Un été sans les hommes de Siri Hustvedt
04/09/2020
Ce qui était autrefois l'avenir est maintenant le passé, mais le passé revient au présent à l'état de souvenir, il est ici et maintenant dans le temps de l'écriture.
Lorsque son mari lui annonce qu’il souhaite faire une pause après trente ans de mariage – comprendre par là batifoler pépouze avec sa jeune collègue française – Mia finit à l’hôpital psychiatrique avec une bouffée délirante – et c’est ainsi que commence le récit. Une fois ces Tessons de cerveaux rassemblés, retourner dans l’appartement où sa vie était intimement liée à celle de Boris lui est insupportable. Elle décide plutôt de prendre le large et d’en revenir aux sources, dans ce petit village du Minnesota où elle a grandi et où vit aujourd’hui sa mère, en relative autonomie, dans une résidence pour personnes âgées. Le travail de Mia est compréhensif et lui accorde un congé de plusieurs mois – elle est poétesse et professeur d’université – ; de son côté, afin de ne pas être tout à fait oisive et de ne pas trop ruminer, elle assurera un cours de poésie pour adolescents trois fois par semaine – où devrais-je dire pour adolescentes, attendu que la pratique poétique ne rameute pas les foules masculines à cet âge-là. Voilà comment débute pour Mia cet été sans les hommes.
Et qui mesurera la souffrance? Qui parmi vous calculera la magnitude de la douleur que l'on peut à tout moment trouver au dedans d'un être humain?
Ma lecture a merveilleusement commencé et je n’étais pas loin de souscrire point par point au coup de cœur de ma copinette Ellettres qui a eu la générosité de m’offrir ce roman lors d’un swap. La langue m’est apparue piquante, vivifiante et organique. Siri Hustvedt va droit au but et a l’art de toucher son lecteur, en dévoilant avec sensibilité l’intériorité blessée mais profondément volontaire et vibrante de Mia. Il est assez rare, convenons-en, de croiser en littérature une héroïne d’âge mûr, pleine de doutes, d’appétits et de désirs telle que Mia, en somme une femme d’âge mûr en chair et en os, et c’est heureux de le découvrir avec franchise et humour. Autour de Mia gravitent en plus de nombreux satellites féminins – les Cygnes de la maison de retraite, leur club de lecture et leurs broderies grivoises cachées ; les ados du cours de poésie, leur instinct grégaire, leur volonté de puissance et leurs mesquineries pour y parvenir ; la voisine Lola, ses enfants, son mari détestable et ses bijoux pour changer d’air – toutes offrent une panorama kaléidoscopique de la condition féminine du XXIème siècle, idyllique probablement pour certains (hommes ?), loin de l’être pour d’autres (femmes ?).
Dépouillés d'intimité et vus d'une distance considérable, nous sommes tous des personnages comiques, de risibles bouffons qui allons trébuchant dans nos vies en créant de beaux désordres en chemin, mais si l'on se rapproche, le ridicule vire rapidement au sordide, au tragique ou à la simple tristesse.
Pourtant – parce qu’il y a un mais -, je me suis essoufflée et mon enthousiasme est retombé à mesure que je lisais. J’ai fini par retrouver, malgré une fraîcheur de style indéniable et un propos fort intéressant, ce que je reproche à bon nombre de romans contemporains qui traitent de notre société : un manque de souffle et de hauteur et, ce que je reproche à bon nombre de romans à étiquette (ici le féminisme, mais ça pourrait, à l’occasion, être autre chose) : l’entretien du clivage malgré une louable volonté de départ. Si je comprends l’intérêt de la dénonciation, et heureusement que l’art participe à cette dynamique salutaire, j’ai beaucoup plus de mal avec la démonstration. Or, c’est exactement ce que j’ai ressenti à force à travers la distribution orientée de ce roman et les parenthèses régulièrement théoriques où la philosophie et la sociologie sont convoquées pour un but qui se renifle dès la deuxième ligne. Ce processus didactique qui n’a d’égal en finesse que la samba du mammouth au festival de la poterie a pour vertu de m’ennuyer les neurones. Ceci explique donc une lecture finalement mitigée.
Nous devons tous nous accorder de temps à autre la fantaisie de nous projeter, une chance de nous vêtir des robes et d'habits de ce qui n'a jamais été et ne sera jamais. Cela donne un peu d'éclat à nos existences ternies et, parfois, nous pouvons choisir un rêve plutôt qu'un autre et, par ce choix, trouver quelque répit à la tristesse ordinaire.
J’aimerais pourtant savoir exactement ce qui se cache derrière l’œuvre de Siri Hustvedt ou, pour le dire autrement, si ce roman est à part dans sa production artistique ou non. Pour cela, par chance, je pourrais plonger dans le deuxième titre d’elle que je possède dans ma PAL, grâce à un autre swap (ce qui est sûr, donc, c’est qu’elle a du succès), Tout ce que j’aimais, un titre plus ancien. Le propos, encore une fois, semble passionnant. Il est à espérer que la forme le soit aussi !
Le mois américain chez Titine
Journée "Ladies first" consacrée à un roman féministe, écrit par une femme ou mettant en scène un personnage féminin marquant
20 commentaires
Il va falloir que je me lance un jour a lire du Siri...etant fan de paul Auster...quand meme c'est une honte de ma part...;)
Alors, j'espère que ta première rencontre avec elle sera plus probante que la mienne ;)
C'est le seul roman que j'aie lu d'elle (les autres, pas moyen d'accrocher) mais j'ai lu des essais (elle est assez pointue sur d'autres sujets!)
Bien aimé cette lecture, en tout cas
La lecture n'était pas déplaisante, c'est certain, mais je crois que je m'attendais honnêtement à mieux. En l'occurrence, ça m'a finalement semblé poussif et convenu. Je réessayerai néanmoins de lire Siri Hustvedt, je ne m'avoue pas vaincue en une seule fois !
"la samba du mammouth au festival de la poterie", merci pour le fou rire !
Ton avis m'intrigues, ça fait des années que j'ai très envie de lire cette autrice et ce livre. J'ai "Tout ce que j'aimais", je commencerai par lui.
Ecoute, on pourra lire "Tout ce que j'aimais" ensemble à l'occasion alors !
PS : avec plaisir, pour le fou rire !
J'avoue, j'ai aussi beaucoup aimé ce roman ;-). Il me semble un peu à part parmi les titres de l'auteure. Un autre m'attend également, pas sûre que ce sera pour ce mois-ci ( et comme Keisha, je suis intéressée par ses essais ) ( ah, les projets lectures qui n'en finissent jamais ... )
J'ai l'impression qu'il y a du pour et du contre avec ce roman. Je suis ravie que tu aies aimé en tout cas, c'est quand même toujours plus agréable !
Je n'ai encore jamais lu cette auteure, par contre j'ai lu les romans de son époux.
Je note le titre malgré le "mais".
J'ai lu plusieurs Paul Auster également, qui me déçoivent toujours à la fin d'ailleurs...
Je n'arrive pas à terminer un Paul Auster.
J'ai trouvé ce livre d'un ennui mortel.
Ces deux-là forment le couple parfait ! ^^
J'ai presque envie de dire "tant mieux" si tu ne finis pas tes Paul Auster car, pour moi, ses fins sont toujours ratées ahah !
Je n’accroche pas trop à Siri, mais Paul j’aime beaucoup...
L'un ne va pas forcément avec l'autre, heureusement !
Je l'ai adoré il y a une dizaine d'années (déjà!!). C'était un des premiers romans de littérature contemporaine que je lisais et je découvrais qu'il pouvait se vendre des choses qualitatives à notre époque, moi qui croyais jusque-là qu'on était passés de Zola à Musso sans transition. (Et je pensais cela sans avoir jamais lu de Musso. Je ne l'ai toujours pas lu, en fait, mais maintenant je le rejete moins en bloc d'un air dédaigneux...)
Est-ce que je l'aimerais autant maintenant? Je n'en suis pas certaine. Mes autres essais avec Siri Hustvedt – Élégie pour un Américain et Un monde flamboyant – ne m'ont pas séduite, essentiellement car j'y ai ressenti une certaine pose intellectuelle destinée à montrer, justement, combien tout cela était intellectuel.
Voilà, tu soulignes, entre autres, ce qui m'a fait tiquer au fur et à mesure de ce roman. Ce côté très démonstratif qui vire à la pause m'a fortement lassée. D'ailleurs, c'est un côté qui m'irrite chez elle même quand je la vois interviewée. Elle dégage un truc très pédant, je trouve.
Bonsoir, personnellement, je préfère le style et les romans de son mari Paul Auster. D'ailleurs ce livre ne m'a pas semblé être vraiment un roman. Il n'est pas très facile à lire. Bonne soirée.
Oh ? Je ne l'ai pas trouvé difficile à aborder pour ma part.
Tu m’as tuée avec la samba du mammouth ! :’-D
Au fait, je ne me rappelle plus de la fin. Mais tout ce que tu décris de positif m’avait plu, à l’époque, j’avais trouvé cela assez nouveau comme procédé d’écriture. La galerie de personnages féminins aussi, alors que si souvent, le masculin l’emporte sur le féminin dans les romans.
Oui, il y a un côté démonstratif, mais je ne suis pas contre un peu d’instruction, même dans un roman ^^
Franchement, j'ai beaucoup retrouvé dans ma première partie de lecture tout ce que tu avais apprécié toi-même - j'avais assez bien en tête ton billet qui m'avait très emballée. Malheureusement, cet engouement réjouissant s'est essoufflé à cause du côté didactique. Il n'empêche que je retenterai Siri Hustvedt, c'est sûr ! Merci de m'en avoir permis la découverte, copinette :*
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