hors série de magazine sur Oscar Wilde en mains cet après midi, intriguée je suis, intriguée je reste puisque je l'ai reposé mais j'aimerais beaucoup lire "le portrait de Dorian Gray"... à suivre en tout cas votre article me donne envie de retourner dans ma librairie préférée !
J'en suis ravie, Delphine ! Le portrait de Dorian Gray mérite à coup sûr d'être lu ! J'espère que vous aurez l'occasion de le dénicher sous peu - et d'aller voir l'expo aussi, qui sait !
Les romans de Mary Hooper sont vraiment très chouettes, tu vas adorer j'en suis sûre ! Sinon, merci pour cette jolie présentation de ces alléchantes expositions. Je comptais bien visiter celles sur Wilde et Fantin-Latour mais je suis plus réservée sur celle d'Orsay. Comme tu dis, "pas l'envers du décors" ... Disons que j'ai l'impression d'avoir déjà vu ce genre d'expo ...
Je connais déjà Mary Hooper et je l'aime beaucoup en effet ! J'ai hâte de poursuivre la découverte de ses autres romans.
On peut déplorer, en effet, que l'envers du décor ne soit pas traité dans cette exposition sur le Second Empire... Et plusieurs tableaux exposés font déjà partie des collections permanentes du Musée d'Orsay. Toutefois, l'ensemble (avec de nombreux meubles et photos) vaut le détour. Peut-être que le côté moins "spectaculaire" de cette période fera l'objet d'une autre exposition, dans les prochaines années... :)
je suis comme toi, j'ai aussi "besoin" de Paris de temps en temps! Beau billet et jolies découvertes !
Il y a un côté addictif à la beauté, la culture, l'art et la folie de Paris !
Mais tu donnes envie! :) J'habite en banlieue et ne profite jamais de tout ça par manque de temps, flemme, sidération face aux énergumènes du RER, tout ça. Mais c'est dommage. Il y a une vraie richesse culturelle à Paris dont il faudrait profiter.
J'ai le portrait de Zola dans ma bibliothèque, devant ses bouquins ! ^^
J'ai également le portrait de Zola dans ma bibliothèque, héhé !
Je comprends ton manque de motivation si tu habites en banlieue... C'est clairement une des raisons qui ne me fait pas regretter de ne pas être parisienne. Vu mes revenus, je me retrouverais contrainte d'habiter hors du centre pour espérer habiter une surface décente et, au final, je finirais pas ne plus venir si souvent dans le dit-centre, tant les transports en commun, le monde, le bruit, finissent pas pourrir au quotidien les attraits que Paris revêt encore pour l'oeil du touriste !
Ah oui, quand tu rentres de Paris, tes bras sont bien chargés!
C'est le moins qu'on puisse dire !
Je vois que nous avons quelques habitudes et/ou amours communes à Paris : Notre-Dame a longtemps été un "rendez-vous" parisien (grâce à l'amie qui m'a menée à Wilde et à qui je ne manquerai pas de penser en allant voir l'expo à mon tour), et le parc du Luxembourg est celui qui a ma préférence depuis la première visite estivale que j'y ai faite.
On ne peut pas dire que l'envie s'était "éteinte", mais tu ravives tout de même celle de voir cette expo Wilde, j'ai hâte ! Et tu me rends un peu curieuse de Fantin-Latour, je verrai si ça se combine aux autres tentations.
Tu prévois un passage prochain sur Paris ? J'espère que tu auras l'occasion d'y voir ces deux belles expos, ainsi que de retourner dans ces lieux incontournables que nous avons en commun !
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