Rendez-vous poétique avec Saint-John Perse et Nicolas Genette
05/03/2018
L'hiver a abattu ses dernières cartes la semaine dernière avec un regain de froid piquant. La vérité, c'est que le printemps gagne du terrain, doucement mais sûrement.
Pour accompagner sa marche, je goûte aussi doucement mais sûrement le recueil que voici de Saint-John Perse, Vents. Poète particulièrement exigeant - mais n'est-ce pas le cas de tous les poètes ? -, Prix Nobel de Littérature ô combien érudit et décoiffant, il y a chez lui quelque chose de Rimbaud ou de Whitman. Cet espèce d'élan, cette quête insatiable du nouveau et ce don de voyant qu'il exalte à chaque ligne de chaque texte en prose.
Un extrait de l'un d'eux résonne particulièrement en moi en cette période. Plus tout à fait l'hiver ; déjà le printemps. Encore empêtré d'un passé puissant, nous sentons poindre déjà la vibration de la nouveauté, la renaissance qu'il nous appartient de faire advenir. Le poète est ce héraut qui porte l'appel à tous les hommes. Il fait chanter puissamment la cloche du réveil. Il nous éclaire : à nous de faire le reste.
*
A quelles fêtes du Printemps vert nous faudra-t-il laver ce doigt souillé aux poudres des archives - dans cette pruine de vieillesse, dans tout ce fard de Reines mortes, de flamines - comme aux gisements des villes saintes de poterie blanche, mortes de trop de lune et d'attrition ?
Ha ! qu'on m'évente tout ce loess ! Ha ! qu'on m'évente tout ce leurre ! Sécheresse et supercherie d'autels... Les livres tristes, innombrables, sur leur tranche de craie pâle...Et qu'est-ce encore, à mon doigt d'os, que tout ce talc d'usure et de sagesse, et tout cet attouchement des poudres du savoir ? comme aux fins de saison poussière et poudre de pollen, spores et sporules de lichen, un émiettement d'ailes de piérides, d'écailles aux volves des lactaires... toutes choses faveuses à la limite de l'infime, dépôts d'abîmes sur leurs fèces, limons et lies à bout d'avilissement - cendres et squames de l'esprit.
Ha ! tout ce parfum tiède de lessive et de fomentation sous verre... , de terres blanches de sépulcre, de terres blanches à foulon et de terre de bruyère pour vieilles Serres Victoriennes..., toute cette fade exhalaison de soude et de falun, de pulpe blanche de coprah, et de sécherie d'algues sous leurs thalles au feutre gris des grands herbiers,
Ha ! tout ce goût d'asile et de casbah, et cette pruine de vieillesse aux moulures de la pierre - sécheresse et supercherie d'autels, carie de grèves à corail, et l'infection soudaine, au loin, des grandes rames de calcaire aux trahisons de l'écliptique...
S'en aller ! s'en aller ! Parole de vivant !
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Le fauteuil, Nicolas Genette, 2015
6 commentaires
Quel beau billet. Je ne connais pas du tout la poésie de Saint-John Perse. Effectivement, sa poésie demande une disponibilité, que j'espère trouver maintenant que j'ai goûté.
Je suis contente de t'en avoir donné le goût ! C'est un poète fascinant, qui se savoure à petites doses. Je file te lire maintenant !
C'est un auteur qui joue beaucoup sur l'accumulation des mots, des sonorités et des images. Il me fait (un peu) penser à René Char aussi. Il faudrait le lire à voix haute plusieurs fois pour l'apprécier pleinement je crois ! (Le fais-tu ? Je t'imagine bien, drapée de soie, dans ta grande maison, déclamant des poèmes à la lune hihihi ;-))
Du coup j'ai relu ton extrait à voix haute, et j'ai mieux senti à quels relents de mort et de vieillesse le poète cherche à s'arracher. C'est aussi à ce genre de renouveau que nous invite le début du printemps ! (Un moment de l'année que je chéris particulièrement)
Ca m'arrive de lire à haute voix, oui. A mes élèves, pour commencer :D J'aime qu'ils ferment les yeux quand je lis de la poésie pour s'imprégner de la beauté et de la musicalité de la langue !
Hmmm moi je ne voyais pas trop René Char chez Saint-John Perse, sans doute à cause du lyrisme de ce dernier qui ne correspond pas à celui du premier dans mon idée, mais la tienne se défend aussi !
PS : Demain, j'attaque l'analyse d'un nouveau poème avec mes 4e. Je vais carrément emmener un carré de soie pour me draper dedans gniak gniak gniak !
Ah ouais, tu joues le jeu à fond ! Tu leur as lu quoi ? Quelle chance ils ont, tes élèves :D
Oui oh j'ai dit René Char parce que c'est le seul poète qui me venait vaguement à l'esprit, après avoir lu l'extrait de Saint-John Perse. Mais à vrai dire, j'ai assez peu lu Char. Et c'est vrai que Rimbaud est plus proche, dans le genre grondement et exaltation.
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