Frankenstein de Mary Shelley
30/05/2013
Frankenstein de Mary Shelley, 1818
Lecture numérique
Le roman s'ouvre sur les lettres du jeune Robert Walton à l'adresse de sa soeur. Il lui raconte son périple dans le grand nord, en quête de nouvelles découvertes géographiques. Il recueille un matin un homme en pleine mer de glace, près de se noyer : le docteur Frankenstein. Celui-ci, tout d'abord silencieux et faible, plongé dans une profonde mélancolie, finit par lui raconter son histoire, apeuré par l'orgueil de Walton qui aspire à faire évoluer la science à tous prix.
A partir de cet instant, Walton nous confie le récit de Frankestein qui devient le narrateur. Jeune homme d'une famille suisse aisée, il se passionne très tôt pour les sciences naturelles. Il lit tout ce qu'il trouve sur le sujet et nourrit rapidement l'ambition d'aller plus loin :
"Voilà ce qui a été fait, s'exclamait l'âme de Frankenstein, mais moi je ferai plus, beaucoup plus. Sur cette voie déjà tracée, je créerai une nouvelle route, j'explorerai des pouvoirs inconnus et j'irai révéler au monde les plus profonds mystères de la création."
Un intérêt plus particulier le pousse vers le principe même de vie :
"D'où vient, me demandais-je souvent, le principe de vie ? Une question hardie qui de tout temps avait constitué un mystère. Pourtant, que de secrets ne dévoilerions-nous pas, si la lâcheté et la négligence ne venaient perturber nos recherches ?"
Et ni l'un ni l'autre ne vont le perturber. Pendant ses années d'études, il s'échine à la tâche et commence par le plus désagréable et pourtant le plus nécessaire pour étudier la vie : la mort. Il passe de longues heures à disséquer des corps dans la puanteur et la faible lumière pour s'apercevoir, un beau jour, qu'il est en mesure de faire ce qu'aucun de ses éminents professeurs n'a pu jusqu'alors :
"Après des jours et des nuits de labeur incroyable et de fatigue, je découvrais la cause de la génération et de la vie. Davantage : je devenais capable d'animer la matière inerte."
Gonflé d'orgueil, il s'attaque alors à la création d'une créature composée de divers morceaux de cadavres. Il choisit sciemment de le créer plus grand qu'un homme car, sinon, certaines parties lui auraient été difficiles à assembler. Durant cette "création", Frankenstein ne pense qu'au présent ; pas du tout à l'après. Il ne pense qu'à lui, se prenant pour Dieu d'une manière à peine déguisée :
"J'allais donner la vie à de multiples créatures bonnes et généreuses, et nul père n'allait plus que moi mériter la gratitude de ses enfants. Dans le cours de mes réflexions, germait l'idée que si je pouvais animer la matière inerte (ce qui, plus tard, allait devenir impossible), je serais aussi à même un jour de redonner la vie à un corps apparemment voué à la décomposition"
Et de fait, à l'instant précis où la créature ouvre les yeux et prend vie, il la refuse et s'enfuit. D'un coup, sa difformité lui apparaît. D'un coup, il comprend l'ampleur et les risques possibles de ce qu'il vient de faire. Bref, les questionnements et la prise de conscience viennent après ici après l'acte ce qui va, évidemment, poser pas mal de problèmes.
Frankenstein nourrit une crainte totale pour la créature qu'il a lâché dans la nature le soir même de son éveil. Et celui-ci, livré à lui-même, revient à son créateur quelques années plus tard en tuant son jeune frère. Malice ? Instinct démoniaque ? Non. La créature est simplement pleine de colère et de haine envers celui qui l'a engendré pour s'en désintéressé aussitôt - pire : le rejeter. A cause de son apparence hideuse, il vit dans une solitude abyssale puisque tous fuient en le voyant. Tout le monde le prend pour un monstre sans chercher à comprendre ou à le connaitre.
"Je devrais être ton Adam mais je ne suis qu'un ange déchu que tu prives de toute joie. Partout je vois le bonheur et moi, moi seul, j'en suis irrévocablement exclu."
La créature, après un monologue poignant, accepte de ne jamais pouvoir cheminer à côté des hommes mais demande en échange à Frankenstein de lui créer une femme pour qu'il puisse au moins connaître la joie de n'être pas seul au monde. Après avoir accepté, Frankenstein renonce finalement à cette requête. Pour lui, la créature est un monstre profondément malveillant. Dès lors, la créature va déchaîner sa vengeance à l'endroit de cet être aux ambitions de démiurge finalement pétri de faiblesses bien humaines.
Une fois n'est pas coutume, je viens de vous gratifier d'un très long résumé agrémenté de citations (le charme du surlignage intempestif sur livre numérique!) mais il m'a semblé que c'était nécessaire avant de vous en donner mon avis.
J'ai laissé reposer un certain temps ma lecture avant de le faire, d'ailleurs. Même encore maintenant, je ne saurais dire si j'ai aimé ce livre ou pas. Une chose est sûre, il ne m'a pas laissée indifférente et bien qu'il date de deux siècles, il est encore d'une incroyable modernité sur l'être humain.
Frankenstein est sous titré Le Prométhée moderne, il est donc d'emblée aux prises avec ce fameux hybris : vouloir être l'égal des dieux. Notre personnage principal ici veut créer à l'image de celui qui l'a créé. Le problème étant qu'il ne conçoit à aucun moment la portée de son acte. Frankenstein ne parle que de lui même, il est pétri d'un orgueil démesuré que j'ai d'emblée détesté. Il faut avouer que le roman date du début du XIXe et que, donc, le style romantique n'aide sans doute pas à cet effet tantôt prétentieux, tantôt larmoyant du narrateur sur sa personne. La remise en question lui est parfaitement étrangère et bien qu'il se présente comme un puits de science (après tout, il réussit en peu de temps là où personne n'avait réussi jusqu'alors), il ne voit en fait pas plus loin que le bout de son nez et le bout de la bien-pensance de l'époque. La créature est différente, difforme, étrange ? Elle est donc mauvaise ! Ne cherchons pas à aller plus loin que ce lamentable postulat de départ !
Pourtant, la créature prouve qu'elle est capable d'apprendre vite et bien, qu'elle est animée de la même étendue de sentiments - bons ou mauvais - que ses parents humains et qu'elle est capable de réflexion, d'introspection, d'empathie. Mais Frankenstein se ferme à ses évidences et se ferme à sa création. Celle-ci n'a beau que réclamer un peu d'attention et d'amour, Frankenstein la repousse froidement, lui reprochant ensuite son comportement haineux et violent. Peut-être aurait-elle dû tendre l'autre joue ?! Non. Puisqu'on l'a repoussée, la créature choisit la vengeance. Et c'est sur cette note destructrice que se joue toute la deuxième moitié du livre : La créature cherche à se venger de son créateur et le créateur cherche à se venger de sa créature. Ce qui est étonnant, c'est qu'un seul des deux êtres à une raison de se venger - la créature - et c'est également la seule qui éprouvera finalement du remords et de la tristesse. Comme quoi, la créature a dépassé son créateur en "humanité".
J'ai été particulièrement choquée et blessée en lisant ce livre. Véritable plaidoyer pour la tolérance si l'on se place du côté de la créature, c'est aussi un tragique portrait de la nature humaine si on se place du côté de Frankenstein (et de Robert Walton aussi d'ailleurs). Tous les pires aspects de l'homme y sont brossés : l'orgueil, l'envie, l'incapacité à réfléchir, à assumer ses actes, à se remettre en question, l'intolérance, le refus de l'autre, de ce qui est différent, l'apitoyement sur soi, la victimisation. Frankenstein est la quintessence de tout ce que l'être humain a de détestable.
Je n'ai pas eu le plaisir de lire de commentaires universitaires sur cette oeuvre qui, je n'en doute pas, doit en regorger ; je ne sais donc pas si je suis à côté de la plaque. Mais je vous livre ce qui m'a vraiment saisie à cette lecture.
Bien sûr, je fais l'impasse sur de nombreux autres aspects passionnants et prégnants de l'oeuvre comme l'omniprésence toute romantique de la nature, reflet du moi intérieur (les descriptions des montagnes, du lac ou des forêts éclairent tantôt l'état d'esprit de Frankenstein ou de sa créature). Mais je retiendrai vraiment cette leçon d'humanité dans ce qu'elle peut avoir de pire pour me le rappeler dans les instants où l'hybris me saisira derrière les fagots.
Challenge "Les 100 livres à avoir lu" chez Bianca
5eme lecture
10 commentaires
Lecture prise en compte, ça fait 5 en fait et non 2 ! Par contre pense à mettre le lien vers le challenge pour que je reçoives le lien de ton article directement, c'est plus simple pour moi. Je lirais Frankenstein aussi, je suis très curieuse de le lire
Oui, c'est vrai, j'oublie tjs de compter mes lectures rétroactives ! Ça marche, je mettrai le lien la prochaine fois : je ne savais pas que ça te permettait de recevoir directement l'annonce de ma publication. Il est bien ton hébergeur dis donc ^^ Je n'ai pas toutes ces fonctionnalités moi !
Je te conseille "Frankenstein" : C'est un classique qui vaut vraiment le coup à plusieurs points de vue !
Bisouxx et belle aprem Bianca¨¨**
Je garde un mauvais souvenir de cette lecture. Je me souviens m'être profondément ennuyée. Mais en te lisant, je me rends compte être passée à côté de pas mal de choses. Sans doute que je l'ai lu trop jeune.
Je me suis aussi ennuyée parfois : c'est le côté romantique qui veut ça. Les digressions narcissiques, sur la nature ou sur des faits de second ordre sont peu passionnantes pour le lecteur contemporain (qui n'est pas un inconditionnel de la littérature du XIXe). Mais j'ai malgré tout trouvé beaucoup d'enseignements d'intérêt dans cette lecture :)
Je garde un bon souvenir de ce livre, mais je ne l'ai finalement jamais chroniqué curieusement. J'ai eu beaucoup de mal à me lancer dans cette lecture car petite j'avais commencé et le tout début dans les glaces m'avait rebutée (je n'aime pas ce cadre en littérature et dans la vie, je ne saurais pas dire pourquoi :)). Puis je me suis régalée et j'ai eu une vision bien différente de celle que j'imaginais sur le créateur et son monstre... même si le vrai monstre n'était pas forcément celui auquel je m'attendais.
Oui, c'est clair que le cinéma notamment a donné une vision de Frankenstein et surtout de sa créature qui n'a rien à voir avec l'oeuvre originale !! Et du coup, on est souvent étonnée lorsqu'on lit le roman ! Mais du coup, c'est l'opportunité de réfléchir sur ce qu'est vraiment la monstruosité et ici, ce n'est pas vraiment en faveur de l'homme !
J'ai lu "Frankenstein" il y a longtemps mais j'en garde un très bon souvenir même si c'est un roman assez déstabilisant. Il est tellement différent de l'imaginaire qu'on s'est construit depuis les films que c'est étonnant de retrouver une histoire aussi profonde et des réflexions sur la nature humaine aussi poussées. C'est peut-être une question de sensibilité mais je me rappelle avoir beaucoup apprécié les aspects romantiques du roman même si le personnage de Frankenstein, très apitoyé sur lui-même alors qu'il est fautif de bout en bout, m'avait beaucoup agacé. J'en garde un très bon souvenir surtout pour l'humanité de la créature qu'il a créé et qui est tellement différent du monstre des films, gros balourd criblé de boulons.
Sinon, je ne sais pas si tu connais la série "Once Upon a Time" mais, dans la saison 2, il y a tout un développement sur l'histoire de Frankenstein qui est très intéressant et qui m'avait déjà donné envie de relire le roman de Mary Shelley.
Clairement, l'esprit romantique est une question de sensibilité. Ce n'est pas trop la même mais je comprends totalement qu'on puisse l'apprécier, d'autant que Mary Shelley manie l'exercice avec un grand talent ! Et je ne peux qu'adhérer à tout ce que tu mentionnes sur le livre !
Concernant "Once Upon a time", je me suis arrêtée au 5 ou 6eme épisode de la 2eme saison, je n'étais pas très fan de la tournure que prenait la série mais j'ai eu l'occasion d'y voir le personnage de Frankenstein, en effet ! Je ne m'en rappelais plus, tiens !
Moi aussi je l'ai téléchargé sur ma liseuse. je trouve cela super de remettre à l'honneur ces vieux textes. j'ai téléchargé aussi Ann Radcliffe.
Je n'ai jms lu Ann Radcliffe ! Je vais aller voir, tiens !
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