Northanger Abbey de Jane Austen
16/06/2015
Northanger Abbey de Jane Austen, 10/18, 2014, 276p.
La vie n'a pas été très tendre avec notre héroïne Catherine Morland jusqu'à ces dix-sept ans - L'ingratitude des corps et la platitude des caractères n'épargnent personne ! -, âge auquel elle se lance dans le monde de Bath en compagnie des Allen. Les débuts sont mornes ; l'ennui guette ; mais voilà qu'elle rencontre les Thorpe puis les Tilney et une valse de rendez-vous, de confidences, de ballades et de soirées ampoulées s'enchaînent pour passer les jours et les remplir d'un semblant de complétude. Catherine, dans cette affaire, tombe amoureuse d'Henry Tilney et se réjouit d'aller passer quelques semaines dans sa famille à Northanger Abbey. Emma Bovary à ses heures - et avant l'heure -, Catherine Morland fantasme immédiatement sur la demeure comme sur les bâtisses hantées de ses romans gothiques. Et c'est plutôt à mourir de rire.
Soyons clairs : dans ce roman-là de Jane Austen - son tout premier achevé pour l'édition mais édité posthume : quel talent déjà ! - tout le monde en prend pour son grade sans déguisement ! J'avais trouvé dans Orgueil et préjugés une ironie bien présente mais subtile, encore que de plus en plus ténue à force de tourner les pages (ou est-ce parce que la lectrice que je suis s'est prise aux filets de Darcy comme une bleue ?). Dans Northanger Abbey, j'ai découvert avec un immense plaisir et, accessoirement un grand sourire scotché aux lèvres tout le long du bouquin, une ironie beaucoup plus affirmée et assumée, qui n'hésite pas, dès lors, à dessiner déjà quelques-uns des ressors qui feront plus tard notre roman contemporain. Ainsi, l'auteure est bel et bien présente - presque en chair et en os - dans les premières dizaines de pages. Et lorsqu'elle parle de Catherine Morland, c'est pour mieux parler de son processus d'écriture et de son amusement piquant à croquer une anti-héroïne extrêmement moderne : Si la vie n'a pas été tendre avec Catherine Morland, l'auteure non plus !
En outre, même si j'ai été un poil déçue (un poil seulement, entendons-nous bien), de découvrir que la partie à Northanger Abbey était si restreinte par rapport à celle de Bath, j'ai heureusement goûté avec plaisir que Jane Austen égrène tout au long du roman des remarques diverses et cinglantes à l'endroit du roman en général et du roman gothique en particulier. Le propos de Jane Austen est plutôt équivoque : elle ne saurait méjuger les lecteurs de romans - bien au contraire : n'en écrit-elle pas, après tout ?! Il ferait beau voir rabaisser ce que l'on pratique soi-même, peu ou prou et c'est bien ce qu'elle met en lumière chez beaucoup de ses contemporains. Le roman a ceci de fabuleux et de virtuose qu'il s'agit de créer un monde nouveau de toutes pièces, par la force seule d'un esprit éclairé et bouillonnant et de savoir, ensuite, le poser en bons mots. Elle se plait par contre à épingler les Emma Bovary en puissance qui prennent leurs lectures pour des réalités et ont, dès lors, le discernement d'une cacahuète grillée. Rassurez-vous ! Catherine Morland s'en remettra ! Mais, en attendant, nous, lecteurs, aurons l'occasion de bien rire de ses escapades dans Northangger Abbey. (N'empêche que, les éloges et les critiques étant fort bien menées, j'ai sacrément envie de lire Ann Radcliffe maintenant !)
Et puis, comme toujours, on retrouvera une peinture au couteau de la gentry entre deux siècles prise dans des questions Ô combien cruciales telles que la qualité d'un tissu ou l'ordre des invitations à danser. Bath est particulièrement propice à ces piques successifs mais surtout orchestrés de main de maître, tant la futilité, l'inconsistance et l'oisiveté semblent être sports nationaux - et Mrs Allen d'en être la championne toutes catégories. Les Thorpe exercent plutôt dans les disciplines alternatives de la mesquinerie et de la fatuité, disciplines qui réclament comédie et stratégie qu'il faut saluer chez la chère amie de Catherine. Sacrée Isabella, qui m'aura eu, moi aussi, pendant un bon moment !
Un roman complet, donc, dans lequel, loin de trouver une Jane Austen en devenir, encore timorée ou embryonnaire, on a droit à une Jane Austen déjà au taquet du piquant et de la modernité. Une Jane Austen exactement là où on elle doit être : les deux pieds dans son époque, mais avec cette verve et cette intelligence vibrante qui la place d'emblée parmi les romancières les plus modernes.
Merci beaucoup à Aymeline pour ce cadeau lors de notre Mini British Swap !
Le mois anglais 2015 chez Lou, Titine et Cryssilda
4ème lecture
LC autour de Jane Austen
18 commentaires
Pas de beau Darcy à même d'attraper la lectrice comme une bleue cette fois, alors ? Ou étais-tu mieux endurcie aux charmes de tels personnages ?
L'ironie plus ouverte que tu signales pourrait me plaire, comme les Thorpe. C'est noté comme prochain Austen à lire "un jour" !
Oh il y a bien Henry Tilney qui n'est pas désagréable mais je me suis moins fait prendre ^^ Je ne suis pas un cœur d'artichaut tout de même, héhé ! Pour le coup, "Northanger Abbey" est sans doute le Jane Austen que je conseillerais le plus, pour cette fameuse ironie plus mordante.
après avoir attendu bien longtemps pour me "lancer" avec cette auteure, je pense que je continuerai, et pourquoi pas avec celui-là!
Je suis comme toi, Eimelle ! Et ce titre est une excellente manière de poursuivre !
Oh oh... Quel super billet ! Je pense que ce livre pourrait davantage me plaire qu'"Orgueil et préjugés"... Peut-être qu'il réhabilitera la triste image que j'ai de Jane Austen !
Merci ma douce ! Je pense que ce titre pourrait réhabiliter un peu ton point de vue en effet :)
J'adore ton billet ! Tu en parles tellement bien toi-même - Jane Austen, sors de ce corps - que ça me donne envie illico de sauter par-dessus Raisons et Sentiments pour lire Northanger Abbey...Au début j'ai cru lire "l'ingratitude des caractères et la platitude des corps"... ;-) mais ça aurait pu marcher aussi, non ?!
Merci Elletres ! J'avoue que de mon côté, "Raison et sentiments" ne me tente pas follement pour l'instant. A voir plus tard. Comme toi, j'apprécie ma découverte tardive de Jane Austen mais pas encore au point de devenir une inconditionnelle.
Tu as raison, ça aurait pu marcher aussi ^^
Mais il faut que je le sorte de la PAL, celui-là ! Avec un billet pareil...
Mais oui, il faut, Anne ! ;)
Tu as préféré lequel alors de J. austen ? Moi, c'est le premier lu de Austen et c'est celui que j'ai préféré !
Je n'en ai lu que deux pour l'instant alors c'est dur de juger pour l'heure... D'autant que celui-ci et P&P sont très différents. Honnêtement, je ne saurais dire ^^
Je suis ravie qu'il t'ait plu ! J'en ai beaucoup apprécié l'ironie et l'influence des romans gothiques sur Catherine (d'autant plus drôle quand on constate l'influence des romans de Jane Austen sur nous^^)
Tout pareil, Arieste ^^ Merci pour ce cadeau particulièrement bien choisi !
J'ai lu et relu tous les JA, et mon préféré est en général le dernier lu (^_^) Il ne faut pas hésiter à tous les lire!!!
Héhé, merci du conseil, Keisha. Je le suivrai très probablement !
Je suis doublement ravie que ce livre t'ait autant plu (Jane Austen oblige + livre issu de mon mini swap) et ton article en plus est très intéressant!!!
Merci Alice ! Et merci à toi pour ce super swap qui m'a permis quelques chouettes découvertes ! Vivement le prochain ;)
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