La promesse de l'aube de Romain Gary
11/05/2019
Donc je découvre La promesse de l'aube et, plus largement, Romain Gary, sur le tard. Pour dire vrai, ça ne m'attirait pas plus que ça et la tentative ratée que j'avais faite il y a peu d'années de La vie devant soi n'était pas pour m'y encourager. Sauf que l'écriture de Gary n'a rien à voir ici avec celle de l'avatar Emile Ajar, heureusement pour moi (mea culpa pour ceux qui aiment) et le présent d'anniversaire que voilà s'est chargé de me le faire comprendre (merci ♥).
La vie est jeune. En vieillissant, elle se fait durée, elle se fait temps, elle se fait adieu.
Comme chacun sait, ou presque, La promesse de l'aube raconte la jeunesse de Romain Gary, de ses plus jeunes années russo-polonaises, où l'on croise un certain monsieur Piekielny, jusqu'à la vingtaine passée durant la Seconde Guerre Mondiale. Romain mange des steaks, essaye toutes sortes d'arts dans lesquels il est censé exceller et connaît ses premières amours, le tout mâtiné de fiction pour arrondir les angles et claquer à l'écrit. Bref, La promesse de l'aube est un roman autobiographique, vous avez compris le principe. Comme tous les textes autobiographiques, qu'ils soient plus ou moins fidèles, l'enjeu ne déroge pas à la règle : raconter la naissance de l'écrivain. En terme de contenu, l'originalité de La promesse de l'aube se situe là, d'ailleurs. Si l'on en croit notre auteur, il doit un tel destin à sa mère, double matrice originelle : celle de l'homme et celle de l'écrivain.
[T]out ce que ma mère voulait, j’allais le lui donner.
Clairement, la mère de Romain Gary n'est pas une partie de plaisir. Elle est amour et dévotion, certes, mais elle est aussi complètement obsessionnelle, exubérante, ambitieuse, mythomane. Sans vouloir ramener Freud sur la table, je la trouve tout bonnement castratrice et elle m'évoque surtout une certaine idée de l'enfer. Mais soit, l'enfer est pavé de bonnes intentions ! C'est sûrement la lucidité totale et l'ironie décapante avec laquelle Romain Gary donne à voir sa mère, à qui il n'épargne rien, qui fait de ce texte une si belle déclaration d'amour d'ailleurs. J'avais peur, honnêtement de tomber sur un Livre de ma mère bis - ce qui explique principalement que j'aie rechigné des années à m'atteler à ce bouquin. Albert Cohen est évidemment talentueux, et son texte susnommé plein de richesses littéraires qui sauront en toucher plus d'un, mais ses larmoiements litaniques ont le don de provoquer chez moi un agacement agressif.
Roman Gary, lui, est à des kilomètres du premier degré et exerce une ironie permanente à l'égard de tout, tout le temps (merci à toi, l'ami). Tantôt cette ironie est incroyablement fine et subtile, tantôt elle se meut en un humour presque désopilant - et il se traite avec la même distance et la même rigueur de ton que les autres. Ses défauts ne sont pas épargnés : sa faiblesse parfois, sa vanité, son arrogance, sa futilité. A force d'être adulé durant l'enfance par une mère exclusive, il ne pouvait en être autrement, et il en a parfaitement conscience. Ce qui le sauve d'être un personnage détestable, c'est précisément cette distance perpétuelle à l'égard de toute chose de monde et de lui-même qui lui permet d'en prendre le contre-pied et d'en rire.
L’humour a été pour moi, tout le long du chemin, un fraternel compagnonnage ; je lui dois mes seuls instants véritables de triomphe sur l’adversité. Personne n’est jamais parvenu à m’arracher cette arme, et je la retourne d’autant plus volontiers contre moi-même, qu’à travers le « je » et le « moi », c’est à notre condition profonde que j’en ai. L’humour est une déclaration de dignité, une affirmation de la supériorité de l’homme sur ce qui lui arrive
Pour cela, et évidemment pour la déclaration délicieuse d'amour filial qui sourd de chaque phrase, La promesse de l'aube est effectivement un chef d'oeuvre. Sa réputation n'est pas usurpée et je suis ravie, enfin, de l'avoir lu à mon tour. Mieux vaut tard que jamais, surtout avec les classiques ! Je vous laisse sur l'un des plus beaux passages de ce roman qui vous permettra, par la même occasion, d'en comprendre le titre sibyllin.
Il n'est pas bon d'être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ça vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c'est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte là-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu'à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d'amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n'y a plus de puits, il n'y a que des mirages. Vous avez fait, dès la première lueur de l'aube, une étude très serrée de l'amour et vous avez sur vous de la documentation. Partout où vous allez, vous portez en vous le poison des comparaisons et vous passez votre temps à attendre ce que vous avez déjà reçu.
18 commentaires
Ton billet me rassure... Je ne suis pas tentée plus que ça par la prose de Romain Gary ( lu il y a longtemps ) malgré la déferlante de ces dernières années ( entre l'anniversaire et le film :-p ) mais, donc, comme toi, j'y viendrai peut-être finalement. Je connaissais l'explication du titre, et j'avoue que le thème m'attire peu même si tu es convaincante. Le titre que j'avais noté pour revenir à Gary est " Une éducation européenne. "
( doublement rassurée par ton billet, par ton propos sur " Le livre de ma mère ", j'ai assisté à une lecture que je n'ai pas bien supportée ;))
Le thème ne m'inspirait pas follement non plus, surtout échaudée que j'étais par le bouquin de Cohen qui m'avait alternativement ennuyée et irritée, mais finalement, lorsque la plume est de qualité, on accepte n'importe quel thème ^^
Super intéressant. Merci. Je ne connaissais Romain Gary que de nom et je ferai plus attention à lui en bouquinerie. :)
Pareil pour moi, il y a encore quelques semaines. Je te souhaite de dénicher Romain Gary prochainement en bouquinerie, histoire de le découvrir à ton tour !
Ah ce roman est magnifique, lu plusieurs fois, toujours avec autant de plaisir !
Je ne suis pas persuadée de le lire plusieurs fois pour ma part, il ne m'a pas touchée et séduite à ce point, mais je comprends ton engouement malgré tout : c'est vraiment un excellent livre !
Après un abandon (trois pages avec la mère, ça me saoulait), j'ai décidé de tenter à nouveau!!! Quand, fait voir.
Mais j'en ai lu d'autres qui m'avaient bien plu.
La mère de Romain Gary, c'est quelque chose ! Contrairement à ce que beaucoup m'ont dit, je ne la trouve pas - du tout - qu'amour pour son fils. C'est un personnage particulièrement horripilant et malaisant, je trouve. Mais tu fais bien de retenter. L'écriture de Romain Gary, et surtout cet humour et cette ironie, font tout le sel du récit.
J'ai adoré cette autobiographie, pleine d'humour en plus !
Et quel humour !
Tu me donnes tellement envie de le découvrir ! J'ai essayé de le lire à 15 ans mais, à cet âge là, j'étais encore dans les Young Adult. Maintenant que j'ai le gout puissant pour les monuments littéraires je pense le lire bientôt !
Je suis ravie de t'en donner envie ! Comme beaucoup de classiques, c'est vrai que c'est peut-être compliqué d'y accrocher à l'adolescence.
J'aime beaucoup cet auteur, et particulièrement ce roman là
Je crois que j'ai commencé Gary avec un de ses meilleurs titres, décidément !
Oh cela me rappelle un très bon moment de lecture, moi non plus je n'ai pas pu pour le moment accroché à ses autres romans mais celui-ci m'a beaucoup marqué. En revanche, le film ne m'a pas plu. Va savoir pourquoi je trouvais la mère interprétée par Charlotte Gainsbourg trop excessive, bien plus encore que dans le livre. Pas convaincue donc. J'ai aussi découvert cet auteur sur le tard, j'en avais fait une petite chronique ici:
https://artdelire.org/2013/07/24/la-promesse-de-laube/
Pour ce qui est d'Albert Cohen, impossible pour moi de le lire pour le moment. J'ai tenté Belle du seigneur mais sans succès. Un jour peut-être... Je dois d'abord relire Aragon que tu m'as conseillé! Bisous
J'ai effectivement eu des échos très mitigés, voire pas convaincus du tout, de l'adaptation ciné. Je ne suis pas du tout pressée de la voir, du coup.
J'hésite toujours à me lancer dans cet auteur. Mais ce que tu dis donne envie
Il n'y a pas si longtemps, j'étais comme toi ! Maintenant, je peux t'encourager à sauter le pas, avec ce titre du moins (je garde un souvenir bien moins enthousiaste de ma tentative de La vie devant soi, je dois bien le reconnaître...)
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