N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures de Natasha Kanapé Fontaine
10/05/2015
N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures de Natasha Kanapé Fontaine, Mémoire d'encrier, 2012, 73p.
J'ai assez parlé, souvent, de cette alliance entre l'être et la terre qui me passionne tant dans la littérature amérindienne - en vers comme en prose - et à quel point cette double dynamique d'ancrage et d'élan vers l'avenir à l’œuvre dans la plupart des créations contemporaines autochtones me semble être la plus belle manière d'exister.
Le premier recueil poétique de Natasha Kanapé Fontaine, québécoise Innue de Pessamit, ne déroge pas à ce propos et propose une gamme de perles poétiques où s'articulent les différends, les blessures et les espoirs.
Je n'en dirais pas beaucoup plus à cet égard, non parce qu'il n'y a rien à en dire, mais parce que je ne voudrais pas devenir redondante de fil en chroniques.
J'ai, par contre, fort peu souvent parlé de la féminité des auteures amérindiennes que j'ai lues et chroniquées - très sincèrement parce que cette question du genre en littérature m'indiffère au mieux, m'énerve au pire : franchement, un écrivain est un écrivain, non ? - mais aussi parce que ça ne m'a jamais semblé être la question vraiment cruciale des œuvres en question - disons, une questions parmi d'autres, que je faisais mine de sauter à cloche-pied. Je ne peux décemment pas la sauter à cloche-pied chez Natasha Kanapé Fontaine tant la question de son devenir en tant que femme se mêle à la question du devenir en tant métisse et, plus largement, en tant qu'être humain. J'ai aimé découvrir patiemment, au fil de ses mots si percutants, si pleins de la vitalité de la jeunesse, le questionnement holistique de Natasha Kanapé Fontaine. Elle semble se demander et demander à son lecteur, simultanément : Qu'est-ce qu'être femme aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'être métisse ? Qu'est-ce qu'être humain ? Comment continuer à être dans le respect et la joie de son passé, d'une histoire de plusieurs siècles ou de quelques années seulement, comment panser ses blessures à tous points de vue et comment construire l'avenir sous les auspices de la lumière et de la création heureuse ?
Ce recueil est un questionnement vaste, foisonnant, parfois incisif et triste mais toujours énergique et vibrant, sur notre place à tous dans un monde en perpétuel mutation - qui ne saurait tolérer la cohérence et la lenteur des choses immuables et solides. En parallèle, jamais en opposition, de cette pensée de l'éphémère et du futile, Natasha Kanapé Fontaine imprime de sa poésie délicieuse - et pleine d'espoir tant elle n'avait que vingt et un ans à l'époque de ce recueil - la foi en une autre création possible qui ne soit pas basée sur des sables mouvants.
J'ai perdu mon nord. La boussole blanche s'est cassée.
Je marche par tes détours, en attendant de fuir.
Inerties.
Bienvenu dans mon corps fatigué, affamé d'un monde parallèle. J'ai oublié la formule qui cassait la brume des îles lointaines.
En échange repose-toi en mon pays dévasté.
Je te préparerais la perdrix, si je le pouvais.
Je susurre en oiseau d'été.
Incantation.
Etouffe-moi de lunes en vision d'alors
dans un tableau de Salvador.*
Petapan Kashikat ton ciel se meurt
Je m'étends de tout mon long
sur la terre de tes vêpres
ton azur fini de sel
grugé
mon offrande.*
Aveuglante humilité
d'un chemin de neige
poignardé de doutes
j'ai cherché ta silhouette brune
l'ombre suave
de ton amour.*
Mille mercis chaleureux à Topinambulle pour cette belle découverte !
Par ici, le blog de Natasha Kanapé Fontaine et son facebook.
10 commentaires
Ton billet est passionnant. Et je lis grâce à toi les vers. Ils me rappellent la belle découverte de ceux de Joséphine Bacon. Il y a des trésors aux éditions Mémoire d'encrier.
Oui, il y a indéniablement de belles découvertes à faire chez cette maison d'édition, et dans la littérature québécoise et amérindienne en général !
Il a effectivement une grande proximité avec Joséphine Bacon, bien que je trouve que la question de la féminité est plus présente chez Natasha Kanapé Fontaine ainsi que l'énergie de la jeunesse.
Je suis contente si ce billet t'a touchée Marilyne :)
Bises !
Je ne connais pas du tout ce texte mais ce que tu en dis donne envie. Je note à l'occasion.
Oui, il vaut le coup d'être découvert :)
Le titre semble déroutant par rapport aux extraits que tu proposes ici ! ^^ (Paie ta remarque intelligente ^^)
Héhé ^^ Le titre est un proverbe gitan, pour tout te dire ! ;)
Héhé tu sais où je vais dimanche ? A la librairie Tulitu, le Québec en plein Bruxelles ! Je vais inspecter le rayon Poésie, tiens !
Ahhh super ! J'espère que tu y trouveras ce beau recueil :)
J'ai été ravie, moi aussi, par la féminité qui émane de son recueil : désir, sensualité. Cela m'a surprise, en fait, je ne m'y attendais pas du tout. Merci Lili pour ce très beau billet. Je suis heureuse que, de l'autre côté de l'océan, tu m'aies invitée à découvrir la littérature amérindienne. J'ai hâte de partager une lecture commune avec toi sur le sujet :)
Je ne m'attendais pas, non plus, à autant de féminité. Je suis grandement touchée de t'avoir donné envie de pousser plus loin la découverte passionnante de la littérature amérindienne ! J'ai hâte aussi que nous fassions une lecture commune là-dessus !
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