Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne
20/04/2020
Non mais regardez-moi cette beauté... Je ne sais pas vous mais avec ce confinement, j'ai des envies d'aventures littéraires ! Pour cela, j'ai toujours eu une affinité particulière pour la mer, qui exalte à merveille l'Histoire, la liberté, l'exotisme et la technique.
La mer est le vaste réservoir de la nature. C'est par la mer que le globe a pour ainsi dire commencé, et qui sait s'il ne finira pas par elle ! Là est la suprême tranquillité. La mer n'appartient pas aux despotes. À sa surface, ils peuvent encore exercer des droits iniques, s'y battre, s'y dévorer, y transporter toutes les horreurs terrestres. Mais à trente pieds au-dessous de son niveau, leur pouvoir cesse, leur influence s'éteint, leur puissance disparaît ! Ah ! Monsieur, vivez, vivez au sein des mers ! Là seulement est l'indépendance ! Là je ne reconnais plus de maîtres ! Là je suis libre !
Puisque je n'avais encore jamais lu Jules Verne, je me suis dit que c'était l'occasion ou jamais d'embarquer à bord du Nautilus aux côtés du Professeur Aronnax, son serviteur Conseil et le harponneur Ned Land après le naufrage de leur navire. Ceux qui avaient pris la mer pour détruire le Nautilus, qu'ils pensaient un mammifère marin selon l'expertise d'Aronnax, se trouvent finalement secourus par lui et, conséquemment prisonniers à son bord : pour rien au monde, le commandant de cet étrange équipage ne voudrait que les secrets de son existence ne soient révélés. Dans un premier temps, nos personnages, surtout Aronnax, semblent vite s'en accommoder tant la vie à bord est riche, confortable et les découvertes alentours nombreuses.
Adieu, soleil ! s'écria t-il. Disparais, astre radieux ! Couche toi sous cette mer libre, et laisse une nuit de six mois étendre ses ombres sur mon nouveau domaine !
Quel paradoxe, me suis-je dit très rapidement dans ma lecture, que de choisir pour m'évader du confinement un roman qui en est en même temps le parangon ! En effet, comment faire plus confiné qu'un sous-marin ? D'autant que le séjour de nos trois personnages n'est ni plus ni moins qu'une incarcération à vie, quand bien même les premières semaines se vivent dans la joie et la bonne humeur de mets nouveaux et de poissons en tous genres.
Paradoxal, oui, mais pas tant que ça. Les murs du Nautilus se révèlent vite une fenêtre ouverte sur le monde. Aronnax et Conseil se gorgent d'observations naturalistes à travers les immenses hublots du bâtiment quand ils ne descendent pas les fonds marins en scaphandre. En dehors de cela, ils se repaissent aussi des prouesses techniques étourdissantes du sous-marin. Le dépaysement de cette lecture se trouve précisément dans cette acclimatation des personnages et dans leurs surprenantes découvertes.
Ce fut particulièrement fascinant de lire si flagrante la paternité vernienne du steampunk. L'auteur pose les jalons d'aventures et de personnages à la fois ultra ancrés dans le XIXème siècle - la plupart des considérations politiques, sociales, humaines ou inter-espèces sont très exactement de leur époque - et pleine d'imagination voire d'anticipation sur le plan technique - exaltation typiquement dix-neuvièmiste aussi, d'ailleurs. J'ai goûté avec plaisir ce retour aux sources littéraires d'un mouvement né réellement cent ans plus tard mais dont les fondations sont déjà présentes dans chaque page de ce roman, brillantes d'une confiance absolue et aveugle en les capacités scientifiques humaines.
Néanmoins, ce dépaysement fut parfois un poil ennuyeux aussi, soyons francs. On sait que Jules Verne écrivait des romans à vocation didactique selon les préconisations de son éditeur Hetzel et cela se ressent à travers les très (trop) nombreuses listes taxinomiques ou les détails techniques pointus et longs de telle ou telle spécificité du Nautilus. On finit par s'y faire, tant cette lenteur narrative est immersive. Cela devient un peu la berceuse lancinante, le rendez-vous théorique et régulier des pages du roman, et l'on n'y fait plus trop attention. Selon l'humeur, on les lit comme si l'entièreté de l'océan défilait sous nos yeux, ou on les saute pour attaquer directement dans le vif du sujet.
Non seulement, il s'était mis en dehors des lois humaines, mais il s'était fait indépendant, libre dans la plus rigoureuse acceptation du mot, hors de toute atteinte! Qui donc oserait le poursuivre au fond des mers, puisque, à leur surface, il déjouait les efforts tentés contre lui?
[...]
À dix heures du soir, le ciel était en feu. L’atmosphère fut zébrée d’éclairs violents. Je ne pouvais en supporter l’éclat, tandis que le capitaine Nemo, les regardant en face, semblait aspirer en lui l’âme de la tempête.
Evidemment, c'est impossible de vous parler de Vingt mille lieues sous les mers sans m’appesantir sur le cultissime Capitaine Nemo. Quel personnage étrange et mystérieux ! Au fond, nous ne savons ni ne saurons rien de lui dans ce roman, si ce n'est ce qu'il veut bien montrer au présent : un caractère libre et solitaire, une misanthropie patentée, une grande soif de culture et de connaissance du monde marin, un charisme incroyable et des blessures dont on ne constate que les conséquences dévastatrices. Son histoire ne sera contée que dans L'île mystérieuse ; je dois donc attendre la fin du confinement pour la découvrir ! En attendant, même si Nemo n'est pas aimable, loin s'en faut, je n'ai pu m'empêcher d'être touchée par son magnétisme et cette dualité intrinsèque qui le rend très humain. En tournant la dernière page du roman, je me suis sentie triste de devoir le laisser poursuivre sa route solitaire, sans vraiment savoir ce qu'il advenait de lui. Jules Verne a réussi à me piquer suffisamment pour me donner envie de le retrouver dès que possible ! Certes, ce ne fut pas toujours de tout repos mais quelle verve et quel souffle épique !
Ce ne sont pas de nouveaux continents qu'il faut à la terre, mais de nouveaux hommes!
PS : Un certain 20 avril :
Cette terrible scène du 20 avril, aucun de nous ne pourra jamais l’oublier. Je l’ai écrite sous l’impression d’une émotion violente. Depuis, j’en ai revu le récit. Je l’ai lu à Conseil et au Canadien. Ils l’ont trouvé exact comme fait, mais insuffisant comme effet. Pour peindre de pareils tableaux, il faudrait la plume du plus illustre de nos poètes, l’auteur des Travailleurs de la Mer.
J’ai dit que le capitaine Nemo pleurait en regardant les flots. Sa douleur fut immense...
Voilà, il va vous falloir lire le roman pour savoir ce qu'il s'est passé... Et moi, il faudrait peut-être que j'en revienne à Hugo. On peut tout de même saluer l'honnêteté de Verne quant à ses talents littéraires face au dieu des dieux !
18 commentaires
Pas lu ce cultissime roman! Je me demande si ça passerait, car oui, Verne peut se révéler ennuyeux, je te l'accorde.
(20 avril? ça tu es mystérieuse)
A partir du moment où on est gros lecteur, ça passe, parce qu'on sait comment lire ces longues listes en diagonale si on veut. Pour certains, ça participe même d'une certaine poésie (c'est ce que pensait Pérec par exemple).
Je te laisserai découvrir ce qu'il s'est passé le 20 avril !
Très chouette billet ! Et quelle bonne idée de profiter du confinement pour revenir vers les "classiques" (dans le genre confiné, j'ai Le Comte de Monte-Cristo qui m'attend sur ma PAL, mais je n'ai pas encore osé m'y attaquer !). Je ne crois pas avoir lu celui-ci, lors de mes explorations adolescentes de la bibliothèque parentale (ça remonte... !) qui comptait pourtant l'oeuvre intégrale de Verne (incontournable, pour des nantais !)... une lacune à combler, visiblement !
Oui, j'ai des envies d'aventures et/ou de classiques en ce moment ! Comme ma PAL en regorge et comme j'ai souvent tendance à différer ces lectures-là puisqu'il s'agit souvent de pavés, je me fais plaisir en ce moment !
Je ne peux que t'encourager à te lancer dans Le Comte de Monte Cristo : je l'ai lu il y a un ou deux étés et j'ai adoré cette lecture. Dépaysement garanti ! Le volume des pages fait un peu peur, certes, parce que ça promet une lecture au long cours mais finalement ça se lit super bien !
Moi aussi j'ai des envies de romans d'aventure, c'est ce qui m'a poussée vers Jack London.
J'ai peur de m'ennuyer en lisant Jules Verne donc je n'ai encore jamais sauté le pas ("Moby Dick" me fait un peu le même effet pour rester dans la thématique). Tes réserves reviennent souvent dans les billets sur ce grand classique.
Le dernier extrait que tu as posté est très beau. J'ignorais que le Capitaine Némo était un personnage récurrent dans l'oeuvre de Verne.
Bon alors pour le coup, je ne vais pas être très positive avec Moby Dick : je l'ai entamé, très très enthousiaste, il y a quelques années. Les deux cents premières pages m'ont passionnée et puis ça a dérivé sur un traité de biologie des mammifères marins. Je me suis acharnée plusieurs centaines de pages mais arrivée aux alentours des quatre cents, j'ai abdiqué. Ce n'était plus possible. Jules Verne à côté, c'est un petit rigolo plein de poils qui raconte des aventures mouvementées !
A propos de Nemo, il n'est pas à proprement parler récurrent mais on le retrouve comme personnage secondaire dans L'île mystérieuse.
Bon, "Moby Dick" va continuer à prendre la poussière quelques temps alors... Le billet d'Ellettres en a remis une couche sur Verne, je vais voir si après mes lectures en cours (deux gros pavés), je suis encore bien motivée.
Tu es en train de lire Les Misérables, c'est ça ? Je l'ai commencé l'été dernier justement et puis je l'ai laissé aux alentours de 250 pages. Il faut absolument que je le reprenne. C'est tellement magistral ! Bonne lecture ! En ce moment, j'ai des envies de Balzac aussi... Raaaah les classiques !
J'ai plusieurs romans dans ma PAL de cet auteur. Je ne me rappelle pas de tout dans 20 mille lieues sous les mers mais les derniers Verne que j'ai lu m'ont fait sourire à plusieurs reprises.
Oui, il y a un côté très suranné qui fait sourire parfois - quoiqu'il m'a plus souvent hérissé le poil !
Ton billet me donne envie de relire du Jules Verne. Je n'ai lu que le Tour du monde et Voyage au centre de la Terre.
Ces deux-là reviennent beaucoup ! Je les ai notés après L'île mystérieuse.
Merveilleux livre! Verne était tellement un génie, malgré ces réserves que tu pointes à très juste titre – même si les listes de poissons ne me dérangent aucunement, c'est un peu comme Zola qui fait des listes de fromages ou Dumas qui tire à la ligne: j'ai adhéré et je ne m'en lasse pas. Par contre, il a bien une vision du monde datée sur le plan social, ce que je trouve paradoxal chez un tel visionnaire sur d'autres plans. Dans Les Enfants du capitaine Grant, notamment, tu verrais comment les gens parlent des peuples de Nouvelle-Zélande... Quoi qu'il en soit, je suis contente que tu aies apprécié le voyage, qui est en effet une belle expérience de confinement!
Ah oui alors que pour le coup, même avec Zola, je ne me prive pas d'être critique quand même. Je me rends compte, à force de le lire, qu'il avait quand même ses faiblesses quand on rentre dans le détail. De même que Verne, et pour le coup, pour lui, c'est assez flagrant. Mais n'empêche qu'au regard de la littérature d'aujourd'hui, c'est le top du roman d'aventures ! Et nous sommes d'accord pour la vision sociale ultra datée... Les propos à l'égard des peuples autochtones ne sont pas piqués des hannetons. C'est très révélateur de la mentalité coloniale de l'époque et assez effrayant.
J'ai lu pas mal Verne quand j'étais au collège/lycée, je me réserve leur relecture pour dans quelques années. À mes yeux, ce qui plombe la lecture, ce n'est pas tant le côté énumérations scientifiques interminables (dont le charme poétique est surtout destiné aux adultes) qu'aux considérations sexistes et racistes et de classe sociale. Ceci dit, ce sera un petit plaisir !
Voilà, on en revient au même problème majeur ! Pour le coup, j'ai pris ces considérations comme des instantanés de la pensée de l'époque. Selon mon humeur, je les lisais pour bien prendre conscience du chemin nécessaire parcouru depuis, ou je les sautais. Ça ne tient pas non plus l'essentiel du récit, heureusement, en tout cas dans ce titre.
Même son de cloche ici que les commentaires précédents. J’ai adoré lire Verne quand j’étais ado, après j’ai trouvé ça indigeste. Mais ton billet me donne fichtrement envie de m’y remettre, et surtout de découvrir ce titre. Après tout, je peux toujours sauter les passages ennuyeux...
Exactement, tu peux lire Jules Verne comme tu veux ! Tu peux te contenter de le picorer, pourquoi pas ? Tu peux aussi l'entamer et si, définitivement, ce n'est plus possible, tu peux décider de le laisser reposer dans le coin chéri des lectures de jeunesse ;)
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