Acide Sulfurique d'Amélie Nothomb
15/04/2017
Acide sulfurique d'Amélie Nothomb, Le livre de poche, 2007, 212p.
Je fais partie de ces gens qui, par principe un peu snob, n'aiment pas Amélie Nothomb alors même que je n'ai jamais réussi à finir aucun de ses romans (ceci explique sans doute cela, en même temps). Je me rappelle particulièrement de Métaphysique des tubes qui m'était totalement tombé des mains. J'en retenté deux ou trois titres depuis avec la même absence de succès (et j'ai même oublié les titres). J'avais donc décrété qu'Amélie Nothomb n'était pas pour moi et, comme la vilaine fouine que je suis, cela équivalait dans mon esprit à dire que c'était un peu de la crotte de chamois.
Et puis, j'ai vécu la traversée du désert pour savoir quoi faire lire à mes 3e dernièrement jusqu'à tomber sur ce titre-là, Acide sulfurique, de mon auteure mal-aimée préférée. Allez, qu'à cela ne tienne, me dis-je, il n'y a que les imbéciles pour ne pas changer d'avis.
Et me voilà embarquée plutôt fort, comme les personnages, dans une rafle du côté du Jardin des Plantes. Tout le monde, sans distinction d'aucune sorte, est entassé dans des wagons à bestiaux jusque dans des camps qui n'ont rien à envier aux camps de concentration nazis, à ceci près qu'ils sont équipés de caméras dans tous les coins. Certains raflés sont embauchés pour devenir kapos selon leur veulerie gratuite et leur imbécillité ; les autres revêtent le costume des prisonniers. Nous voilà dans la télé-réalité nouvelle génération : une télé-réalité qui se crée et se renouvelle au gré des audiences, où les principaux acteurs du show ignorent tout et où le consentement d'autrui n'est plus nécessaire, où les pires horreurs de l'histoire deviennent sujet de divertissement, où la mort d'un homme se décide en pressant un bouton de sa télécommande.
Vint le moment où la souffrance des autres ne leur suffit plus ; il leur en fallut le spectacle.
Le propos est non seulement accrocheur mais d'une brûlante actualité. Je me rappelle de la polémique que ce titre avait soulevé lors de sa sortie, en 2005. De nombreux journalistes s'étaient insurgés contre l'irrespect de mettre en parallèle un phénomène télévisuel, certes discutable mais relativement inoffensif et surtout mettant en scène des personnes consentantes, et les camps de concentration. Le fait est que, douze ans plus tard, on ne peut que difficilement s'en offusquer tant on n'est pas si loin d'une telle folie. L'appât de l'audimat et donc du gain - du côté des producteurs - et l'appât de la nouveauté, du toujours plus, du scandaleux, du croustillant et accessoirement de la bêtise la plus éhontée - du côté des spectateurs - sont suffisamment grands et puissants pour qu'on ne soit pas si loin de tels jeux sur nos écrans (si tant est qu'on puisse encore parler de jeu). Dans toute cette moutonnerie assez déconcertante, le rôle tordu des médias qui jouent d'un je t'aime moi non plus dont on peine à comprendre l'intention véritable est également très bien montré : au final, tout être pensant que l'on est (et si on ne l'est pas, c'est encore pire), on se retrouve embarqué dans un phénomène d'intérêt éminemment malsain voire hypocrite. Cette peinture des travers de nos comportements et de la dérive télévisuelle est plutôt bien servie et me semble une base intéressante de réflexion, notamment pour les adolescents qui ont tendance à tout boire sans suffisamment prendre le recul critique nécessaire.
Le taux d'abstention au premier vote de "Concentration" fut inversement proportionnel à celui des dernières élections législatives européennes : quasi nul, ce qui fit dire aux politiques que l'on devrait peut-être songer, à l'avenir, à remplacer les urnes par des télécommandes.
Cependant, si je reconnais un intérêt réflexif intéressant à l'ensemble, et un style ponctuellement savoureux, je ne me peux m'empêcher de persister à considérer que, dans le détail, le récit souffre de beaucoup de facilités et d'une vision trop manichéenne pour être consistante, notamment du côté des personnages. Un peu plus de nuance aurait été bienvenue. Je me creuse la tête depuis tout à l'heure pour trouver malgré tout un personnage plus intéressant qu'un autre mais aucun ne me semble rattraper l'autre. Même l'évolution de Zdena est en carton. Je ne parle même pas de l'héroïne, Pannonique, qui doit faire se retourner toutes les Madones de la Renaissance sur leurs tableaux. La caricature est trop présente. On sent qu'Amélie Nothomb est une conteuse d'histoires. Elle imagine ici un univers un peu fou, pas si éloigné du nôtre. Elle construit à grands traits un récit et des personnages pour nous dépayser. Malheureusement, on ne dépasse pas le stade de l'ébauche. C'est dommage. Ce pourrait être tellement excellent, poussé un peu plus loin, désencombré des facilités et des clichés.
N'empêche que je peux dire, maintenant, que j'ai fini un roman d'Amélie Nothomb ! (mais sans avoir envie d'en lire un autre, je dois l'avouer)
22 commentaires
Je ne suis pas non plus une adepte d'Amélie, j'ai lu certains de ses romans et j'arrive à la même conclusion que toi, conclusion que tu formules parfaitement : ébauche ! c'est exactement ça ! Sans compter que ses fins me laissent toujours sur ma faim , comme si elle s'en débarrassait, je ne sais pas si c'est le cas dans ce roman-ci. Et du coup tu vas le donner à lire à tes 3e ?
C'est dommage parce qu'il ne manque vraiment pas grand chose pour que ce soit très bon... Mais ça glisse vers trop de facilités. Il n'y a pas assez d'attention, d'exigence portée aux détails (qui font, finalement, tout le sel d'un bon roman).
Pour ce qui est des 3e, je vais le leur proposer, oui. Je crois que c'est un roman qui peut vraiment leur plaire et les secouer sur certains points. La question qui subsiste par contre est de savoir si je le colle en étude d'oeuvre intégrale ou en lecture cursive !
Je n'ai pas lu celui-là, certains de mes élèves oui (en lecture libre). Thomas Gunzig a aussi mis en scène les camps de concentration dans une nouvelle très noire, j'aime bien la faire lire aussi ;-)
Je ne savais pour cette nouvelle de Gunzig (il faut dire que je n'ai jamais lu l'auteur...). Je note ! Merci Anne !
Moi, c'est avec ce livre que j'ai décidé de cesser d'acheter ses livres à l'époque. J'avais trouvé ce livre trop facile, à l'époque c'était le loft et tout ça... donc je n'y avais trouvé aucune originalité, juste la facilité de prendre un concept dans l'air du vent, sans apporter aucune nouveauté au concept (partir du concept ne me pose pas de problème, mais en tant qu'auteur, elle aurait dû en faire quelque chose, aller plus loin!). Ensuite, j'avais trouvé de très mauvais goût d'associer cela aux camps de concentration.
Après avoir fermé ce livre je me suis dit que je ne donnerai plus jamais ne serait-ce qu'un euro pour un de ses livres, et c'est ce que j'ai fait depuis :)
C'est vrai qu'à l'époque, le sujet ne brillait pas par son originalité - et son manque d'aboutissement par l'auteure devait être encore plus criant... Mais au final, il draine des sujets de réflexion pas inintéressants. Dommage que ce ne soit pas plus travaillé d'un point de vue littéraire. Cela dit, je te comprends : lire ce roman et lui trouver certaines qualités ne m'ont pas pour autant donné envie de pousser plus avant l'oeuvre d'Amélie Nothomb...
Sacrée Amélie. J'aime un livre sur deux. Soit je crie au génie, soit je hurle à l'arnaque. En ce qui concerne Acide Sulfurique... je n'ai toujours pas tranché. J'avais même lu deux critiques opposées pour me décider (celle de Beigbeder, et celle de Baptiste Liger)..et là idem. En te lisant, je me dis que je suis tout à fait d'accord avec ton propos. Hygiène de l'assassin et cosmétique de l'ennemi sont mes préférés.
Bon week-end
Je crois qu'il est impossible d'avoir une opinion tranchée parce qu'il y a malgré tout beaucoup de qualités dans ses récits - du moins, dans celui-là, c'est certain. Mais elles sont dommageablement diminuées par de gros défauts - notamment, cette paresse intellectuelle qui amoindrit considérablement ce qui aurait pu être excellent. Je pense que c'est précisément cette tendance à la facilité, à ne pas aller jusqu'au bout, qui suscite des réactions épidermiques et agacées : il n'y a clairement pas grand chose de plus énervant que quelqu'un qui a de l'or dans les mains mais s'endort sur ses lauriers.
Ah, c'est drôle, j'ai écrit récemment une petite chronique, ou plutôt une gentille petite taquinerie, au sujet de cette auteure, que je n'ai pas publiée - je ne sais pas si je le ferai...
Bref, comme toi, j'ai des réserves totalement infondées sur Amélie Nothomb. Je ne peux pas dire que je n'aime pas ses livres : je ne les ai jamais lus... Mais le personnage m'agace et ses livres, il faut le dire, ne m'ont jamais attirée. Sauf que mon collégien de fils, que j'ai de plus en plus de mal à faire lire, s'en est entiché. Et du coup, je lui suis évidemment très reconnaissante ! Cependant, je n'ai pas réussi à aller au bout du premier titre qu'il a lu - Le crime du comte Neuville - dont j'ai trouvé le style d'une platitude absolue...
Je suis comme toi : Le personnage m’horripile... Et les sujets de ses livres, souvent, ne m'intéressent pas... Pourtant, il faut reconnaître qu'elle a très bonne presse auprès des adolescents ! Et qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour eux, hein? On en vient même à lire Amélie Nothomb :D Propose-lui "Acide sulfurique" du coup ! Tu me diras s'il a aimé !
J'ai beaucoup aimé ce que j'ai lu d'elle, exception faite de Tuer le père qui était un peu en-dessous. Je l'ai découverte tard, il y a quatre ou cinq ans, longtemps après que plusieurs amis, qui l'aimaient beaucoup à ses débuts, quand ils étaient plus jeunes, l'aient un peu laissée de côté car elle se répétait ou n'était plus aussi percutante. (Un peu comme Stephen King, tu as l'impression qu'il y a eu une courbe descendante soudaine dans la qualité de sa production). J'aime le côté drôle et cruel à la fois, et le fait que tout soit assez barré mais vive ça bien. Je n'ai pas lu celui-ci toutefois, mais tu me donnes envie ! :)
Sinon je comprends très bien que ses livres ne plaisent pas à tout le monde, je crois que c'est vraiment on aime ou on déteste ! Ceci étant, si tu as un jour envie de réessayer, il y a Hygiène de l'assassin qui est intéressant en tant que livre-dialogue, il me semble qu'il n'y a pratiquement pas de narration en dehors des échanges entre les deux personnages.
Je suis ravie de te donner envie !
Et je note ton conseil, qui s'ajoute à celui d'Aude, à propos d'Hygiène de l'assassin, si le coeur m'en dit de me repencher sur Amélie Nothomb !
Je suis tout à fait d'accord avec l'intégralité de ta chronique ! (à part que je me suis contentée de mentionner ce livre dans un bilan lectures, aha)
C'est exactement ça : un scénario prometteur, gâché par un développement bâclé et superficiel. Vraiment dommage.
Et j'ai malheureusement l'impression que c'est une caractéristique commune à beaucoup de romans d'Amélie Nothomb....
je ne lirai plus l'auteur, sauf si je suis sur une île déserte avec juste ses bouquins :)
Ça a le mérite d'être catégorique :D
Je n'ai jamais lu Amélie Nothomb, et elle fait partie de ces auteur(e)s français qui m'intriguent, un peu ce trio de tête dont on entend beaucoup parler Levy/Musso/Nothomb, souvent associés aux romans de gare. Son univers m'interpelle, notamment son esthétique à elle puisqu'elle dégage quand même quelque chose de fort. Les avis sont très mitigés sur elle, et du coup, je ne sais pas trop vers lequel me diriger surtout qu'elle a beaucoup de bouquins de fait quoi. Mais, je pense noter celui-ci histoire de me lancer vers quelque chose, puisque c'est le seul que tu as réussis à finir haha !
J'avoue que, pour ma part, son personnage de m'intrigue pas : il m’horripile ! C'est surfait et assez mal fait, en prime. Mais, en effet, c'est toujours intéressant d'aller tâter les auteurs ultra connus, ne serait-ce que pour en parler en connaissance de cause. C'est chose faite pour moi maintenant avec Nothomb. Je n'envisage pas de tenter l'expérience avec Musso ou Levy cela dit : faut pas déconner non plus !
Je crois qu'il y a de plus en plus de gens qui constatent que les oeuvres d'Amélie Nothomb ne sont pas des ouvrages révolutionnaires. Elle créé un monde mais j'aime mieux la poésie de Matthias Malzieu par exemple. Le dernier que j'ai lu d'Amélie c'était les combustibles mais j'ai pas aimé du tout TT c'est toujours trop court, le même schéma, ce n'est pas développé. J'ai toujours un sentiment de frustration intense quand je referme l'un de ses livres parce que j'ai la désagréable impression qu'elle aurait pu aller plus loin, donc qu'elle a en un sens bâclé son travail.
Tu confirmes donc l'idée que ça ne sert pas à grand chose de pousser plus loin la lecture de son oeuvre si on y retrouve les mêmes défauts à chaque roman !
Je partage globalement ton avis "nothombien"...
Il y a une douzaine d'années, quand elle était sur toutes les lèvres, j'ai lu par curiosité un de ses romans. Une pièce de théâtre, en réalité - "Les Combustibles" - qui posait la question suivante : si nous devions brûler des livres afin de nous chauffer pour survivre, par lesquels terminerions-nous ? Pitch attirant, n'est-ce pas ? Et puis... je me suis retrouvée face à un écrit que j'ai trouvé extrêmement creux et parfaitement égocentrique.
Bon, je lui ai laissé une seconde chance, même une deuxième, une troisième... En même temps, en 1h30, la plupart de ses romans sont pliés. J'ai lu "Stupeur et tremblements", "Métaphysique des tubes", "Robert des noms propres" (parce qu'à défaut d'Amélie, j'aime beaucoup Robert - la chanteuse) et puis"Antéchrista" aussi, je crois. On ne pourra pas dire que je n'ai pas essayé :) A chaque fois, pourtant, ça a été la même histoire : un résumé augurant originalité et réflexion, et une lecture finalement creuse et égocentrique. Et qui tourne clairement en rond après quelques romans.
Bref, Amélie Nothomb, moi pas comprendre.
Et pour la petite histoire, un millionnaire russe a pour projet de réaliser une télé-réalité sur le modèle de "Hunger Games", dans laquelle il aurait souhaité que tous les coups soient permis, y compris le viol et le meurtre. Oui oui. Il est finalement revenu sur ses paroles, contraint et forcé. Je ne sais pas si le pire est que des gens regardent ça, ou que d'autres acceptent d'y participer... Et quand on sait que "Hunger Games" propose - entre autres - une critique de la télé-réalité, c'est encore plus absurdo-flippant.
Décidément, si j'avais envie de retenter Nothomb avant ton commentaire, ce n'est plus le cas :D Quelle dommage qu'elle fasse preuve d'une telle paresse littéraire, quand même. Elle peut avoir de si bonnes idées...
Je suis totalement abasourdie par ce que tu me dis du projet de télé réalité russe, là.... Abasourdie et en même temps, pas si surprise que ça... J'ai bien peur que ce ne soit qu'une questions de petites années avant qu'on voie apparaître ce genre de non-sens. Comme tu le dis, à la base, c'est une critique de la télé-réalité. Malheureusement la réalité finit dommageablement par dépasser la fiction...
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