Le nouveau nom d'Elena Ferrante
17/07/2017
Abolissons tous les filtres qui nous empêchent de jouir pleinement et véritablement de l'hic et nunc. p.293
Il y a des périodes comme ça, où on sent que les lectures vont être bonnes. D'habitude, ce n'est pourtant pas mon cas en été : alors même que j'ai tout mon temps, je ne le vois pas passer ; je lis peu et tout ce que je lis me tombe peu ou prou des mains. Bref, souvent en été, je regarde ma bibliothèque avec une mine ennuyée. Mais cette année, c'est différent ; mon état d'esprit est différent. J'ai envie de profiter à fond de chaque seconde. Je me baigne dans un carpe diem à la guimauve et j'adore ça. Ca vaut toutes les piscines du monde.
Premier plongeon dans la dite-piscine : Le tome 2 de la saga italienne initiée avec L'amie prodigieuse que j'avais beaucoup aimé l'an dernier. Je n'en avais pas fait un coup de cœur sur le moment, pourtant je l'avais recensé comme tel dans mon bilan de fin d'année. Bizarre... Il faut dire qu'immédiatement après lecture, mon esprit objectif avait bien saisi les petites faiblesses du roman mais avec le recul, j'ai surtout retenu ce bouillonnement d'un quartier pauvre de Naples si merveilleusement rendu et l'ambivalence addictive de l'amitié entre Lila et Lenù. En somme, malgré moi et mon esprit d'analyse, j'étais mordue comme tout le monde, un point c'est tout.
Si rien ne pouvait nous sauver, ni l'argent, ni le corps d'un homme, ni même les études, autant tout détruire immédiatement. p. 23
Le tome 2 s'imposait donc et, qu'on se le dise, il est encore plus addictif que le précédent ! Sans transition, on récupère l'histoire des deux amies là où elle s'était arrêtée, c'est à dire le jour du mariage de Lila et Stefano. Celle-ci comprend que son mariage sera un échec alors que la fête n'en est pas encore terminée. Lenù est, quant à elle, toujours tiraillée entre ses aspirations amoureuses et intellectuelles et son quartier d'origine, ce milieu pauvre à tout point de vue qu'elle traîne malgré elle. L'une et l'autre sont prisonnières à leur manière : A vouloir évoluer et s'émanciper, Lila se retrouve empêtrée dans une union cruelle et sans véritable amour (mon Dieu que la condition de la femme à cette époque et dans ce milieu-là fait froid dans le dos !) et Lenù éprouve chaque jour que son acharnement au travail ne masque pas son inculture fondamentale. Pour les deux amies, qui sont toujours le miroir inversé l'une de l'autre, qui s'attirent et se repoussent, s'aiment et se détestent, devenir soi-même, se réaliser en tant qu'être à part entière - impulsion relativement nouvelle pour le Naples pauvre des années 50-60 - se révèle décidément un parcours semé de doutes et de blessures terribles.
En quelques années, Lila avait provoqué tellement de choses ! Et pourtant, maintenant que nous avions dix-sept ans, on aurait dit que la substance du temps n'était plus fluide mais avait pris un aspect poisseux, il semblait tourner autour de nous comme la pâte jaune dans le robot d'un pâtissier. p. 145
Plus long de presque deux cents pages par rapport à L'amie prodigieuse, je n'ai pourtant pas vu le temps passer. Quelques longueurs subsistent, certes - le séjour à Ischia est trop long, il faut l'avouer - mais elles pèsent assez peu et ne ralentissent en aucune façon le rythme soutenu de la lecture addictive. On se détache doucement dans ce titre des querelles de l'enfance et de la fusion irrationnelle des premières amitiés pour mettre en regard et en résonance les constructions des deux protagonistes, et au-delà d'elles, la construction d'une nouvelle société. Les discussions sur l'évolution du monde prennent de plus en plus de place dans la bouche de Pasquale, l'ami d'enfance communiste, et dans celles des intellectuels que fréquente Elena au lycée puis à l'Ecole Normale. Par opposition, l'organisation sempiternellement identique du vieux quartier pauvre, avec les Solara comme point financier névralgique, semble atteindre un âge d'or aussi intense que bref. Rapidement, tout retombe en déliquescence. Seuls ces derniers se sortent à peu près bien de la dégringolade, certes grâce à l'argent, mais surtout car ils n'ont aucun scrupule à évoluer. Le nouveau nom, c'est la photographie d'un monde qui bouge à l'heure de ses premiers mouvements, et c'est admirablement bien rendu. Chaque frémissement pris isolément semble insignifiant et anecdotique mais l'ensemble dessine la cartographie d'une nouvelle ère et interroge, du même coup, la validité des mots dans tout ça.
Le cinéma, les romans, l'art ? Comme les gens changent vite, et comme leurs centres d'intérêt et leurs sentiments sont éphémères ! Des discours bien construits sont remplacés par d'autres discours bien construits ; le temps charrie des flots de paroles qui ne sont cohérents qu'en apparence, et plus on a de mots plus on continu à en amasser. p. 418-419
Pour toutes ces raisons et parce qu'Elena Ferrante a le don sublime de rendre vivant ce qu'elle écrit, je n'ai pas besoin d'un peu de délai pour faire de cette lecture un coup de cœur. La seule question qui subsiste est : vais-je attendre la sortie en poche du tome 3 ou vais-je aller le piquer à la bibliothèque dans les prochains jours ?...
12 commentaires
Le second tome est de loin mon préféré, sûrement parce que je me rapproche de l'âge de Lila et Lenu, que ça m'a rappelé des souvenirs un peu malheureux de ma propre vie et surtout Lila ne cesse de m'inspirer grâce à sa résilience et sa force !
Pour ma part, je ne me suis pas identifiée aux personnages qui me semblent avoir une vie beaucoup trop éloignée de la mienne mais c'est vrai que certains détails ont pu faire écho à des ressentis durant mon adolescence (toutes proportions gardées, bien sûr) ! Tu as raison, Lila fait preuve d'une incroyable résilience ! C'est sans doute ce qui rend ce personnage si attachant : elle est finalement très humaine malgré cette posture de tigresse qu'elle entretient !
Fonce à la bibli ! Le troisième est encore meilleur ! Tant qu'à te prélasser dans un bain doucereux de carpe diem, lâche-toi, vas-y à fond! :-)
Ahahhhh ! Merci de cette invitation à la farniente ! il n'y a décidément rien de mieux !
Cela à l'air bien. Je viens tout juste d'acheter le tome 1 en poche sur les conseils de ma libraire. Je termine le tome 1 du Pays du nuage blanc qui se déroule en Nouvelle-Zélande et je vais peut-être ensuite me laisser tenter pour un petit voyage littéraire en Italie...
Ta libraire est d'excellent conseil ! Tu devrais beaucoup aimer ce voyage en Italie. Je ne connais pas le roman que tu évoques, qui se déroule en Nouvelle-Zélande, par contre. J'espère que tu nous en diras des nouvelles sur ton blog !
J'ai énormément aimé le premier tome de cette série également, et les deux suivants m'attendent dans ma bibliothèque. Comme toi, j'ai une envie de pavés cette été alors que ce n'est pas la saison où j'arrive le plus à lire en général.
Bon là, en l'occurrence, j'ai attaqué un roman de taille fort modeste ! Mais peu importe : c'est pas la taille qui compte, mais l'envie de lire !
Rho mais je suis justement en train de rédiger mon billet sur ce tome 2 prodigieux !!
On est synchro !! Je vais vite te lire, de ce pas !
Et j'en tire la même envie que toi à la fin de cette lecture : foncer lire le 3e tome ! Tout en voulant faire durer cette saga magique...
Voilà... Finalement, je ne me suis pas précipitée sur le tome 3... Je préfère faire durer ^^
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