Les rendez-vous manqués de l'hiver
18/02/2017
Je dois bien avouer que je n'ai pas à me plaindre de mes lectures ces derniers temps. L'hiver est plutôt florissant en riches découvertes et j'ai rarement eu autant de coups de cœur en si peu de temps (certains billets sont encore à venir).
Pourtant, toute période de chance à ses limites et entre mes lectures fabuleuses se sont glissés à l'occasion quelques ouvrages moins palpitants. J'avais projeté initialement de les passer à la trappe du blog mais le partage de mes plantades estivales avait été l'occasion d'échanges plutôt chouettes en août dernier. Je réitère donc l'expérience !
Corps désirable de Hubert Haddad, Zulma, 2015, 176p.
Après le très beau Peintre d'éventail puis le coup de cœur total de Mā, j'étais partie pour dévorer l'oeuvre de Hubert Haddad dont j'avais adoré la grande poésie, précieuse, fine et subtile. Je me suis donc lancée avec ce Corps désirable paru en même temps que Mā.
Dans ce court roman, Cédric Allyn-Weberson, un journaliste engagé en rupture totale avec son père, magna de l'industrie pharmaceutique, se retrouve entre la vie et la mort après un accident. Sa compagne fait appel au richissime paternel pour permettre à Cédric de bénéficier d'une greffe audacieuse dont il sera le cobaye : greffer sa tête sur un nouveau corps. C'est, d'après le scénario, sa seule chance de survie. Le roman déroule alors cette opération et la lente rémission de Cédric, sa tentative pour apprivoiser son nouveau corps et sa quête pour découvrir l'identité du donneur.
Avec ce roman, c'était pour moi l'occasion de découvrir Haddad dans un univers totalement différent du Japon. Voir comment son style tant apprécié allait se dépatouiller d'un propos flirtant avec la science-fiction. Disons le très clairement : c'est un échec cuisant. Cette pseudo-idée de greffe sensationnelle n'avait déjà pas grand chose de vraisemblable scientifiquement mais le peu de crédibilité que la littérature aurait pu y apporter vole littéralement en éclat sous la plume d'un Haddad poussif et prétentieux qui rend le tout d'un ridicule sans commune mesure. c'est too much du début à la fin. Les éléments de réflexion sont certes d'une évidemment nécessité et ne manquent pas d'intérêt mais ils sont noyés dans un flot d'onanisme littéraire dommageablement ampoulé. Comme quoi, on a beau être talentueux, se regarder écrire est une erreur à la portée de tous.
*
Dans une toute autre rubrique, comme les élèves, j'ai mes passages obligés : Ces classiques que je croise souvent mais que je n'ai jamais lus. Cet hiver, j'ai eu l'occasion de me frotter à plusieurs d'entre eux, tous assez courts. Deux me sont apparus plutôt décevants.
Premier amour d'Ivan Tourgueniev, Le livre de poche, 1976[1860], moins de cent pages au sein du recueil (disponible en livre audio gratuit sur internet)
A la fin d'une soirée, quelques amis sont mis au défit de raconter leur premier amour. Vladimir Petrovitch, le seul à avoir visiblement une expérience intéressante à partager, décide de la coucher par écrit. Il avait alors seize ans à l'été 1833. Dans une villa louée par ses parents, où il procrastine joyeusement avant d'entrée à l'université, il croise un beau soir Zinaïda et en tombe follement amoureux. La jeune fille est d'une grande beauté mais se plait à jouer de son attrait auprès des hommes et se montre volontiers glaçante et manipulatrice malgré les rires et les amusements. Zinaïda est la séductrice parfaite, entre le chaud et le froid, la complicité et l'indifférence. Jeune lapin de six semaines, notre narrateur se laisse prendre à ce jeu dangereux. Il se perd dans sa passion et s'inquiète sans cesse de celui qui aura la préférence de Zinaïda parmi tous ses prétendants. Car elle semble bel et bien glisser doucement vers l'amour... mais pour qui ?
La Vénus d'Ille de Prosper Mérimée, GF Flammarion, 2007[1837], moins de 100 pages dans le recueil (disponible en livre audio gratuit sur internet)
Un antiquaire, qui sera notre narrateur, vient passer quelques jours chez M. de Peyrehorade afin que celui-ci lui fasse visiter les ruines antiques de la région. Il apprend fortuitement que son hôte a découvert récemment une statue de Vénus d'une éblouissante beauté qu'il a installée dans son jardin. M. de Peyrehorade étonne par sa personnalité truculente et par sa fascination pour la statue, au point qu'il décide de marier son fils un vendredi afin que Vénus guide le mariage. C'est pourtant un mauvais présage selon la sagesse populaire. Et en effet, le narrateur constate quelques phénomènes étranges liés à cette magnifique Vénus, qu'il explique finalement de façon parfaitement rationnelle. Jusqu'au jour du mariage où un anneau oublié au doigt de la déesse scelle le destin de quelques personnages...
Je n'aurais pas la prétention d'avoir à redire sur le style d'écrivains aussi reconnus que Tourgueniev ou Mérimée. Je dois pourtant bien avouer que ces deux lectures ont été des rendez-vous manqués. L'une comme l'autre m'ont laissée ennuyée et/ou dubitative.
La nouvelle de Tourgueniev est éminemment romantique : le narrateur, adolescent, nourrit un amour démesuré, passionné pour une jeune fille qui a tous les atours de la pimbêche prétentieuse. Les personnalités de l'un et de l'autre m'ont fortement agacée et je n'ai que peu goûté aux élans disproportionnés de chacun des personnages qui fleuraient bon ce qui est aujourd'hui un cliché. Il faut avouer aussi à ce stade de mon avis parfaitement partial que je suis peu cliente des œuvres romantiques de cet acabit, préférant de loin que la dynamique hyperbolique de ce courant s'illustre dans d'autres registres que l'expression du sentiment amoureux.
Quant à La Vénus d'Ille que j'étais ravie de découvrir, grande friande de littérature fantastique que je suis, je me suis ennuyée quasiment de bout en bout. Le surgissement du surnaturel m'a semblé trop ténu pour créer véritablement une atmosphère angoissante ou un doute quelconque tandis que la fin de la nouvelle me semble trop flagrante en comparaison. Il semble que l'on passe de presque rien à tout en un claquement de pages. Sans compter de très longs passages sur des questions de traduction latine passablement indigestes qui auraient pu être raccourcis pour obtenir le même effet de questionnement. Bref, une fois n'est pas coutume, j'ai raté ma rencontre avec un grand titre fantastique.
Finalement, si d'aucuns parmi vous ont lu et apprécié l'un ou quelques-uns de ces trois titres, je serais ravie d'en apprendre plus sur ce qui m'aurait échappé. Puisque chacun des auteurs ici présents est connu pour son grand talent, j'ai forcément dû manquer quelque chose ! Bon samedi à tous ! (PS : puisqu'il s'agit du seul week-end où toutes les zones scolaires sont en vacances, je souhaite, pour l'occasion, d'excellentes vacances à tous mes amis profs !)
6 commentaires
Je garde un bon souvenir de La Vénus d'Ille. Je l'avais lu en 4e, avec du Maupassant, et j'avais préféré Maupassant mais tout de même aimé. Je découvrais le fantastique avec ces lectures et ça a été super-méga-structurant dans mes goûts! J'y pensais ces derniers temps d'ailleurs suite à des réflexions sur Zola – plein de gens disant qu'ils ont été dégoûtés des classiques par leurs profs de français – et je me disais que cette prof m'a marquée même si je ne garde pas un bon souvenir de son enseignement (l'impression qu'on faisait de la grammaire plutôt que la littérature par exemple, et puis qu'elle n'avait aucune autorité sur les redoublants et que ses cours étaient donc chaotiques); je lui dois vraiment le début de mon intérêt pour le fantastique et les auteurs du XIXe.
Enfin bref, tout ça pour dire que vous jouez un vrai rôle dans la vie de vos élèves, les profs :p
J'ai relu La Vénus d'Ille il y a quelques années mais là, aucun souvenir! ^^
Figure-toi que, pour ma part, je n'ai que peu de souvenirs de mes lectures au collège... Mais je crois tout de même que c'est ma prof de 4e qui m'a incitée à aller fouiller dans les rayons poésie du CDI (ça m'étonnerait que j'y sois allée de moi-même). Donc je lui dois bien quelque chose aussi ! Sinon, j'ai adoré l'autre prof que j'ai eu les trois autres années mais je garde un plutôt mauvais souvenir des lectures qu'elle nous servait, toujours plus ennuyeuses les unes que les autres, à l'exception du théâtre en 3e.
Mille mercis, malgré ma piètre expérience de lectures de collège passées à la trappe, de me donner un peu l'espoir que je ne fais pas que passer comme un météore inutile dans la vie de mes élèves. J'espère que, comme toi, dans quelques années, certains se rappelleront de Dracula ou de Frankenstein et se diront ; "tiens, c'est ma prof de français qui m'avait fait découvrir ça" ^^
Je rejoins Alys sur beaucoup de points, Venus d'Ille lue en 4e, qui m'a parue d'une extrême fadeur au regard de Maupassant... Avec le recul, je me rends compte que de mon côté, c'est le prof qui a pu faire passer la pilule, il s'est debrouillé pour rendre ca intéressant via des travaux d'écriture.
A l'époque, je lisais beaucoup de science fiction, le fantastique n'apparaissait comme un "truc de vieux", qui ne me sortait pas assez de la réalité. C'est ce prof qui a tout changé, et ensuite j'ai adoré !
C'est clair que face à la SF ou à la fantasy, le suspens du fantastique fait pâle figure ! Mais avec les années, on se surprend à apprécier de plus en plus la subtilité ! (faut croire que le fantastique, c'est donc bel et bien un truc de vieux... :D)
Comme toi, pas accroché du tout à "Corps désirable" :)
Je ne suis donc pas la seule, tu me rassures !
Les commentaires sont fermés.