La Passe-Miroir 1 - Les fiancés de l'hiver de Christelle Dabos
21/02/2018
La passe-miroir, donc. LA série fantasy française actuelle dont tout le monde parle, c'est-à-dire même ceux qui habituellement ne sont pas fans de cette littérature-là. Ça pose les choses d'emblée. Il faut dire, franchement, que la couverture dépote. Gallimard n'a pas mis le dernier des graphistes sur le coup. Avec un tel argument et une quatrième de couverture fort alléchante, ce n'était qu'une question de temps avant que j'aille y mettre mon museau. L'occasion s'est présentée un beau matin de décembre, sur l'inspiration d'Ellettres pour une lecture commune. Que tu as toujours de bonnes idées, copinette ! (Pour ceux qui veulent lire son billet, c'est par ici au passage).
On dit souvent des vieilles demeures qu'elles ont une âme. Sur Anima, l'arche où les objets prennent vie, les vieilles demeures ont surtout tendance à développer un épouvantable caractère.
Quelles premières phrases délicieuses ! Me voilà propulsée que Anima, cette arche - vestige de l'Ancien Monde dont l'unité mythique n'est plus qu'agrégat d'arches disséminées autour d'un noyau volcanique - où les hommes et les choses dialoguent au quotidien. Ainsi, les bâtiments râlent, les écharpes se rebellent et les miroirs sont traversés par ceux qui savent se voir tels qu'ils sont. Ophélie est de celle-ci, anti-héroïne mal fagotée, socialement inadaptée (ou presque) au caractère cependant bien trempé. Elle n'a que faire du mariage et autres préoccupations futiles. Ophélie se plait dans la solitude de son musée et réveille le passé des objets à son contact. Elle est la liseuse d'Anima.
Lire un objet, ça demande de s'oublier un peu pour laisser la place au passé d'un autre. Passer les miroirs, ça demande de s'affronter soi-même. Il faut des tripes, t'sais, pour se regarder droit dans les mirettes, se voir tel qu'on est, plonger dans son propre reflet. Ceux qui se voilent la face, ceux qui se mentent à eux-mêmes, ceux qui se voient mieux qu'ils sont, ils pourront jamais. Alors, crois-moi, ça ne court pas les trottoirs !
Il lui faut pourtant courber l'échine et accepter le sort que les doyennes de l'arche ont décidé pour elle : se marier à un étranger que nul de connaît et partir loin au nord, sur l'arche du Pôle, vers un inconnu plus terrifiant qu'autre chose. Il faut dire que Thorn, le soupirant, n'a rien d'engageant : démesurément grand pour Ophélie, sec, pâle et renfrogné, il se montre d'une rudesse décapante à l'égard de tous, y compris d'Artémis, l'esprit de famille d'Anima. La température s'annonce glaciale - au propre comme au figuré tant le Pôle porte bien son nom. Y règne un éternel hiver que les habitants de la capitale, la Citacielle, contrent par quelques enchantements de l'espace assez fascinants. Les bêtes y sont géantes et les esprits machiavéliques au possible. Ophélie ne sait trop à qui se fier, n'a personne à qui parler vraiment, et se retrouve rapidement la cible de quelque complot qui la dépasse. Fidèle à elle-même , c'est-à-dire à ce qui fait d'elle une passe-miroir, elle se bat pourtant pour surmonter les épreuves et avancer avec intégrité.
Honnêtement, on m'avait beaucoup dit que le début était lent et qu'il fallait s'accrocher avant de se laisser embarquer mais, pour ma part, ce premier tome a fonctionné d'emblée. J'ai aimé l'ambiance d'Anima, ces maisons qui craquent, ces objets facétieux et cette Ophélie pas superficielle pour deux sous. Cliché d'intello sur les bords, sans doute - mais ni timorée ni empotée comme on caricature souvent les filles à lunettes rat de bibliothèques. Ophélie se fiche simplement d'accorder du temps aux superficialités, un point c'est tout, et j'ai aimé ça. A côté de ça, elle ne se laisse pas marcher sur les pieds, et j'ai aimé ça aussi.
L'un d'eux la traita de "mal nippée" et un autre de "sac à patates binoclard". Ophélie espérait que son fiancé se ferait les mêmes réflexions tout à l'heure.
Par la suite, le personnage de Thorn et l'évolution de sa relation avec lui - évidemment à peine à ses prémices dans ce premier tome : Christelle Dabos sait nous faire saliver en attendant la suite ! - est un autre gros point fort du roman. Fumage de moquette ou pas (à vous de me le dire), j'y ai vu une excellente réécriture version fantasy ado du couple mythique Elizabeth Bennet/Darcy. Même esprit indépendant, fin, intègre et un brin frondeur d'un côté ; même abord froid, orgueilleux, cinglant et pourtant de plus en plus attendri de l'autre. Comment vous dire ? J'ai évidemment envie de savoir comment tout cela va évoluer, pour savoir si je me fourvoie totalement dans ma lecture néo-austienne de la saga ou pas.
Ophélie avait fini par comprendre que ce n'étaient pas les illusions des Mirages qui déformaient les lois de la physique dans la Citacielle ; c'était le prodigieux pouvoir de la Mère Hildegarde. Si les chambres du Clairdelune étaient plus sûres que des coffres-forts, c'était parce que chaque tour de clef les enfermait dans un espace clos, c'est-à-dire coupé du monde, absolument inviolable.
Enfin, je ne peux clore cette chronique sans évoquer l'imagination spatiale complètement délirante et envoûtante de l'auteure. Des séries de fantasy, il y en a des tonnes et, en creusant bien, on se rend compte qu'elles finissent toujours par épuiser le même genre de filons. C'est le cas aussi, à bien des égards, de La passe-miroir, ne nous mentons pas. Pourtant, ces espaces-là que crée Christelle Dabos sont uniques. Au-delà de l'argument magique qui illumine nos esprits enfantins, elle en dessine des ramifications complexes, souvent angoissantes : le lieu se fait métaphore des personnages et de leurs interactions - cartographie des êtres et de leurs illusions.
A force de voir des illusions, il [le regard d'Ophélie] avait perdu les siennes et c'était très bien comme ça. Quand les illusions disparaissent, seule demeure la vérité. Ces yeux-là se tourneraient moins vers l'intérieur et davantage sur le monde. Ils avaient beaucoup à voir, beaucoup à apprendre.
Vous l'aurez compris, le deuxième tome est à suivre prochainement, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Saurais-je seulement attendre sa sortie en poche en mars prochain ?
10 commentaires
ce n'est vraiment vraiment pas mon genre mais tu me tentes!! J'aurais bien voulu le refourguer à mon fils de 12 ans mais il lit peu et ce n'est pas son genre non plus... Par rapport à l'âge, qu'en penses-tu?
J'en pense que c'est tout à fait lisible à cet âge-là, mais il faudrait plutôt être bon lecteur tout de même car les tomes sont plutôt épais ! Cela dit, l'histoire est simple et se lit très bien, le style est accessible sans problème. A-t-il aimé Harry Potter ? Si oui, ça ne posera aucun problème et ça pourra le botter carrément !
Quant au fait que ce n'est pas trop ton genre de lectures, je t'invite à aller lire le billet d'Ellettres, de qui ce n'est pas trop le genre non plus, et qui ne lit même pas beaucoup de littérature ado. Elle a tout de même beaucoup aimé malgré un départ en demi-teinte donc... ^^ J'aurais tendance à dire que ça se tente quand même !
Merci Lili pour ces infos et ton ressenti. Oui, il aime Harry Potter mais le pavé va le rebuter, c'est sûr.
Oh, pourtant, les tomes de Harry Potter sont de sacrés pavés aussi pour certains, bien pire que ceux de La Passe-Miroir ! A voir du coup :)
Je viendrais lire ton billet quand j'aurai lu mon livre. Je l'ai acheté il y a un moment, mais il traîne toujours dans ma PAL même si je meurs d'envie de le lire.
C'est toujours comme ça : on attend le bon moment qui met parfois longtemps à venir ! J'espère qu'il te plaira ;)
Ah la Passe-Miroir lue de concert avec toi, ça nous a une autre saveur ! J'ai définitivement dû passer le miroir des préjugés, mais me voilà mordue ! J'ai d'ailleurs entamé le tome 2 sans t'en avertir... Rassure-toi, je n'en suis qu'aux premières pages (c'est qu'il faut que je le rende bientôt à la bibli !) Alors, d'accord pour repartir sur une LC du livre 2 ? ;-)
Evidemment que je suis d'accord ! Je l'entame à mon tour dès que possible ! A très vite pour de nouvelles discussions passionnantes :*
Ton billet m'avait intrigué, je reviens aujourd'hui pour te dire que tu m'as convaincue. J'ai acheté le roman et suis en train de le dévorer... Je l'ai commencé hier et je suis d'emblée rentrer dans l'histoire. Pour l'instant, je trouve l'histoire envoûtante et j'aime particulièrement le personnage féminin principal tout comme ses dons. Je ferai aussi un billet dès que j'aurais terminé. As-tu l'intention de lire prochainement Le maître des illusions? Si oui, serais-tu intéressée par une LC? J'ai bien envie de me laisser tenter, peut-être serais-je plus motivée à rédiger un billet sur mon blog... Allez bises!
Je suis ravie de t'avoir donné tant envie !! Tu m'en diras des nouvelles !
Avec plaisir pour une LC du Maître des illusions. Un billet dans la dernière moitié de septembre, ça t'irait ? Comme ça, il paraîtra pour le mois américain et on a le temps tranquillement de le lire. Dis-moi ! Bises.
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