L'étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de R. L. Stevenson
26/12/2014
L'étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de R. L. Stevenson, 1886
Lecture numérique
Tout commence par une balade dominicale entre le notaire Utterson et son cousin Enfield. Ce dernier raconte une aventure étonnante et la rencontre qu'il fit un soir d'un bien étrange personnage : Tandis qu'il se promenait, il aperçoit une fillette et un homme qui marchent en direction l'un de l'autre. Au moment où tous deux se croisent, ils se heurtent, la fille trébuche et l'homme la piétine sans ménagement. Enfield se précipite aux côtés de l'homme et l'interpelle ; les parents accourent peu après pour invectiver la brute et réclamer un dédommagement. Il s'avère que l'homme en question a la caractéristique peu commune d'inspirer à la fois terreur et dégoût. Son visage, sans être difforme, apparaît immédiatement diabolique. Il semble également posséder une clé du laboratoire du célèbre docteur Jekyll puisque chacun l'y voit entrer et ressortir pour rapporter quelque argent aux parents de l'enfant piétinée. Utterson est aussi interloqué que curieux. Il se rend dès le lendemain chez son ami Jekyll pour percer à jour le secret de celui qui se fait appeler Edward Hyde. Comment et pourquoi, en effet, un médecin respectable, aimable et raffiné peut-il cohabiter avec un personnage de la pire espèce ?
Le propos mis en lumière dans cette délicieuse nouvelle n'est pas sans rappeler celui de Dracula : D'une part le Bien, de l'autre le Mal ; d'une part le côté lumineux, de l'autre le côté obscur de la force de l'homme. A cette exception près qu'ici, la scission se révèle à travers un dédoublement de personnalité. Le Mal n'est plus l'inconnu, l'étranger, comme dans Dracula - qui pourrait se lire comme ce qui a pu être oublié ou refoulé, ce qui est issu de temps trop anciens ainsi que l'est Dracula lui-même - mais bel et bien un autre moi-même. Dans L'étrange cas du docteur Jekyll et M. Hyde se dessine l'idée que le Mal est en nous, est conscient et vivant et près à l'action. L'homme, par nature, est complexe et bouillonne en lui le bon comme le mauvais.
Par ailleurs, Jekyll explique que la raison pour laquelle il persiste à devenir Hyde, même après avoir constaté les méfaits du personnage, est la bouffée d'air frais que ce dernier lui procure. La si délicate et policée société victorienne se trouve ici mise en mal. S'il est de bon ton d'être parfait aux regards d'autrui en tant que Jekyll ; il est encore meilleur, sous les traits de Hyde, de se laisser aller sans restriction en faisant fi de tous ces codes contraignants. Hyde est celui qui n'a honte de rien, ne respecte rien, ne s'oblige à rien. Il est l'homme détaché de la morale et des règles sociales. Un aperçu effrayant, certes, et qui n'est pas à souhaiter, mais qui a le mérite d'effriter l'hypocrisie sociale.
J'ai évidemment adoré cette nouvelle. On se laisse prendre au jeu de pistes suivi par Utterson pour comprendre qui est Hyde et quelle est sa relation avec Jekyll. En bonne pointilleuse littéraire, néanmoins, je dois avouer ne pas avoir compris pour quelle obscure raison on persiste depuis des années à classer cette nouvelle dans le genre fantastique. Strictement rien n'est fantastique ici, au sens littéraire du terme : nulle terreur ne point à l'horizon, nul évènement extraordinaire non plus, et encore moins d'hésitation entre fiction et réalité de la part des personnages comme du lecteur. Au contraire, le texte tient plutôt du genre policier puisque toute la première partie est consacrée à l'enquête d'Utterson qui cherche des indices et mène des interrogatoires nombreux. La seconde dévoile les raisons scientifiques - et non pas surnaturelles - de l'affaire et explique le mystère. Certes, tout cela repose sur une raison purement imaginaire et l'un des personnages en présence est violent et repoussant. Mais, à la limite, cela s'apparenterait plus aux prémices de la science-fiction qu'au fantastique : de même que dans Frankenstein, il y a une explication - on est dans le fantasme de manipulations médicales mal contrôlées qui dérapent et créent un monstre allégorique, et de même que dans Frankenstein, il y a une issue précise et irrévocable - la mort - à l'affaire. Bref, à partir du moment où se réunissent explication rationnelle et conclusion précise, je ne vois pas comment on peut être dans le fantastique qui est censé être exactement le contraire.
Bref, l'objet de ce blog n'est pas de couper les cheveux en 4 (même si j'avoue une petite accointance occasionnelle avec cette activité). Qu'il tienne ou pas du fantastique, du policier ou de la SF, L'étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde est excellent, passionnant et tout ce qu'il y a de plus prenant. Une courte lecture qui mérite deux heures passées au coin d'une cheminée à grignoter les restes de Noël. Et toc !
Challenge des 100 livres chez Bianca
18eme participation
11eme lecture
14 commentaires
Tu ne seras sans doute pas étonnée si je te dis que j'aime quand tu te coupes les cheveux en quatre dans tes articles. En tant que littéraire, je trouve tes réflexions très intéressantes, notamment sur le bien et le mal, en comparaison avec Dracula, ou sur les genres littéraires. As-tu déjà vu la ou une des adaptations cinématographiques de la nouvelle ? Je crois me souvenir de la présence d'une femme et me demande si la comparaison avec la nouvelle pourrait mener à des conclusions semblables à celles que tu avais énoncées dans ton article sur les adaptations de Dracula.
Merci Mina !
Le seul film que je connaisse concernant Jekyll et Hyde est "Mary Reilley" de Stephen Frears. Mais ce n'est pas à proprement parler une adaptation de la nouvelle de Stevenson. Cela dit, je l'ai vu il y a tellement longtemps que je ne saurais qu'en dire... Tu me donnes envie de le revoir, tiens ! Je mets ça au programme de ma soirée !
J'aime beaucoup ce texte! Je l'ai relu plusieurs fois depuis ma première lecture. Et je me suis souvent demandé pourquoi on le classait en fantastique, moi aussi...
Je pense que le relirai de temps à autre également !
Ce court roman ou longue nouvelle est pour moi un des livres fondateurs de ma passion de la literature. Nombreuses adaptations ciné dont les deux meilleures à mon avis, Dr.Jekyll et Mr.Hyde, datent de 1931 et 1941. Fredric March et Spencer Tracy y interprètent le double rôle. Tout à fait d'accord sur l'absence de fantastique.Mais on sait que les classements et les catégorisations sont bien fragiles.
Je note ces deux films, Eeguab ! Merci !
Je l'ai acheté il n'y a pas très longtemps et j'espère qu'il ne va pas moisir trop longtemps dans ma PAL, c'est une histoire que je veux lire depuis longtemps et j'espère comme toi l'adorer !
Elle se lit très vite ; tu trouveras sûrement bientôt un moment pour t'y plonger ! J'espère également que tu l'adoreras !
Coucou Lili ! Je m'inquiétais de ne plus te voir et on ne peut s'abonner sur Haut&Fort, snif ! Je n'ai pas de reader non plus, autre que celui de WP !
Ta chronique me rappelle des souvenirs de lecture et cinématographiques, tu en parles sous un angle très intéressant ! Bises et bonne fin d'année ! :)
Coucou Aspho ! Depuis quelques temps, il est possible de s'abonner au flux RSS sur H&F ! L'onglet est juste en dessous de la liste ds blogs suivis ! Sinon, tu peux me suivre par Hellocoton :)
Merci pour ma chronique, Aspho !
Je te souhaite également une excellente année et à très bientôt j'espère !
J'ai lu cette nouvelle il y a longtemps (j'étais en quatrième je crois) mais j'en garde un bon souvenir. J'ai racheté l'édition ultim récemment et je compte bien le relire très vite ! J'espère que j'apprécierai autant que toi !
Bises.
On a toujours un doute, c'est vrai, quand il s'agit d'une œuvre qu'on a lue très jeune. Mais bien souvent, la première impression est la bonne ! Bonne relecture !
Ce qui m'avait impressionné dans ce roman c'est notamment le fait que le monde entier connaisse en gros le fin mot de l'histoire et que malgré tout on est cramponné au récit du notaire... Si ça n'est pas de la technique narrative, ça !
Je n'y avais pas pensé, Nathalie, mais tu as parfaitement ! Captiver alors même qu'on connait l'histoire, ça, c'est du talent !
Les commentaires sont fermés.