Les Brumes du passé de Leonardo Padura
19/01/2019
Grâce à ce roman, je découvre enfin Mario Conde, ancien flic cubain reconverti dans la vente de livres d'occasion. A l'époque des faits, il a quitté la police depuis une dizaine d'années - nous sommes en 2003. Cuba souffre de plus en plus du rationnement et Mario galère de plus en plus à trouver quelques livres à revendre pour subsister. Un beau jour, il tombe par hasard sur une bâtisse magnifique un poil décrépite qui renferme une somptueuse bibliothèque, restée intacte selon les dernières volontés d'Alcides Montes de Oca. Conde a un pressentiment violent. Il le pense lié à la rareté de certains ouvrages inestimables ; il s'aperçoit rapidement qu'il a plutôt à voir avec une chanteuse dont il découvre la photo entre les pages : Violeta del Rio, femme fatale tombée dans l'oubli depuis son retrait de la scène, un demi-siècle plus tôt. Pour mener à bien son enquête, Mario Conde erre dans tous les quartiers de la Havane - et certains ne sont pas exactement sortis d'un catalogue touristique - lorsqu'il ne refait pas le monde avec sa bande d'amis indécrottables.
Les Brumes du passé est un roman d'ambiance assez extraordinaire, c'est-à-dire qu'il transpose exactement les codes de roman noir américain, dans l'art duquel Raymond Chandler ou Dashiell Hammett sont passés maîtres en leur temps, en plein Cuba contemporain. L'incertitude, la mélancolie et le mystère sont les mêmes, sans l'once d'une caricature - la tarte à la crème principale du roman noir ; la déliquescence du temps et le désespoir de la faim provoquent toujours les plus sombres crimes. C'est franchement subtil et d'une rare intelligence. L'enquête est au service d'une réflexion sur les dommages collatéraux d'une dictature qui n'a déjà que trop duré et interroge la portée des éthiques lorsque les besoins primaires sont sapés. Elle est aussi l'occasion d'une balade au pays réjouissant de l'amitié et de l'art littéraire, ces nourritures spirituelles capables de tout rendre supportable - du moins, la plupart du temps. Certaines pages consacrées à l'amitié me restent en mémoire comme parmi les plus beaux éloges que j'ai pu lire de ce sentiment, sans emphase ni grandiloquence, en dévoilant la simplicité et la profondeur d'une relation durable et franche.
Ça faisait longtemps que je n'avais pas, à ce point, eu un coup de foudre à la fois pour un auteur, une ambiance et un personnage. Je ne suis pas prête d'oublier Mario Conde, cet imparfait magnifique, ni de lâcher la grappe à Leonardo Padura, c'est moi qui vous le dit.
Histoire de ne rien dévoiler de l'intrigue par quelques citations, je vous laisse sur l'incipit. Le voyage est déjà amorcé.
Les symptômes arrivèrent soudain comme la vague vorace qui happe un enfant sur une plage paisible et l'entraîne vers les profondeurs de la mer : le double saut périlleux au creux de l'estomac, l'engourdissement capable de lui couper les jambes, la moiteur froide sur la paume de ses mains et surtout la douleur chaude, sous le sein gauche, qui accompagnait l'arrivée de chacune des ses prémonitions.
Les portes de la bibliothèque à peine ouverte, il avait été frappé par l'odeur de vieux papier et de lieu sacré qui flottait dans cette pièce hallucinante, et Mario Conde, qui au long de ses lointaines années d'inspecteur de police avait appris à reconnaître les effets physiques de ses prémonitions salvatrices, dut se demande si, par le passé, il avait déjà été envahi par une foule de sensations aussi foudroyantes.
Première participation cubaine pour le Challenge Latino d'Ellettres !
12 commentaires
Ça fait longtemps que j'ai envie de découvrir l'auteur. J'en ai entendu beaucoup de bien... et je suis fort curieuse.
Et bien voilà le titre parfait pour commencer, foi de débutante !
Oh là là, quelle magnifique participation ! Un roman noir qui tourne autour d'une bibliothèque à l'odeur sacrée et d'un flic à la retraite passionné de livres, tout ça en terre cubaine, c'est on ne peut plus tentant. Pour moi aussi, il est devenu urgent de découvrir Mario Conde ;)
Ecoute vraiment, tous les ingrédients sont parfaits et parfaitement dosés. Cette lecture est un délice dès la première page, ce qui est suffisamment rare pour être noté. Tu vas adorer, c'est sûr !
Bonjour, c'est aussi avec ce roman que j'ai découvert Mario Conde et Padura: génialissime. http://dasola.canalblog.com/archives/2010/01/07/16388938.html Je suis contente qu'un nouveau titre paraisse : La transparence du temps. J'ai hâte de le lire. Bonne journée.
Je suis ravie de lire que nous partageons le même avis !
Je suis aussi tentée par le dernier titre de Padura. Je ne sais pas si c'est le prochain que je lirai mais je le lirai un jour, c'est sûr !
Pareil ,j'ai découvert Padura et Conde avec ce titre ... et j'étais cuite, il me fallait tous les lire!!!!
Décidément, "Les brumes du passé" a du succès ! Ce doit être l'ambiance vieille bibliothèque mystérieuse qui nous a attirées si nombreuses !
Et comme toi, maintenant, je suis cuite !
J'en avais lu un il y a quelques années. J'avais bien aimé mais sans être dithyrambique. Peut-être qu'il faudrait que je réessaie avec un autre titre, peut-être celui-ci, qui me plairait plus. Tu as l'air très enthousiaste.
Ah, tu es le petit bémol de la bande, alors. Si j'en crois les commentaire précédents, ce titre-là semble être une valeur sûre pour retenter l'expérience... Pourquoi pas.
Ravie de ta lecture, j'adore ces romans ! Tu as lu un de mes préférés. Tu es prête pour " Adios Hemingway " ( c'est reparti pour le Challenge Latino ;))
Je note instamment "Adios Hemingway". J'ai noté quelques autres titres par ailleurs. On m'a notamment conseillé celui qui évoque Trotsky. Autant dire que j'ai encore quelques belles heures de lectures devant moi !
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