La saga des Béothuks de Bernard Assiniwi
23/09/2013
La saga des Béothuks de Bernard Assiniwi, ed. Actes Sud/Léméac, coll. Babel, 1999, 498p.
Qui sont les Béothuks ? C'est à cette question que Bernard Assiniwi répond dans ce foisonnant roman aux allures d'épopée.
Les Béothuks formaient la nation autochtone de l'île de Terre-Neuve, au nord du Canada. Je mentionne ce fait à l'imparfait car ils ont bel et bien été exterminés jusqu'au dernier par les colons anglais. Contrairement à d'autres nations premières aux abords de ce territoire, ils n'ont pas créé de liens d'échanges avec l'occupant. Dès le début, ils ont refusé l'invasion, répondant par la force à la force qu'on leur opposait et ce prime engrenage a créé une spirale dont la nation Béothuk n'est jamais sortie ; et ainsi jusqu'à ce qu'il n'en reste plus aucun représentant - car ils n'étaient pas de taille face à des anglais plus nombreux et plus lourdement armés.
Pour raconter cette tragique histoire, Bernard Assiniwi découpe son roman - où devrais-je dire sa saga ainsi qu'il l'a lui même intitulée et effectivement, il respecte la forme des sagas nordiques - en trois parties qui correspondent aux trois périodes marquantes dans l'évolution de la nation Béothuk.
Tout d'abord, il fait remonter le temps jusqu'à l'an 1000 de notre ère (et à ma maigre connaissance, c'est l'oeuvre qui remonte le plus loin dans l'histoire amérindienne) et expose la vie mythique d'Anin, le fondateur de la nation. Anin quitte un jour son clan de la loutre (car la nation était alors divisée en clans indépendamment dirigés) pour tenter de faire le tour de l'île, que l'on considérait comme le monde. Tel était un rite initiatique. Durant ce long périple de plusieurs années, il découvre de nombreux territoires, rencontre sa première épouse qu'il sauve de la mort et affronte les vikings, premiers marins à avoir découvert l'Amérique. Parmi eux, il trouve ses deux autres femmes puis la quatrième sera une esclave irlandaise. Il rentre au clan glorieux et grâce à la protection de son animal totem : l'ours. Pour l'honorer, il fonde le clan de l'ours et devient le premier unique chef de la nation Béothuk. Ainsi, elle s'est fondée sur plusieurs valeurs fondamentales : l'authenticité, le courage, le respect de son environnement et le métissage. Les Béothuks, comme beaucoup d'autres nations amérindiennes, étaient très ouverts aux étrangers dès lors qu'ils acceptaient et respectaient leurs coutumes.
Après avoir laissé les Béothuks en plein essor, le lecteur est ensuite plongé au XVe siècle à l'époque des premiers envahisseurs français et anglais. Les échanges avec les Béothuks sont bien souvent violents et mensongers. Au gré des chefs qui se succèdent, la nation oscille entre des périodes où la défense est le souci majeure et où une paix relative est donc maintenue et des périodes d'assouplissement où ils se font systématiquement avoir. Ces évènements n'incitent pas à la souplesse et à considérer que les étrangers puissent être animés de justes intentions. De nombreux Béothuks ont été tués ou enlevés sous de faux prétextes pour être montrés comme bêtes de foire en Angleterre. Les entrepôts de stockage de nourriture et de fourrure ont été pillés. Malgré tout, la vie est encore agréable et les Béothuks occupent à présent toute l'île de Terre-Neuve. Ils ont accueilli en leur sein un marin français devenu l'époux de la chef et plusieurs chapitres sont consacrés à son apprentissage des us et coutumes autochtones ; bien souvent ces chapitres se terminent sur la conclusion que ceux que les européens jugent sauvages sont en fait érudits et bons (on pense au mythe du bon sauvage, n'est-ce-pas?)
Et puis, ce premier déclin mène à la véritable invasion anglaise au XVIIIe et XIXe. Les Béothuks ne sont plus maîtres de leur territoire ancestral dont les anglais ont pris possession en faisant fi de leur existence. Toute tentative de pacification se solde par une tuerie infâme. De 2000, les Béothuks ne sont progressivement plus que 500 puis une centaine et ainsi de suite. Malgré des édits royaux, les autochtones continuent d'être massacrés et molestés. Une prime est également remise à qui en capture un. Pour couronner le tout, un autre tueur européen sévit : le virus de la tuberculose. Les Béothuks qui ne meurent pas d'une balle de mousquet succombent à cette maladie contre laquelle ils sont impuissants. Dans la dernière centaine de pages, on suit tristement la dernière mémoire de la nation qui sera aussi la dernière survivante. Elle verra tous les membres de son clan et de sa famille quitter ce monde en sachant qu'après elle, les Béothuks cesseront d'exister. Cette partie est le récit d'un génocide en toute impunité.
J'en conviens tout à fait : cette lecture pourrait paraitre un peu austère et trop sérieuse de prime abord. Une sorte de précis historique romancé. Pourtant, la plume de Bernard Assiniwi embarque avec un grand plaisir au gré de ce peuple oublié. Le ton épique de la première partie, où Anin rivalise avec nos grands héros médiévaux en bravoure et esprit chevaleresque, fait progresser la lecture sans mal et même avec entrain. J'ai découvert avec étonnement les premières moeurs des Béothuks. Et puis, le caractère testimonial de l'oeuvre lui donne évidemment une saveur particulière. Savoir que tout cela a existé et a été détruit intégralement ne peut laisser indifférent. On oscille entre intérêt historique, interrogation, admiration, dépit et émotion au fil des pages et des époques. Il ne faut pas oublier, cependant, que cette saga ne saurait être comparé à un essai historique. Bernard Assiniwi affirme clairement le caractère mythique de son écriture dans le titre et on retrouve sous sa plume ce côté manichéen que l'on retrouve chez beaucoup de romanciers à propos de l'histoire amérindienne : l'autochtone est en quelque sorte l'image même du bon sauvage - à tort ou à raison ?
Bref, voilà un livre qui n'intéressera peut-être qu'une poignée de lecteurs mais qui les passionnera à n'en pas douter !
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Le Mois Québecois chez Karine :)
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10 commentaires
oui ce livre m'interpelle et j'ai vraiment envie de le lire, belle découverte, merci
Tu y trouveras la fois un frisson romanesque et une terrible émotion quant à la vérité historique des propos. C'est un destin terrifiant que celui des Béothuks et il illustre bien la colonisation des Amériques.
J'avoue que cela m'intrigue, je n'avais jamais entendu parler de ce peuple :-)
C'est une parfaite manière de le découvrir, d'autant qu'il y a malheureusement très peu de documents historiques sur le sujet (le peu qu'il y a a été exploité dans le roman)
Comme d'habitude, tu me mets l'eau à la bouche alors qu'a priori je n'étais pas tentée du tout. Il faut que je me remette à ton challenge, peut-être avec Erdrich...
Ah oui, avec le dernier Erdrich : il est excellent !!
Bien que ce genre de massacre m'indigne complètement, lire sur le sujet ne me tente pas, du moins pas des livres. Des articles de presse oui.
Non mais bientôt, je vais revenir avec une lecture qui t'inspire et que tu auras envie de noter, j'en suis sûre (hihihi) :D
Je ne connaissais pas du tout, mais je suis tentée ! Je note.
Comme quoi, la littérature est une porte sur l'Histoire :)
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