Le Roman de la momie de Théophile Gautier
07/01/2015
Le Roman de la momie de Théophile Gautier, Le livre de poche, 2001 [1858], 285p.
Les escapades orientales étaient jadis une mode aristocratique. C'est ainsi que Lord Evandale, flanqué d'un docteur en égyptologie un poil rustaud mais très passionné, sillonne la vallée de Biban-El-Molouk à la recherche de quelque trésor antique encore inviolé. Grâce à un grec à l'affût des touristes, les voilà qui creusent et creusent encore jusqu'à la tombe somptueuse de Tahoser, celle qui subjugua les hommes et régna sur l’Égypte. Telle est histoire, mystérieusement glissée sous ses membres entourés de bandes, que nous raconte ce roman. Celui d'une jeune fille riche, noble et délicate, dont s'éprit le grand Pharaon et qui, pourtant, aima un ouvrier hébreu.
Le Roman de la momie démarre lentement, comme savent si bien le faire bien des romans du XIXe siècle : une longue mise en contexte pour mieux retarder le vif du sujet - mais quel est-il, ce vif du sujet, au fond ? N'est-il pas précisément ce dont il est question en introduction ? - Le tout, assortit de descriptions esthétisantes à n'en plus finir - il semble que, pour les écrivains partisans de l'art pour l'art, tout nécessite d'être souligné et poétisé. La poésie et les délices de la langue m'enchantent, nul besoin de le re-préciser. Pourtant, sur la première centaine de pages, l'indigestion m'a parfois frôlée. Les bonnes choses se savourent avec parcimonie - ce qui n'était pas exactement le maître mot des romantiques. J'avoue donc, pour des questions de santé intestinalo-intellectuelle, avoir lu quelques lignes en diagonale.
Et puis le vif du sujet est là - nous ne reviendrons pas sur cette question du vif du sujet car je sais bien, maintenant, que j'ai perdu quelques saveurs en lisant en diagonale jusqu'ici - et c'est l'enchantement absolu. S'il ne faisait certes pas dans la simplicité et la concision, Gautier ne faisait pas non plus dans la médiocrité. L'écriture est d'une beauté totale et sert le récit jusqu'à faire se pâmer la plus réfractaire aux histoires d'amour niaises que je suis. L'aventure, ici, n'est pas affaire de pirates ou de Grand Nord mais de mots comme autant de doux mets. Rien que d'y penser, j'en frissonne encore. Mais lisez vous-même l'amour éclatant sous la plume de Gautier :
"Si, au lieu d'avoir remporté dix victoires, tué vingt mille ennemis, ramené deux mille vierges choisies parmi les plus belles, rapporté cent charges de poudre d'or, mille charges de bois d'ébène et de dents d'éléphants, sans compter les productions rares et les animaux inconnus, Pharaon eût vu son armée taillée en pièces, ses chars de guerre renversés et brisés, et se fût sauvé seul de la déroute sous une nuée de flèches, poudreux, sanglant, prenant les rênes des mains de son cocher mort à côté de lui, il n'eût pas eu, certes, un visage plus morne et plus désespéré. Après tout, la terre d’Égypte est fertile en soldats ; d'innombrables chevaux hennissent et fouillent le sol du pied dans les écuries du palais, et les ouvriers ont bientôt courbé le bois, fondu le cuivre, aiguisé l'airain ! La fortune des combats est changeante ; un désastre se répare ! mais avoir souhaité une chose qui ne s'était pas accomplie sur-le-champ, rencontré un obstacle entre sa volonté et la réalisation de cette volonté, lancé comme une javeline un désir qui n'avait pas atteint le but : voilà ce qui étonnait ce Pharaon dans les zones supérieures de toute-puissance ! Un instant, il eut l'idée qu'il n'était qu'un homme !"
Le Roman de la momie est un tout ce qu'il y a de plus romantique. Il ne fait pas partie de ces romans sur lesquels une polémique est envisageable. De la fascination mélancolique pour les civilisations oubliées, Gautier brode un mystère où se mêlent amour et mort, passion et transgression, non sans saupoudrer le tout de rêve et de religion devenue, sous sa plume, fantastique. Le lecteur est définitivement transporté malgré lui en ce pays et en ce temps qui, évidemment, n'ont jamais existé. Ce pays et ce temps très particulier qu'ont su créer les romantiques pour revoir le passé et l'amour sous un jour nouveau. A n'en pas douter, un délicieux voyage pour commencer 2015 en beauté, très exactement.
"Peut-être, répondit Lord Evandale, tout pensif, notre civilisation, que nous croyons culminante, n'est-elle qu'une décadence profonde, n'ayant plus même le souvenir historique des gigantesques sociétés disparues. Nous sommes stupidement fiers de quelques ingénieux mécanismes récemment inventés, et nous ne pensons pas aux colossales splendeurs, aux énormités irréalisables pour tout autre peuple de l'antique terre des Pharaons."
Challenge Mélange des genres chez Miss Léo
Catégorie Roman historique
12eme lecture
12 commentaires
Rhooo magnifiques extraits ! Et encore un tout beau billet, qui me convainc bien de lire ce livre, y compris ce qui concerne ta "santé intestinalo-intellectuelle" ! Merci :)
Aha, comme d'habitude : une métaphore vaut mieux que de grands discours !
Contente de t'avoir donné envie, ma douce !
Tu me convaincs de relire un jour ce roman avec ces beaux extraits. Ces interminables descriptions avaient pourtant eu raison de ma patience et j'avais abandonné avant de le reprendre plus tard en diagonale (pour ma défense, j'étais très obstinée et décidée à lire ce roman à 13 ans, mais ce n'est pas la meilleure idée que j'aie pu avoir, en tout cas pas au bon moment). L'histoire m'a pourtant marquée et paru très belle, tout à fait le genre d'histoire d'amour tragique que j'affectionnais.
Je crois qu'à 13 ans, je n'aurais jamais passé la 1ere partie ! Tu as été bien courageuse. Néanmoins, je suis sûre que le roman gagnerait beaucoup à être relu maintenant, avec ton regard adulte et aguerri :)
Je l'ai lu il y a au moins 15 ans, je ne m'en souviens plus du tout mais j'avais aimé, Théophile Gautier d'une manière générale c'est pas mal du tout !
Certes, Théophile Gautier n'est pas le dernier des écrivains ;) Cela dit, je le connais bien plus comme poète que comme romancier. Ce roman m'incite à le découvrir un peu plus !
Oh la la, j'ai lu ce texte il y a plus de 10 ans, je ne me souviens plus très bien, sauf que j'avais adoré !
Merci pour ce beau billet qui me donne envie de m'y replonger !
Décidément, ce titre semble avoir du succès à l'adolescence ! J'espère que tu auras l'occasion de le redécouvrir avec un nouveau regard :)
J'ai lu ce texte il y a un moment mais ce n'avait pas été un coup de coeur non plus. peut-être qu'il faudrait que je me plonge à nouveau dedans
Disons qu'il faut dépasser les cent premières pages plutôt fastidieuses. La suite m'a vraiment subjuguée. Peut-être était-ce trop tôt pour toi ou pas le bon moment lorsque tu l'as lu :)
Merveilleux souvenirs de lecture adolescente... il faudrait que je le relise !!
Je ne suis pas sûre que je l'aurais aimé à l'adolescence ! Mais si c'est ton cas, ça vaudrait effectivement le coup de le relire : tu devrais l'adorer maintenant ^^
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