Et il dit d'Erri de Luca
24/05/2019
Au-dessous de lui, la terre était couvée par une calotte blanche. C'est ce qui se passait pendant les jours de la création. Au débouché d'un nuage, il voyait le monde tel qu'il était avant, sans espèce humaine, entre le premier et le cinquième jour. Il revenait du sommet avec la lettre du début à la bouche, le b de bereshit, au commencement, qu'il balbutiait joyeusement.
Un alpiniste chevronné disparaît pendant plusieurs semaines, au grand dam de son équipe, avant d’être retrouvé seul et assoiffé. Il ne sait plus qui il est ni qui sont les gens qui l’entourent. Il ne reconnaît pas même son frère. Il n’aspire qu’à côtoyer la solitude de la montagne. Alors que l’équipe se prépare à le quitter, la voix divine se révèle sur la roche du mont Sinaï.
Là-haut, je ne compare pas la terre et le ciel, je me trouve au contraire sur la limite. Les solitaires existent, isolés au milieu de la communauté. Ils explorent les pistes nouvelles pour les troupeaux, ils fixent les cartes dans le ciel, ils vont là où ne court aucune frontière. Nous avons appris à connaître le monde grâce aux explorateurs passant sur la mer qui ne garde pas de trace.
Je rejoins Marilyne qui évoquait dans son dernier billet sur l’auteur la tentation de ne pas trop dévoiler ses écrits. Non seulement le style est extrêmement poétique – la simplicité n’est qu’apparence et l’on se perd parfois, avec plaisir, dans les méandres d’une pensée complexe et d’une langue sensorielle – mais le propos est celui d’un exégète tellement érudit qu’on se sent bien médiocre au seuil de le commenter. J’ai parfois dû relire certaines phrases pour en comprendre autant que possible la portée, n’étant pas, contrairement à Erri de Luca, lectrice et traductrice de la Bible tous les matins.
L’élan qui te pousse à escalader les montagnes, à chevaucher les hauteurs est fantastique, mais plus grande est l’entreprise qui consiste à être à la hauteur de la terre, de la tâche de l’habiter qui nous est assignée.
Pour ceux que l’inspiration biblique pourrait rebuter, soyez assurés que ce texte n’est pas prosélytisme de la parole divine mais fruit d’un être spirituel : Erri de Luca réfléchit la Bible. A ses yeux et sous sa plume, elle est une source inépuisable d’interrogations, de poésie et d’humanité. Ainsi Et il dit propose-t-il une réécriture profonde et métaphorique des dix commandements comme fondement de la société des hommes vers une liberté nouvelle. La négation fond et le champ des possibles s’ouvrent comme la mer jadis pour les Hébreux fuyant l’Egypte. Malgré la finesse du texte, ou peut-être à cause d’elle – tout dépend de quelle finesse on parle -, le récit ne se dévore pas. Il convient d’en savourer les mots tout comme Erri de Luca retourne inlassablement dans son esprit tel vers de la Bible. Ainsi les arômes se dégagent et les réflexions sourdent, vivifiantes et claires.
L'admiration est un sentiment joyeux qui se réjouit d'un bien possédé par d'autres, il est bon pour le sang et le sourire, c'est un sifflement de félicitations, un applaudissement des yeux. Il ne t'est pas demandé de détourner le regard, tu ne dois pas censurer une beauté. Reste à ce niveau d'admiration, sans chercher à vouloir prendre possession. Ce qui est à toi, même si c'est peu, c'est ta primeur.
Participation pour le mois italien chez Martine
12 commentaires
Je n'ai pas encore lu celui-ci, il viendra. J'ai commencé mes lectures d'Erri de Luca il y a quelques années avec ses romans. C'était toujours un rendez-vous, et une rencontre, l'impression d'un moment d'échange. Dans les romans que j'ai lu, il y a un espace pour le lecteur, un espace de réflexion. Et puis, j'adore son style, juste et fin. Dans son dernier livre " le tour de l'oie ", il revient sur son parcours, la lecture est prenante.
Pour te dire vrai, je crois que j'ai lu un roman d'Erri de Luca il y a fort longtemps. Quelque chose avec "Papillon" ? Je n'en ai aucun souvenir du tout, si ce n'est que je n'avais pas trouvé ça transcendant. Mais j'étais littérairement très snob à l'époque (ahah).
A présent, j'ai bien envie de poursuivre ma découverte de l'auteur. Je verrai si le prochain hasard (car l'achat de ce titre-là était clairement un hasard de librairie d'occasion) me portera vers sa fiction ou pas.
Ce titre est dans ma PAL, héhé. "Source inépuisable d'interrogations, de poésie et d'humanité" : c'est tout à fait ça et c'est vraiment inspirant.
Ahhh parfait, si ce titre est déjà dans ta PAL. Vu ton dernier billet sur l'auteur, il devrait te plaire !
Malgré tes remarques, le sujet ne m'attire pas. En revanche, j'ai déjà noté cet auteur et je viens juste de lire un billet sur le site de Manou parlant du poids du papillon de cet auteur. Je compte bien lire au moins un de ses récits.
Je comprends que le sujet religieux puisse définitivement rebuter ou du moins, ne pas intéresser. Je suis tout de même ravie si j'ai un peu rajouté à ton envie de découvrir l'auteur !
Ah oui, peut être commencer par un non roman, alors?
En tout cas, cela m'a réussi !
Je vais le noter dans ma wish list. Je connaissais cet auteur de vu mais je n'ai jamais osé le lire. Et je pense que c'est le récit qu'il me faut.
J'espère qu'il saura te parler et t'inspirer !
Cette lecture a l'air particulièrement dense, j'avoue avoir un peu du mal avec les lectures bibliques... A voir. Encore un auteur qu'il faudrait que je lise un jour pour élargir mes horizons.
Je pense que tu peux tout à fait choisir un titre de l'auteur qui ne traite pas de la Bible. Ca te permettra de voir si son style te plait. Pour ma part, sans être croyante du tout, j'aime les textes spirituels alors forcément, ce titre-là m'a parlé.
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