Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde
24/10/2014
Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde, 2012 [1890], 277p.
Dorian Gray est un jeune homme d'une incroyable beauté. A ce titre, il fascine le peintre Basil Hallward qui réalise son portrait. Lors du dernier jour de pause, un ami de ce dernier assiste à la séance et c'est à lui de fasciner Dorian Gray : il s'agit de Lord Henry Wotton, aux mœurs passablement immorales et à l'esprit particulièrement incisif. Il se plait à dire ces vérités que bien d'autres dissimulent sous le masque d'une bienséance souvent hypocrite ; il se plait donc à mettre à mal et à mettre quelques coups de pieds dans la fourmilière. Ce jour de pause, il déstabilise Dorian en évoquant le caractère éphémère et pourtant crucial, profond de la beauté et de la jeunesse. Le jeune homme ne prend véritablement conscience que ce jour-là du trésor qu'il porte et fait le vœu que son portrait vieillisse à sa place. Malheureusement, comme tout pacte un peu fumeux, le plus important est souvent dans les petits caractères qu'on ne lit pas : certes, Dorian Gray restera éternellement jeune et éclatant mais c'est au prix de son âme. Le tableau marque non seulement la vieillesse mais les plis de cruauté qui craquellent progressivement l'âme du jouvenceau.
Il y a quelque chose d'immoral particulièrement fascinant - entre l'attirance et la répulsion - dans ce roman. Je dis bien "quelque chose" et non pas "le roman est..." car au fond le roman entier est plutôt moralisateur et c'est d'ailleurs cette confrontation des deux qui ajoute à la fascination. Ce quelque chose, c'est Lord Henry, si décomplexé de toutes valeurs. Il est le seul baromètre d'une éthique sans considération pour autrui ; en un mot, il est le maître et son hédonisme sans morale brise autant les chaînes qu'il décape tout sur son passage. Au fond, il est le tentateur, ni plus ni moins et incarner humainement un esprit diabolique, c'est précisément montrer toute la profondeur ambiguë de l'esprit humain. Le diable n'a pas besoin d'être cornu et rougeaud. Il lui sied parfaitement d'être un Lord anglais fier, sûr de lui, plein d'humour et de séduction. Par ailleurs, le roman dans son entier livre une morale implacable : celui qui est tenté et vend son âme au diable pour la jeunesse éternelle est irrémédiablement damné. La chute de Dorian est cruelle et inexorable. Quoiqu'il fasse, il s'abîme dans la fange, dans l'égoïsme et la dureté pour finir par devenir un assassin lamentable sous le coup de la colère. Si certains propos de Henry Wotton peuvent être tentants, il n'y a qu'à voir ce que la pauvre créature qu'il a modelée de ses pensées devient pour comprendre qu'Oscar Wilde ne prend pas son parti. Il n'en reste pas moins que la lecture est clairement dérangeante et puisque le parti de l'auteur reste assez subtil, on ne sait jamais trop si l'on doit être séduit, nous aussi, par Lord Henry ou pas. S'en sortirait-on mieux que Dorian tout en se ralliant à ces mêmes idées ? Disons que cette lecture invite indéniablement à la réflexion morale et la réponse est peut-être de concocter nous-même une morale qui ne soit ni moutonnage passif face à la société ni égotisme destructeur.
Par ailleurs, fidèle au roman fin de siècle, certains passages sont un peu longs, il faut bien le dire. Il me semble que cet excellent Portrait aurait pu rester une longue nouvelle comme c'était prévu initialement. Finalement, Oscar Wilde a intégré divers paragraphes sur la société londonienne victorienne - ainsi que quelques scènes de salons mondains ou dans les bas-fonds d'un théâtre miteux, d'une fumerie d'opium... Et puis, le plus délicieux (je suis à mi-chemin entre la sincérité et l'ironie) : le détail en un long chapitre de toutes les collections de Dorian Gray. Je n'ai pu m'empêcher de sourire en pensant à Des Esseintes dans A rebours de Huysmans. Mais qu'avaient donc ces écrivains à nous gratifier d'une telle liste par le menu ? L'amour esthétique des dandys décadents ne connait pas de limite à l'étalage de beauté ! (le côté embêtant, c'est que c'est rarement passionnant à lire sur la durée)
Malgré ce petit bémol (parce qu'il faut bien finir sur une note chafouine de temps en temps), j'ai vraiment beaucoup aimé ce roman ! Je traversais une période de vache maigre en matière de lecture ; tout me tombait des mains ; et Dorian Gray m'a sauvée ! Quel plaisir de rouvrir un livre à nouveau avec l'envie de le dévorer !
PS : Ceci est parfaitement futile mais... pour ceux qui ont regardé la 1er saison de Penny Dreadful, vous pensez quoi de l'acteur qui joue Dorian ? :D
Merci beaucoup à Manu pour ce cadeau lors de notre swap rock'n'roll.
Merci également à Guillaume Gallienne (si, si), dont l'émission sur France Inter est merveilleuse et qui m'a donné envie de lire ce roman en l'entendant le lire si parfaitement. Pour l'écouter à votre tour, c'est ici
Challenge des 100 livres à avoir lus chez Bianca
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Challenge mélange des genres chez Miss Léo
Catégorie Classique étranger
Challenge L'art dans tous ses états chez Shelbylee
5eme lecture
7eme lecture
22 commentaires
C'est un de mes romans préférés tous genres confondus
Je n'irai pas jusque là me concernant mais je l'ai malgré tout beaucoup aimé !
Oh très jolie chronique !! Tu me donnes aussi très envie de lire ce livre :)
Merci Moglug ! J'espère qu'il saura te séduire autant que moi !
J'aime beaucoup Oscar Wilde c'est l'un de mes écrivains préférés et je suis contente que tu ai aimé ce roman
Merci Bianca ! J'avoue que, par ailleurs, je connais très mal Oscar Wilde, si ce n'est ses célébrissimes aphorismes...
C'est vrai que ces classiques souffrent parfois de longueurs mais ce Dorian Gray ! Ah je suis contente qu'il t'a sauvée ;-)
Ce sont évidemment des longueurs tout à fait supportables et qui sont typiques des écrivains dandys fin de siècle ! Pas de quoi s'en offusquer, donc ! Merci de m'avoir fait découvrir ce roman qui, effectivement, m'a été fort salutaire à un moment où tout me tombait des mains !
Douces bises Manu !
Comme j'ai déjà lu le bouquin, pour le coup j'ai regardé un peu la série "Penny dreadful" en ce samedi de paresse. :D L'acteur qui incarne Dorian Gray, bof... Il ressemble à un adolescent pré-pubère sans charme selon moi, avec un visage trop lisse quand je l'imaginais plus ténébreux... Si je suis exigeante ? Mais pas du tout ! :D Tu l'aimes bien toi ? :D
Héhéhé ! J'avoue que pour ma part, je trouve qu'il colle totalement à l'image que je me faisais de Dorian Gray. Plutôt pré-pubère et lisse, c'est vrai mais en même temps, c'est exactement comme ça qu'est décrit Dorian Gray dans le bouquin. Je trouve qu'il joue bien sur cette apparence très lisse ; toute sa noirceur s'exprime dans son attitude et sa manière de parler. Bref, j'aime beaucoup comme le personnage est rendu dans cette série. Mis à part ça, ce n'est évidemment pas le genre de beauté lisse qui me séduit hein, on est bien d'accord ^^
Aaah, bien vu, que sa noirceur s'exprime dans son attitude et sa manière de parler ! J'y prêterai un peu plus attention du coup, au-delà de son aspect physique sur lequel je me suis gonzessement arrêtée ! :D Et je crois que nous nous accordons bien sur le dernier point :D
Non mais c'est normal de bloquer sur le physique vu que c'est censé être l'atout majeur de Dorian Gray :D Cela étant dit, je préfère l'Américain ^^ (Je ne te dis pas ce qu'il est puisque tu ne dois pas encore le savoir - mais le deviner !)
Rien de tel que les classiques pour redonner du goût à la lecture ! Ohlala... je l'ai lu il y a longtemps, celui-là ;-)
Mais oui, j'aime en lire ou en relire de plus en plus ! Les classiques sont loin d'être des lectures de collège ou de lycée. Ils ont tellement plus de saveur qu'on on les lit adulte ! :)
Je l'ai lu en seconde et je n'avais pas aimé. Cela mériterait une relecture.
Je te déconseille très fortement la très mauvaise adaptation avec Ben Barnes (plus insipide que lui tu meurs) et Colin Firth.
Pour Penny Dreadful et Reeve Carney, je suis d'accord avec toi je le trouve très bon. Moi non plus le côté j'ai 30 ans et l'air d'en avoir 18 ça ne me botte pas, mais je lui trouve du magnétisme, je pense parce exemple à sa magnifique première rencontre avec Eva Green où j'avais des frissons rien que de les regarder se regarder. Il à un côté ambigu, un peu androgyne aussi qui colle parfaitement au rôle.
Ouiii, j'ai également eu les frissons lors de sa première rencontre avec Eva Green grrr !
Je crois avoir vu la version avec Colin Firth. Si je ne me plante pas de film dans mon esprit, j'avais effectivement trouvé le Dorian Gray de cette version particulièrement insipide. Celui de Penny Dreadful est le premier à qui je trouve vraiment du magnétisme (ton mot est parfaitement bien choisi).
Sinon, je suis d'accord avec toi : le bouquin mériterait sans doute une relecture. Pour ma part, je ne sais pas si je l'aurais apprécié en seconde... Mais heureusement, notre regard critique s'affûte. J'ai relu dernièrement Madame Bovary que j'avais détesté en seconde ! Il faut donc relire ses déceptions littéraires de seize ans, ça vaut le coup ^^
Moi c'est l'inverse j'avais lu et adoré Mme Bovary en 1e. Sauf que j'avais été vexée parce que mon prof avait dit que la partie que je préférais était la partie où il ne se passait rien... Ca ne m'a pas empêché d'adorer le livre. Il faudrait que je le relise aussi, mais il y a déjà tellement de choses à lire...
Bouarf, faut pas toujours écouter les profs de français. Parfois, on dit des conneries :D
Mais oui, il y a tellement de choses à lire... Disons qu'un classique de temps en temps, c'est bien agréable. Surtout quand on a enchaîné avant des bouquins contemporains moyens :)
L'un de mes classiques étranger préféré...
Je te comprends, Yv ! Il est excellent !
Je l'ai lu au lycée (de ma propre initiative !), et je dois dire que j'en gare bien peu de souvenirs... Ton billet me donne envie de tenter une relecture !
Ahhh oui, n'hésite pas à te rafraîchir la mémoire ;)
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