Indian Roads de David Treuer
19/05/2014
Indian Roads - Un voyage dans l'Amérique indienne de David Treuer
Traduction de Danièle Laruelle, Albin Michel, 2014, 420p.
David Treuer est connu en France pour son travail de romancier (Little, Comme un frère et Le manuscrit du docteur Apelle sont publiés en France par albin Michel). Il est également professeur de littérature à l'université de Californie du sud (le mec a deux thèses, dont l'une a été dirigée par Toni Morrison : paye la classe) et essayiste. Il travaille enfin activement avec son frère aîné Anton à compiler le plus de documents oraux possibles en langue ojibwée afin d'en écrire la première grammaire pratique.
Car David Treuer est ojibwé, donc, et membre de la réserve de Leech Lake dans le Minnesota. C'est de son expérience en ce lieu, du vécu de sa famille qu'il part pour rédiger le présent livre - document hybride, à la manière des amérindiens d'aujourd'hui, qui mélange autobiographie, réflexions personnelles, histoire et mise en perspective. Le tout, brodé par sa plume de romancier, donne un ouvrage inclassable mais surtout passionnant sur le quotidien d'une réserve au vingt-et-unième siècle. Le titre original est d'ailleurs Rez Life - plutôt intraduisible certes, mais qui affiche bien plus clairement le propos de l'ouvrage que cet Indian Roads qui ne dit rien du tout ; qui invite au contraire à se méprendre sur le sujet (bien qu'il ait l'avantage de claquer un peu plus sur les étals de librairie).
Si je devais résumer ce livre, je dirais qu'il tente d'opérer une mise à plat. De démêler un écheveau sensible et pourrissant. Les ouvrages sur l'histoire des amérindiens sont plutôt légions mais on peine souvent à saisir l'aspect contemporain de la question - et quand je dis "on", je ne parle pas uniquement de nous, européens, qui n'en ont objectivement pas grand chose à faire au quotidien à moins de vouloir s'y intéresser, mais des américains et des amérindiens eux-mêmes. Ces derniers ignorent souvent ce qu'il en est de l'actualité de certains traités, de leurs droits, et des raisons qui les ont motivés. En outre, la situation très particulière des amérindiens au regard des autres citoyens américains enjoint un racisme sourd des deux côtés de la barrière qui, s'il n'est plus aussi virulent qu'à une époque, est toujours bel et bien d'actualité et affiché sans complexe.
Il s'agit donc pour Treuer de clarifier la situation et, partant de ce fait là, de comprendre et d'envisager l'avenir. Il évite un misérabilisme qui ne saurait être constructif et n'hésite pas à épingler un certain nombre d'aberrations persistantes. C'est évidemment le gouvernement fédéral, les États et les politiques à l'égard des indiens qui en prennent le plus pour leurs grades mais les gouvernements tribaux n'ont rien à envier à la cupidité et à l'arrivisme des Blancs aujourd'hui ; Treuer le met donc en lumière sans concession lorsque nécessaire. De même, il note un éloignement de plus en plus alarmant de l'essence culturelle des nations autochtones au profit d'une image réductrice de l'indianité portée par les indiens eux-mêmes. Comme quoi, parfois, on est jamais mieux desservi que par soi-même.
Je ne compte pas vous détailler plus avant les différents points développés par Treuer - ce qui sont intéressés iront s'y pencher de plus près ; les autres ne le liront pas de toutes façons : en vrac, qu'est-ce qu'un traité et que met-il en lumière sur la mise en réserve ; pourquoi les indiens tiennent à leurs réserves ; la justice tribale ; la violence, l'alcoolisme et la drogue ; les casinos ; l'éducation en immersion contre l'assimilation comme voie de résilience (et j'en oublie sans doute).
Ce qui importe surtout de vous écrire, c'est que ce livre se lit comme un roman, bien que complexe, extrêmement fouillé et parfois redondant. La masse d'information fait qu'on ne retiendra pas tout mais il a le mérite de poser moult questions nécessaires sur le sujet - auxquelles il ne répond pas mais tel est son but, je crois : susciter la réflexion afin d'avancer vers la construction.
Un grand merci aux éditions Albin Michel pour ce partenariat
16eme participation
14eme participation
Photographies d'Aaron Huey (tout comme la photo de couverture de l'édition française)
10 commentaires
Intéressant, en effet !
Tout à fait, Anne !
Je ne pense pas le lire car je ne me penche pas facilement sur les documents mais je trouve le sujet intéressant. Avec toi on se rend compte que la bibliographie sur le thème des amérindiens est très riche :)
Je te comprends, je ne suis pas très friande de documents en général moi non plus. Il faut dire que celui-là est sur un sujet qui me passionne, ça aide et le fait qu'il soit écrit pas un romancier aide également à un style "informel" et une lecture agréable.
Merci pour ton petit mot ma belle ! Le sujet est effectivement d'une grande richesse !
Il semble vraiment chouette ! J'aime assez bien le regard plein de nuances de l'auteur que tu mets en lumière ainsi que le côté "document" du livre qui se lit pourtant comme un roman.
(Et une thèse de doc avec Toni Morrison ? Voilà qui doit te plaire ! Quand l'envisages-tu à ton tour ? ;) )
Tant qu'à faire, je me payerais le luxe d'une thèse avec Louise Erdrich (même si Toni Morrison est évidemment très tentante) ! Cela dit, il faudrait déjà que je finisse mon mémoire et, ensuite, que j'oublie à quel point c'était insupportable pour avoir la foi de me lancer dans encore plus dur héhéhé :D
Où finalement, on apprend que l'homme est toujours son meilleur ennemi et que les décisions prises par les gens qui nous dirigent ne nous sont jamais profitables et ce quel que soit l'endroit où on habite ;-)
Je vois que tu deviens une bible sur le sujet !
Exactement Manu, le pouvoir corrompt et puis c'est tout ! (Philosophie de comptoir bonjour)
Bible sur le sujet, je ne crois pas, mais j'espère que ce sera suffisant pour déchirer pour mon mémoire gniiiii !
je vois que Charline te propose des réjouissances futures! Ta réponse m'a fait rire. Quoique une thèse sur Louise Eldrich ma foi, ce serait passionnant! En tout cas ce livre pose des problèmes très intéressants et assez inédits (je suppose?) sur la responsabilité des indiens eux-mêmes quant à leur réserve et leur statut. Je me demande ce qu'en penserait Louise Eldrich?
Une thèse sur Louise Erdrich, pourquoi pas ! J'aime beaucoup travailler sur elle en ce moment. Mais tout de même, la thèse me fait peur !
Effectivement, c'est assez inédit de parler ouvertement de la responsabilité des indiens eux-mêmes sur leur condition actuelle, bien que, clairement, c'est surtout la colonisation qui en prend pour son grade et les politiques fédérales encore actuelles évidemment. Ce que j'ai beaucoup apprécié également, c'est cette manière de travailler tourné vers l'avenir. Il arrive un moment, le ressassement et le misérabilisme ne sont pas constructifs. J'ai aimé cette soif d'avenir chez Treuer ! Je pense que Louise Erdrich ne serait pas contre ^^
Bises Claudia Lucia :*
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