Dark Island de Vita Sackwille-West
18/06/2015
Dark Island de Vita Sackville-West, Le livre de poche, 2013[1934], 325p.
*Instant www.mylifedelectrice.com*
C'est il y a deux ans, si ma mémoire est bonne, que j'ai fait connaissance avec l'écrivain qu'est VSW. Jusqu'alors, elle était pour moi un personnage important de la vie de Virginia Woolf, rien de plus. Point de vue un brin condescendant, j'en conviens. Savoir que Woolf l'appréciait en tant qu'être mais avait tendance à juger trop superficielle sa littérature ne m'a jamais incitée à pousser plus loin le bouchon.
Et puis, lors d'un mois anglais tout pareil à celui que nous fêtons en ce moment de nos articles en tous genres, j'ai découvert moult articles sur les romans de VSW et notamment sur Dark Island ; je me rappelle notamment avoir été interpelée par le billet très enthousiaste de Shelbylee. Aussi, quand elle proposa de le remporter lors de l'anniversaire de son blog, je me suis inscrite sans hésiter et hop, quelques jours plus tard, il était dans ma boîte aux lettres.
Cela fait donc un bon moment qu'il trône dans ma PAL. J'ai lu un autre VSW entre temps, que je savais plus léger, pour palier à un manque de Downton Abbey et je l'avais grandement apprécié. Il était donc temps que je m'y colle à nouveau (d'ailleurs, depuis, j'ai accumulé deux VSW supplémentaires. Rahhhh). J'attendais simplement le bon moment, car je sentais une pointe de noirceur et de complexité nouvelles dans Dark Island, que je ne voulais pas louper. Et voici le moment arrivé !
*Instant clôt. Passons maintenant aux choses sérieuses*
Cette dark Island, c'est évidemment l'île de Storn qui attire bien des vacanciers mais qui, surtout, fascine Shirin. Chaque été, elle l'admire de loin, ne voulant pas toucher cet espace sacré, au risque d'éclater la bulle du paradis. Pourtant, l'été de ses seize ans, elle rencontre le futur maître des lieux, Venn Le Breton et l'échange de cet unique jour fait déjà des étincelles. Elle le reverra dix ans plus tard, fraîchement divorcée et mère de quatre enfants. Ils se marieront en quelques jours et poursuivront ainsi un triangle amoureux étrange, malsain et passionnel avec cette île sauvage. De dizaine en dizaine, Shirin est à la fois toujours la même - profondément indépendante, lointaine, éblouissante - et de plus en sombre et mélancolique. Venn, à force de jalousie et de violence, brise une à une les attaches qui maintiennent Shirin à la surface de la vie : son île, son amie Cristina. Entre l'un et l'autre, se nourrit une haine destructrice dont on sait dès les premières pages du roman qu'elle aura une issue dramatique.
Je ressors perplexe de cette lecture, ne sachant trop dire à quel point je l'ai appréciée. Je l'ai appréciée, la chose est sûre. Mais le plaisir a été malgré tout fluctuant, tantôt hésitant, tantôt très enthousiaste. Il faut vous dire, tout d'abord, que Shirin est typiquement de ces personnages féminins que je déteste. Je ne comprendrais jamais comment on peut confondre à ce point avoir de la personnalité et être une égoïste insensible. Comment on peut trouver hautement séduisant celui ou celle qui se plaît à vous piétiner. Cet espèce d'aveuglement masochiste me laisse à penser qu'en tout cas, celui ou celle qui trouve cela délicieux manque clairement, lui, de personnalité. (A noter que l'un des personnages dans ce cas se fait quand même surnommer paillasson ou tapis de cheminée - je ne sais plus exactement, pardonnez-moi - pour son plus grand plaisir. Tout un poème). Voilà donc l'un des ingrédients le moins agréable à mon goût : cette Shirin pénible, dont l'obscurité m'a semblé d'une superficialité bourgeoise. Quand bien même tous les personnages ainsi qu'elle-même semblent lui trouver une source existentielle profonde, j'y ai vu pour ma part la profondeur d'un dé à coudre. Je lui recommanderais avec force et plaisir une paire de gifles parfumée à la violette pour rasséréner un peu son insensibilité de déesse feinte.
Par contre, la découverte d'un nouvel aspect de l'écriture de VSW a été un enchantement ! En 1934, VSW et VW se connaissent depuis douze ans. Douze années pendant lesquelles elles ont échangé un grand nombre de lettres aux sujets divers et où la littérature, entre quelques potins mondains et quelques déclarations ambigües, avait nécessairement sa place. Ces douze années, indéniablement, se sentent dans ce Dark Island où les flux de consciences se meuvent abondamment pour livrer une intériorité nouvelle chez les personnages. Jusque là, je connaissais une VSW capable de retranscrire une époque à merveille, d'un éclat et d'une frivolité tranchante. J'ai vu ici comment l'échange avec Woolf avait progressivement ancré ses pas chassés si agréables sur le socle passionnant et sinuant des âmes et sur la longue ligne du temps - tout comme l'échange avec VSW a permis à Woolf d'écrire un Orlando drôle, enlevé, d'une originalité farfelue et décomplexée telle qu'on se plait à sourire franchement à sa lecture. Quel plaisir, vraiment, de lire à quel point une relation tout ce qu'il y a de plus humaine peut donner des fruits littéraires aussi passionnants.
Pour revenir à Dark Island donc, VSW fait suivre à son lecteur, sur quatre décennies, des instants particuliers de Shirin et de ses satellites, en une suite alternée de discours direct, indirect, indirect libre, de flux de conscience et de narration interne ou externe : hop ! en veux-tu, en voilà, je te donne un peu de tout et à toi de voguer, lecteur, sur les vagues fracassantes de l'île britannique la plus attractive et la plus dangereuse. Si ce n'est pas toujours évident de se retrouver dans certains passages dans le creux de la vague (on ne le dira jamais assez : le risque fréquent du flux de conscience, c'est l'ennui), ou dans le flou artistique des faits et pensées, le roman se lit malgré tout de manière plutôt fluide - soyons clairs : si je parle d'influence claire de Woolf, Dark Island n'est pas du Woolf. Il se lit donc bien plus facilement.
D'un point de vue littéraire, Dark island est indéniablement un beau voyage. Il me fait prendre conscience d'une complexité de VSW que je n'avais pas soupçonnée et d'une capacité à moduler, évoluer tout en développant une voix propre et percutante - j'aime ce côté cinglant, cette intelligence du regard social chez VSW. J'ai évidemment envie de lire prochainement ses autres romans dans ma PAL, mais je crois que je vais également craquer pour sa correspondance avec Woolf sans trop attendre. Et que je vais aussi lire prochainement un nouveau Woolf. Oui, je sais : je lis VSW et je reviens encore à Woolf. Tout mène à Woolf, ce n'est pas ma faute...
"Finalement, sa situation était totalement extravagante. Être installée là, avec ses inconnus pourtant si proches d'elle. Me voilà comme Alice, assise entre le griffon et la tortue fantaisie. Était-elle condamnée à les retrouver là chaque soir pour le restant de sa vie ? Mais la permanence ou la durée ne signifiaient rien pour elle et elle haussa les épaules, soucieuse comme toujours de ne pas s'enfermer dans ses pensées, selon sa devise "Ici aujourd'hui, demain ailleurs." Elle resterait elle-même, quoiqu'il arrive. Ce serait sa seule fidélité." p. 164
(Sans déconner : Woolf ou pas Woolf ?!)
Le mois anglais 2015 de Lou, Titine et Cryssilda
5eme lecture
LC autour d'une auteure du XXème siècle
16 commentaires
intéressant! Je regarderai s'il est à la bibliothèque!
J'espère que tu l'y trouveras !
J'avais beaucoup aimé !
Je te comprends !
J'aime beaucoup ton approche woolfienne de ce roman ! Je trouve aussi que l'on y retrouve la patte de Virginia dans l'étude du flux de pensées des personnages. Je suis sortie de ce roman comme toi, pas vraiment un coup de coeur mais un grand plaisir de lecture comme toujours avec Vita.
Je suis contente de ne pas être la seule à avoir senti Woolf à ce point dans ce roman :)
C'est vrai que la plume de VSW est toujours très agréable à lire !
"La profondeur d'un dé à coudre" et "une paire de gifles parfumée à la violette pour rasséréner son insensibilité de déesse feinte" : avec ça et l'analyse des apports mutuels de VSW et Woolf, you made my day!
Je n'ai pas encore lu un seul Woolf (shame!) même si j'ai entendu beaucoup de choses sur elle ; VSW écrit bien ; quant à tes billets, c'est toujours un grand plaisir de les lire !
Merci Ellettres !
Je te conseille de te jeter dès que possible sur Woolf, elle saura te faire une sacrée journée ^^
Comme toi, j'ai découvert VSW il y a 2 ans, à l'occasion du mois anglais ! C'était avec "Toute passion abolie" que j'avais trouvé formidable (je te conseille cette lecture d'ailleurs). Depuis j'ai essayé de lire "Dark Island" mais me suis arrêtée en court de lecture ... Pourtant, en lisant ton billet, je me souviens très bien de l'ambiance, de l'île, de Shirin ...
Je note "Toute passion abolie". Quoique, je me demande si ce n'est pas un des deux titres qui m'attend dans ma PAL. Hmm...
" Toute passion abolie " est merveilleux ! Encore une petite vieille qui fait sécession , figure toi !!
Je t'ai lue en diagonale car il est ds ma pile ; je reviendrai plus tard . Je suis moi aussi plongée ds la correspondance VSW et VW , extra
Ah, je ne l'ai pas dans ma PAL celui-là mais je note. Vivent les vieux qui font sécession ! "Il pleuvait des oiseaux" ne devrait pas tarder à être lu d'ailleurs !
un jour, je vais trouver un livre de cet auteur... un jour. J'ai envie de découvrir son écriture. Bon, je ne pense pas que je vais commencer par celui-ci par contre. Et j'aime les parenthèse "life"
Peut-être pas non. "Au temps du roi Edouard" est une parfaite manière d'aborder VSW !
Je suis bien contente qu'il t'ait plu même si Shirin t'a agacée ^^ J'en garde toujours une très fort souvenir. D'ailleurs, ça me donne envie de lire un petit VSW en plus d'un VW !
Mais oui, c'est une bonne idée de lier les deux lectures ! Lis "Orlando" de Woolf du coup, ce sera approprié au va-et-vient entre les deux auteures :)
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