Charlotte de David Foenkinos
17/05/2015
Charlotte de David Foenkinos, Gallimard, 2014, 221p.
David Foenkinos est plutôt de ces auteurs qui ne m'attirent absolument pas. Entre des problématiques contemporaines vaguement nombrilistes et superficielles et un style peu réputé pour sa profondeur, j'ai toujours allègrement passé sur ses titres et ce Charlotte n'a pas fait exception lors de sa sortie en septembre dernier. Et puis, voilà que je le reçois en cadeau pour mon anniversaire ! Diantre ! Il était donc temps de me frotter à l'un de mes nombreux préjugés littéraires (parce que, bien évidemment, j'avais beaucoup d'avis sur Foenkinos sans l'avoir jamais lu, c'est plus rigolo).
Cette énigmatique Charlotte, c'est la peintre Charlotte Salomon, aussi surdouée qu'éphémère, victime de la solution finale nazie. Charlotte naît dans une famille aimante mais profondément troublée par une succession de suicides. La petite fille reçoit d'ailleurs le prénom de feue sa tante et sa mère se jette à son tour dans le vide treize ans plus tard. Son père travaille comme un fou ; il trouve pourtant le temps de se remarier avec une chanteuse d'opéra que Charlotte adule, adore et à laquelle tantôt elle s'oppose. C'est une forme de mélancolie étrange et pénétrante qui habite perpétuellement Charlotte jusqu'à ce qu'elle rencontre la peinture : elle trouve alors son moyen de vivre et de s'exprimer. Mais la situation politique en Allemagne gâche progressivement la fête : la culture puis la vie même se referme sur les juifs. Les Beaux-Arts refusent de saluer le travail de Charlotte. Elle se voit obligée de fuir en France, désespérément seule. Elle ne reverra plus son père, sa belle-mère et son amant passionné. Elle ne reverra plus l'Allemagne. Tout juste aura-t-elle le temps d'achever une œuvre magistrale entre fantasme et autobiographie.
La forme de Charlotte déroute de prime abord, avec ses courts chapitres composés de strophes à l'infini. L'auteur s'en expliquera au cours du roman : il lui a semblé que l'histoire de Charlotte Salomon appelait cette incessante respiration. On craint donc de lire un poème en prose sur deux cents pages et, soyons francs : même pour une amoureuse de la poésie et des styles poétiques, c'est un peu flippant. Néanmoins et heureusement, il n'en est rien. Ce retour à la ligne est avant tout une affaire d'espace nécessaire, plus que de genre littéraire. Le style de Foenkinos est donc exactement ce qu'on lui reproche : d'une simplicité qui confère la plupart du temps à l'absence de style. D'une écriture qui se lit toute seule tant elle n'est pas particulièrement ciselée.
Et pourtant, j'ose dire qu'il s'agit d'un délicieux coup de cœur ! Comme quoi, il ne faut pas toujours avoir inventé la poudre pour toucher sa cible ! J'ai dévoré de bout en bout ce court roman, sans doute peu audacieux mais rondement bien mené. Chaque personnage séduit et émeut à sa manière. Charlotte, quant à elle, apparaît d'une ambivalence bienvenue, d'une complexité qui sied à l'artiste et, comme toutes les comètes aussitôt nées aussitôt disparues, elle fascine par sa vie même. On frise parfois l'absurde dans cette confrontation à une réalité familiale et historique tragique à laquelle Charlotte répond avec une inadaptation attendrissante. Charlotte a quelque chose de ces héroïnes perdues et empêtrées dans un destin qui les grignote mais qui, de cette lente descente, tirera le sel fascinant de ses œuvres.
En somme, et parce qu'il faut bien conclure, je reconnais amplement que ce roman n'est pas un chef d’œuvre : la plume de Foenkinos n'a rien d'éblouissant et il égraine plutôt facilement un peu de pathos ici ou là. Mais j'ai été bonne lectrice sur ce coup-là et son entreprise m'est allée droit au cœur. Je reconnais donc qu'encore une fois, mon préjugé était à demi-erroné (ou bien, dois-je reconnaître aussi que je m'amollis... Qui sait !) et je conseillerais avec plaisir la lecture de ce titre à qui veut bien m'entendre !
8 commentaires
j'ai beaucoup aimé aussi cette lecture aussi.
Il semble avoir beaucoup plu, ce roman !
Ma mère l'a adoré aussi ! J'ai tenté, pour ma part, et la mayonnaise n'a pas du tout pris... Boah !
Je comprends tout à fait ma douce ! Il faut avouer qu'on frise parfois le pathos (voire on a les orteils bien dedans) et l'écriture ne casse clairement pas trois pattes à un canard. Du coup, je conçois tout à fait que ces défauts empêchent la mayonnaise de prendre. En temps normal, ç'aurait aussi été le cas avec moi, probablement. Pourquoi est-ce que ça a fonctionné cette fois-ci ? Je n'en ai pas la moindre idée ! Mais tant mieux cela dit, je ne crache pas dessus ^^
Eh bien je n'aurais pas cru voir un jour un Foenkinos en coup de cœur chez toi ! Je me demande ce qu'il en sera d'autres titres si tu en lis. J'avais l'impression que ce roman-ci était assez différent par son sujet, qui l'amenait à plus de gravité dans le ton, et n'étais pas forcément tentée (La délicatesse et Les souvenirs m'ont plu, mais pas au point de me précipiter aveuglément sur les suivants). Son humour est assez particulier dans ses autres romans, et je reste sur l'idée qu'on y adore ou qu'on déteste.
Je ne l'aurais pas cru non plus :D Mais tout arrive ! Pour ma part, ce sont plutôt les autres titres de Foenkinos qui ne me tentent pas trop, précisément parce que j'ai un gros a priori sur son humour (et puis parce que ce n'est pas non plus l'écrivain du siècle : ce coup de cœur ne m'a pas aveuglée à ce point-là). Mais bon, qui sait, si, comme pour "Charlotte", je me retrouve avec l'un de ses autres titres dans les mains, je retenterai à nouveau l'aventure !
Je crois que j'étais comme toi car j'avais plein de préjugés sur cet auteur mais j'ai de même repéré ce sujet.
J'espère que comme moi, ce titre te permettra de surpasser quelques-uns de tes préjugés alors !
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