Journal d'un lecteur d'Alberto Manguel
02/07/2015
Journal d'un lecteur d'Alberto Manguel, Actes Sud, 2004, 247p.
Comme dirait l'autre, tout est dans le titre ! Avec une petite contrainte en sus : se replonger chaque mois dans un titre en particulier. On vogue ainsi à la suite d'Alberto Manguel de Cervantès à Margaret Atwood, en passant par Conan Doyle et Buzzati. Inutile de préciser que notre diariste ne lit pas qu'un seul livre par mois. On peut donc se poser la légitime question : pourquoi le choix d'écrire en particulier sur tel titre durant tel mois ? Parce qu'Alberto Manguel nous propose la mise en relation de cette lecture avec les évènements de sa vie et du monde à cet instant T. Comme je le disais donc, tout est dans le titre : Il ne s'agit pas d'un journal de critique ou d'une journal d'érudit sur l’œuvre en question mais bien d'un journal de lecteur, c'est-à-dire de mettre en lumière les échos d'une lecture sur son lecteur et inversement, comment le lecteur éclaire sa lecture avec des éléments de son environnement plus ou moins immédiat. Pour citer l'auteur lui-même : "Pour qu'un livre nous touche, il faut sans doute qu'il établisse entre notre expérience et celle de la fiction - entre les deux imaginations, la nôtre et celle qui se déploie sur la page - un lien fait de coïncidences." (p.32)
Ainsi, c'est bien ce dialogue entre le livre et le lecteur qui fait de ce journal un petit bonbon à savourer. Les lecteurs avides que nous sommes y retrouveront le mouvement qui s'opère perpétuellement en nous sans que nous y fassions vraiment attention. Et pourtant, il faut bien le constater, nous ne choisissons jamais nos lectures au hasard. Alberto Manguel nous découvre ces mécanismes secrets qui président à la lecture et nous fait profiter, en outre, de quelques remarques d'une vive intelligence. J'ai tout particulièrement apprécié sa lecture de septembre des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand qu'il fait résonner avec la catastrophe du 11 septembre survenue un an auparavant. Dans ce contexte de dialogue, une telle remarque vibre intensément : "Pour Chateaubriand, le monde que nous voyons est déjà un souvenir : des choses fugitives, éphémères, disparues et pourtant réticentes à nous abandonner complètement. Le passé ne s'en ira pas : c'est ce que nous vivons dans l'instant qui passe." (p.84)
Et puis bien sûr, on ne va pas se mentir : ça donne surtout envie de lire encore ! Je n'ai à mon actif aucun des livres égrainés par Manguel et quelques-uns m'attirent franchement. Pour tout vous dire, j'ai même déjà acheté le titre de Margaret Atwood. J'aime vraiment l'hommage que Manguel rend à la lecture. Cette activité souvent dépréciée au profit de la recherche, du travail de savant. Pourtant, si la recherche aide à comprendre l’œuvre elle-même, la lecture aide à comprendre la vie, ce qui, somme toute, n'est pas un but moins gratifiant. J'aime l'idée qu'avec la lecture, on s'ouvre là on n'aurait que tourner en rond. Alberto Manguel disait dans La Grande Librairie du 20 mars 2014 qu'"être lecteur, c'est prendre ses responsabilités en tant qu'être humain". J'aime cette idée ! La lecture comme philosophie !
La liseuse de Félix Vallotton (1922)
Et bonnes lectures estivales à tous !
12 commentaires
Un projet qui semble plutôt intéressant ! L'exemple que tu donnes de Chateaubriand me paraît en tout cas le confirmer et me ramène à ma propre lecture, dans d'autres circonstances. Juste une question quant au style : est-ce que Manguel "s'éparpille" et a tendance à digresser ? C'est ce qui m'avait détournée d'Une histoire de la lecture, et je crains de le retrouver dans d'autres de ses livres (je sais que cette écriture fait son charme aux yeux de nombreux autres lecteurs, mais a l'effet inverse sur moi).
Effectivement, comme toujours, Manguel a tendance à digresser également dans ce journal... Comme toi, cela m'avait beaucoup dérangée sur la longueur dans "Une histoire de la lecture", à tel point que j'ai fini par arrêter en cours de route : trop pénible à suivre, trop souvent l'impression de sauter du coq à l'âne et d'aller nulle part. MAIS honnêtement, cela n'est pas du tout problématique ici. La forme du journal facilite la lecture d'une pensée à sauts et à gambades et la taille plus restreinte du livre font que les sauts et gambades en question sont beaucoup moins longs que dans "Une histoire de la lecture" !
Donc, de l'avis de quelqu'un qui n'apprécie pas plus que ça les digressions à n'en plus finir, ce journal mérite tout de même d'être tenté ! :)
Merci pour le conseil ! Je suis rassurée de ne pas avoir été la seule à abandonner l'encensée Histoire de la lecture (j'ai abandonné après un chapitre à peine, en revanche, ou même pas, je n'ai pas tenu très longtemps). Le journal est certainement à la bibliothèque, donc autant tenter, après tout.
Ah oui, je me suis quand même acharnée un peu plus longtemps ! Mais j'ai finir par abdiquer aussi.
Si le journal est à la biblio, c'est l'occasion ou jamais de le tester ! J'espère qu'il te plaira.
Bisouxx ma chère Mina
Super ton billet, ça donne envie ! J'ai moi aussi abandonné "Une histoire de la lecture" en cours de route. Mais là, peut-être qu'avec le forme journal, ça ira mieux.
Merci Séverine ! Tout comme à Mina, je te conseille de tester ce charmant journal :)
J'imagine que ça risque de faire augmenter ma pile, ça! Mais bon, si je n'aimais pas les journaux de lecture, je ne lirais pas les blogs hei! Bien noté.
C'est vrai ! Bien que dans ce journal, il est surtout question des songeries et réflexions de l'auteur à partir d'une œuvre et au regard de l'actualité, plus que des œuvres littéraires elles-mêmes. Ça change des blogs justement et c'est plutôt intéressant !
J'ai très envie de découvrir moi aussi ce petit bonbon
J'espère qu'il te plaira !
Ah mais j'ai quelques Manguel sur ma PAL... J'ai toujours aimé consigner quelques unes de ses citations dans mes petites carnets. Il faudrait que je dépoussière tout cela et que je me lance.
Ah mais oui, Manguel est monsieur "citations à recopier" :D
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