Le passeur de lumière de Bernard Tirtiaux
29/04/2018
Voici la vie imaginaire de Nivard de Chassepierre. Au début du douzième siècle, Nivard est orphelin de père, un nobliau belge parti en croisade, lorsque sa mère pousse la porte de l'orfèvre de Huy pour l'y placer en apprentissage. Ainsi commence la formation du jeune garçon.
Lorsqu'il atteint la pleine maîtrise de son art, il se voit confier la réalisation de la châsse de Saint Materne. Tout y est parfait, ou presque. Car il lui manque un élément essentiel : la lumière. Il décide alors de partir à la recherche de la pierre idéale pour parachever cet ouvrage. A cette occasion, il se trouve embarqué dans la croisade artistique de Rosal de Sainte-Croix, un ami de son père, vers les plus grands ateliers de verrerie d'Europe et d'Orient ; il en profite aussi pour tomber amoureux (tant qu'à faire). Bref, c'est l'occasion pour lui de découvrir bien des choses de la vie, que son petit village de Huy ne laissait pas présager.
Je n'ai finalement pas été aussi prolifique que prévu pour ce mois belge mais je tenais absolument à lire ce roman qui m'attirait depuis bien longtemps. Une sombre histoire de lumière, sans doute... Je m'attendais à voyager beaucoup, dans le temps et dans l'espace, et à me passionner pour les recoins austères des ateliers médiévaux. Je ne connais fichtrement rien ni à l'orfèvrerie ni à la verrerie ; c'était l'occasion de me coucher moins bête. De ce côté-là, en effet, le roman ne manque pas d'intérêt. Bernard Tirtiaux sait très bien de quoi il parle, puisqu'il est verrier lui-même, et prend plaisir à nous initier aux arcanes de l'art du verre et du vitrail au gré des pérégrinations de Nivard.
Les voyageurs débouchent à la tombée de la nuit dans une vaste clairière.Des rougeoyances clairsemées éclatent çà et là, comme si le soleil dans son repli avait laissé tomber par mégarde quelques paillettes de ses coffres de lumière. Ce sont les fours en veilleuse du verrier Gautier de Chartres.
Pourtant, en toute franchise, je me suis fréquemment ennuyée. J'ai d'ailleurs procrastiné un certain temps avant de rédiger ce billet, ne sachant finalement bien qu'en dire. J'ai cru, au départ, aborder un roman poétique et exigeant stylistiquement. Je me suis aperçue qu'en effet ce devait être l'ambition mais qu'elle a bien trop vite tourné au lyrisme écœurant. Certaines envolées consacrées à l'art obscurcissent complètement le propos à grand renfort de lieux communs (cf. citation ci-avant) ; je ne vous parle même pas des passages relatant l'amour entre Nivard et sa douce : on frôle la roucoulade de pigeons au printemps. Quel dommage ! L'expression de la sensibilité est décidément la tarte à la crème de l'écrivain tant la plume s'y tient sur un fil. Le passeur de lumière est pour moi l'expression typique de la plantade ampoulée qui me fait bâiller. Trop de ravissement tue le ravissement. Je préfère décidément la rugosité, la gifle simple - qui n'en est pas moins poétique - à cette béatitude sans oscillation* : même les scènes de combats ou de massacres sont sur le même mode narratif que les beautés des vitraux. Une telle linéarité remplit donc son office chez moi : elle me saoule. C'est ce que j'ai ressenti dès les premières pages et c'est le sentiment qui m'a tenue jusqu'à la fin. Honnêtement, sans le mois belge, je ne l'aurais sans doute pas fini. Comme on dit, ca ne peut pas marcher à tous les coups...
*par contre, ça plaira sûrement aux amateurs de Christian Bobin turlututu chapeau pointu
3eme lecture du mois belge
12 commentaires
Mouais ! bien, je ne le connaissais pas mais finalement ce n'est pas très grave.
Non, pas tellement en effet... Après, il faut préciser que Bernard Tirtiaux n'écrit pas mal mais il écrit de façon bien trop dégoulinante et lyrique pour moi. Il y a sans doute des gens qui seront plus réceptifs que moi à ce style d'écriture et crieront au génie hein. Tout est relatif.
Ah mince alors ! j'avais beaucoup aimé cette lecture, faite il y a quelques années.
Je peux comprendre qu'elle plaise, vraiment :)
Je me souviens avoir lu ce roman il y a fort longtemps, puis Les sept couleurs du vent (sur les orgues) et puis j'ai arrêté tant je trouvais le style cucul la praline (jusqu dans les titres, on se demandait ce que Bernard Tirtiaux allait inventer pour attirer le chaland). Bien plus tard j'ai lu Pitié pour le mal, très différent plus sobre. J'aimerais lire Noël en décembre (si, si) qui doit être du même style. Je comprends parfaitement ton ressenti, tu m'as encore fait reire avec ton franc-parler. (T'es pas un peu injuste avec Christian Bobin ?) ;-)
Ahh, je ne suis donc pas la seule à ne pas raffoler de Tirtiaux ! Tu as raison, même ses titres sont lyrico-niais.
Quant à Bobin, il est le paragon du ravi de la crèche, pour moi. Alors, c'est vrai que je ne lui fais pas de cadeaux. Mais franchement, je ne comprends VRAIMENT pas son succès.
Dommage, ça commençait bien. J'avais dégainé mon stylo pour noter dans ma PAL ce Belge inconnu de mes services et puis la deuxième partie de ton billet a refroidi mes ardeurs. Clairement pas pour moi.^^
Ouais, j'ai essayé de commencer par le positif... Histoire que le négatif (très subjectif) n'obscurcisse pas tout... Mais si le lyrisme n'est pas ta tasse de thé, mieux vaut, en effet, passer ton chemin !
"Les passeur de lumière", "Les sept couleurs du vent" et "Aubertin d'Avalon" m'avait beaucoup plu. Je n'ai pas le souvenir d'une écriture mièvre. Impression que j'ai eue par contre avec "Prélude de cristal" qui m'avait vraiment agacée.
"Pitié pour le mal", j'avais aimé aussi dans un autre genre. J'étais moins enthousiaste pour "Noël en décembre". Autre titre totalement différent, mais auquel je n'avais pas du tout accroché : "Le puisatier des abymes".
Bon, je note que ce n'est donc pas la peine que je poursuive avec ces titres que tu n'as pas aimés ;)
Hahaha j'ai pensé à Christian Bobin pendant tout le 3e paragraphe, je pensais immédiatement l'évoquer en commentaire, mais tu m'as devancé ;) Ouf voilà un livre pour lequel je n'aurai aucune tentation !
Les grands esprits se rencontrent ! Si, comme moi tu n'es pas fan de ce lyrisme sirupeux, tu peux passer ton chemin !
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