Le Colonel Chabert de Balzac
26/05/2014
Le Colonel Chabert de Balzac, 1844
Lecture numérique
Un soir, un être étrange en guenilles ; à qui Balzac donne une figure presque fantastique ; débarque dans le cabinet de l'avoué Derville. Celui-ci lui confie être le Colonel Chabert, pourtant déclaré mort à la bataille d'Eylau. Sa survie tient à quelques détails exceptionnels qui font néanmoins aujourd'hui son malheur : bien qu'il soit parvenu à faire reconnaître son identité outre-Rhin, il n'est rien en France, considéré comme un revenant ou un usurpateur. Plus que tout, sa femme refuse tout contact. Celle qui s'est remariée avec le comte Ferraud dont elle a deux enfants ne tient pas à faire une croix sur son actuel prestige social. L'avoué Derville, qui est aussi l'avoué de la comtesse, croit Chabert et l'encourage à poursuivre les démarches. En attendant, il lui verse quelque argent sur celui, espère-t-il, que recevra Chabert de sa femme - elle a en effet touché une importante somme lors de la succession. Malheureusement, cet ancien soldat qui n'aspire qu'à la justice et à retrouver son identité se heurte à la bassesse et à l'arrivisme de la société parisienne. Les procédures sont d'une complexité qu'il ne comprend pas, les motivations d'autrui sont bien souvent l'égoïste ou l'appât du gain. Dans tous les cas, Chabert prend progressivement conscience qu'il n'a rien à voir avec cette société sans ces valeurs militaires - honneur, courage, loyauté, franchise - qu'il portait fièrement sur le champ de bataille à la gloire de Napoléon Ier. Il prendra dès lors la décision qui s'impose.
Jusqu'ici, mes rencontres avec Balzac - et elles étaient peu nombreuses, il n'y en a eu que deux - n'ont pas été très chaleureuses. Si j'ai apprécié La Peau de chagrin tout en m'y ennuyant cordialement à plusieurs reprises, je suis carrément morte d'ennui avec Le Lys dans la vallée. Je l'ai lu jeune, certes, mais ce titre reste malgré tout comme l'un de mes pires souvenirs de lecture. Et puis bon, il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis comme on dit ; j'ai donc entamé Le Colonel Chabert "pour voir" et j'ai tellement bien vu que j'ai adoré ! Le roman est très court (aux alentours d'une centaine de pages pour les éditions papier), on peut donc s'y lancer sans trop retenir son souffle.
Balzac se pose à la fois en historien et en psychologue. Dans ce roman, il est avant tout question de rendre hommage à travers le personnage de Chabert - du moins, c'est ainsi que je l'ai lu - aux anciens combattants de l'armée napoléonienne (qui n'est plus d'actualité puisque nous sommes sous Louis-Philippe).
Ceux qui reviennent amoindris, mutilés, malades après avoir fait preuve d'un courage sans borne lors des batailles les plus épiques de l'Histoire ne sont plus considérés que comme gênants par la société. Ils se retrouvent confrontés à une société qu'ils ne comprennent plus à tous points de vue, en laquelle ils ne reconnaissent plus aucune valeur ; une société qui veut continuer à avancer sans trainer les boulets de son passé. On retrouve en différents personnages ces fameuses valeurs qui ne conviennent pas à Chabert, et principalement en sa femme : la cupidité, l'égoïsme et l'arrivisme d'un être de basse extraction qui tâche de conserver à tous prix sa place au soleil.
Balzac fait de la comtesse Ferraud l'archétype de la femme sans cœur. En effet, il n'est pas seulement question, chez elle, de conserver une position sociétale. Si telle était sa seule ambition et que, pour cette raison, elle refusait de reconnaître Chabert comme son époux, on pourrait le comprendre. Après tout, les femmes n'avaient pas mille cordes à leur arc à cette époque pour agir. Mais sa dureté va au-delà. Elle le manipule, se joue de lui et de ses sentiments à son égard. Elle lui refuse même une maigre rente qui lui permettrait de vivre décemment bien que caché. L'auteur nous place en face de types parfaitement opposés : l'ancien soldat plein d'honneur et sans déguisement ; la femme cupide et machiavélique. Grâce à ce miroir inversé, le pathétique est évidemment accentué, le lecteur est tantôt indigné, tantôt profondément ému et il forme à l'endroit de Chabert une grande empathie.
(un extrait de l'adaptation ciné du roman de 1994 qui met en scène la fameuse charge d'Eylau (la plus grande charge de cavalerie de l'histoire du monde) et la magnifique sonate de Schubert en fond. Tout simplement terrifiant)
Il faut avouer que sa réaction finale n'est pas toujours bien comprise et moi-même je ne peux qu'évoquer mon sentiment de lecture. Je ne crois pas que son abandon des poursuites soit un ultime sacrifice, bien au contraire. La découverte des manigances indignes et iniques de sa femme lui dévoile de manière flagrante la bassesse des valeurs sur lesquelles se base la société d'alors (ceci étant toujours d'actualité, d'ailleurs). Il ne peut supporter une telle société ; il choisit donc d'en prendre congé. De se retirer du jeu. Et puisqu'il ne peut plus être soldat, ce qui restera sa plus grande peine, il choisit de ne plus rien être du tout. Sa démarche procèderait donc d'une misanthropie désespérée. Et c'est ce congé d'un monde qui est à l'encontre de ses valeurs qui me touchent particulièrement. Chabert le vit bien sûr à l'extrême mais il y a là, pour moi, l'expression exacerbée d'un courage et d'une loyauté impressionnante. Chabert n'est pas âme à faire des concessions et c'est ce qui le distingue de tous les autres personnages du roman (y compris l'avoué Derville qui, bien qu'a priori un peu plus honnête que la comtesse Ferraud, n'agit malgré tout que par appât du gain)
Très franchement, même si vous n'aimez pas Balzac, il vous faut lire ce roman. Il est touchant, vrai, violent, plein de mille réflexions passionnantes sur l'être humain et la société qu'il crée, et instructif sur le plan historique. Il me fait personnellement revenir sur le jugement sans appel que j'avais à l'égard de l'auteur, tiens. Pour la peine, je tâcherai prochainement de lire un autre de ses romans - j'ai Le père Goriot et Les Chouans dans ma PAL - pour voir si je l'apprécie à nouveau sur un format plus long.
5eme lecture
12 commentaires
Étudié au collège et A-DO-RÉ !! Balzac ne m'a jamais déçue, même avec Le lys dans la vallée :)
Tu dois être une des rares à avoir apprécié Balzac dès le collège, dis donc ! De mon côté, il m'aura finalement fallu plus de maturité... Mais bon, je ne crie pas encore victoire : j'attends de voir ce que ça donnera sur un format plus long. Je vais sûrement tester Le Père Goriot prochainement :)
Je n'ai jamais lu Balzac, même au collège, incroyable non ? Et comme on ne m'en a dit que du mal, je n'ai jamais osé en lire mais il faudra que je tente un jour, pourquoi pas avec celui-ci ?
C'est le problème des pavés classiques : on finit par en avoir peur ^^
Je pense que ce titre est une bonne manière de découvrir Balzac. Comme il est court, il fait moins peur et puis, je l'ai trouvé vraiment tout le contraire d'ennuyeux :)
si je n'ai pas aimé le lys de la vallée, j'ai beaucoup aimé la peau de chagrin mais aussi le père Goriot. Il faut que je lise ce balzac ! Mais je me demande si le personnage quitte le monde par misanthropie, n'est-ce pas une critique de la société ? Vu ton beau billet, j'ai hâte de le lire !
Roooh oui, tu as raison Maggie, il y a clairement une critique sociale dans ce roman! Je ne sais même pas comment j'ai fait pour le passer quasiment sous silence :)
Comme je te le disais, cet excellent billet ne sert pas ma PAL : je vais me procurer ce bouquin à mon prochain passage en bibli/librairie d'occasion ! Non mais, ça serait dommage de rester sur une note négative concernant Balzac s'il y a au moins un bon bouquin à prendre ! ^^
Tu as bien raison, Charline. Même s'il est l'exception qui confirme la règle, il vaut trop le coup pour s'en priver !!
Je l'ai étudié à l'école et je me souviens avoir adoré. Par contre, je ne me souvenais plus de quoi il traitait :-/
Je connais ça aussi... Heureusement qu'on tient un blog maintenant, on peut se relire pour se rafraîchir la mémoire !
J'adore Balzac et c'est une passion toute récente bien qu'on me l'ait fait lire au lycée ( je n'étais pas assez mature pour l'apprécier je pense). Illusions perdues est mon préféré. Je n'ai pas encore lu Le colonel Chabert mais tu me donnes envie de le sortir de mes étagères. Surtout que ça fait un bon moment que je n'ai pas lu Balzac.
Tu as raison, mon appréciation vient sans doute aussi d'un peu plus de maturité. Là, je viens de commencer "Le père Goriot". On va voir !
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