Légende d'un dormeur éveillé de Gaëlle Nohant #MRL17
23/10/2017
Tradition automnale depuis quelques années : participer aux matchs de la rentrée littéraire de #PriceMinister. J'affectionne particulièrement ce rendez-vous annuel, quand bien même j'ai accumulé les déceptions ces trois dernières années (le pompon revenant au roman de l'an dernier que j'avais galéré à finir).
Pour cette nouvelle édition, je n'ai aucunement hésité sur le choix à faire. J'avais déjà repéré ce titre à paraître de Gaëlle Nohant à la fin du printemps tant le sujet, c'est à dire ce fameux dormeur éveillé, m'est passionnant : Robert Desnos, poète surréaliste aux yeux si clairs et si myopes qu'on le dirait perpétuellement entre le sommeil et l'éveil. Et en lisant ce roman, très franchement, on rêve nous aussi de cet homme et de son univers flamboyant d'humanité.
Le miracle de l'instant, l'éternité de ce qui va mourir.
Desnos y apparaît truculent, entier dans ses amours passionnées et ses idées, farouchement libre et désireux de vivre sans compromission. C'est l'homme qui ne dort pas de plusieurs jours, allant de fêtes en rédactions de critiques littéraires et musicales, pour mieux plonger ensuite dans un sommeil hypnotique dont émergeront les plus beaux aphorismes de Rrose Sélavy. C'est celui qui préfère se priver de manger décemment et de fumer pour vivre de poésie et d'amour. C'est encore celui qui dit merde à André Breton, au parti communiste ou à la Collaboration, considérant que la liberté vaut cent fois la sécurité et qu'une paix sans liberté n'est jamais que le joli nom de l'asservissement. De toute cette vie faite d'éblouissements et de douleurs, il tire encore, un matin de février 1944, la force d'accepter dignement le sort réservé à la plupart des résistants et de s'inquiéter surtout de sa Sirène. Il mourra un mois jour pour jour après la fin de la guerre, dans une infirmerie russe. Le typhus aura raison de lui.
Pour lui, l'écriture est ce territoire mouvant qui doit se réinventer sans cesse, demeurer une insurrection permanente, une fontaine de lave, des corps joints dans la danse ou l'amour, une voix qui descelle les pierres tombales et proclame que la mort n'existe pas, une expérience sensorielle.
Evidemment, le fantasme tient une part aussi large que la documentation historique dans ce genre de livres, et c'est ostensiblement assumé par Gaëlle Nohant. Ce Robert, c'est le sien, qu'elle a nourri au fil d'années de fréquentation assidue de ses œuvres et d'œuvres des autres - un Robert un brin rêvé et pourtant tellement humain tel qu'il devait voir lui-même chaque objet du monde. Je n'ai pas tout aimé chez lui, loin de là. Je l'ai souvent trouvé imparfait dans ses emportements et ses affections féminines en dépit du bon sens, entre autres. Dire cela, c'est dire que j'ai aimé le personnage rugueux que Gaëlle Nohant a fait de lui, qui restitue à merveille les années troublées qu'il traverse alors. La pondération avec laquelle l'auteure brosse par ailleurs le Paris occupé, sans affirmation tranchée ni péremptoire, m'a semblé un choix judicieux et intelligent. Au final, je n'ai été un brin déçue que par la fin : dès lors, sans doute, que le matériau historique manque pour soutenir un récit qui continuerait à suivre Desnos après son arrestation, Gaëlle Nohant passe le flambeau narratif à Youki, la compagne du poète. Ce long journal, trop anecdotique à mon goût, beaucoup moins gorgé de sève et moins poétique dans sa langue aussi, n'a pas su m'embarquer comme l'avaient fait les quatre-cents pages précédentes.
"De lui se dégageait une grande puissance de refus et d'attaque, en dissonance frappante - il était très brun -, avec le regard étrangement lointain, l'oeil d'un bleu clair voilé de "dormeur éveillé" s'il en fut." (André Breton à propos de Desnos, cité par l'auteure)
Je garde, malgré tout, c'est-à-dire malgré ce micro-bémol très subjectif, une impression encore très vivace, très physique de cette lecture qui m'a passionnée et, surtout, je remercie cent fois l'auteure pour m'avoir fait redécouvrir la poésie de Desnos dont je méconnaissais tellement de textes brûlants, agités et engagés. Quel plaisir de lire des extraits du poète au gré de la prose du roman comme autant d'échos entre l'amoureux des mots d'hier et ceux d'aujourd'hui ; comme autant d'invitations à désobéir, c'est-à-dire à ne jamais abdiquer ce devoir d'être absolument libre.
- On ne peut dompter la nature qu'avec son consentement, répond seghers avec un grand sourire. Tous les poètes le savent.
- Et la nature de l'homme n'est pas de ramper devant les tyrans, murmure robert. Sans quoi nos genoux seraient couverts d'écailles.
8 commentaires
Oh tu me les prêtes, dis, tu me le prêtes ? Jeudi ? J'en prendrai grand soin.
C'est fait ! :D Au passage, ce fut une joie de te rencontrer ! J'ai hâte que l'on remette ça ; peut-être à l'occasion de l'expo France-Mexique du musée des Beaux-Arts ?
J'espère que le roman de Nohant te plaira, en attendant !
Douces bises*
Un titre que j'ai repéré et qui me donne terriblement envie !
Ton article est très beau !
Merci Moka ! Ce roman te plairait, j'en suis sûre !
Il est magnifique ton billet, ton micro-bémol me titille un peu, je pense que tu es la seule de la seule des billets que j'ai lu sur ce livre qui émette une réserve, du coup, bon bah c'est bien, au moins je ne pars pas dans l'idée du roman parfait.
"ce devoir d'être absolument libre" c'est tellement enthousiasmant. Oserai-je t'avouer que je ne connais pas du tout la poésie de Desnos ?
Il est noté, renoté.
Alors, lire ce roman sera l'occasion de découvrir aussi la poésie de Desnos ! C'est parfait : d'une pierre, deux coups !
j'ai aussi très envie de le lire et j'avais beaucoup aimé La Part des flammes!
Pour ma part, j'ai hâte de découvrir "La part des flammes" maintenant, du coup !
Les commentaires sont fermés.