Les heures silencieuses de Gaëlle Josse
08/05/2017
Les heures silencieuses de Gaëlle Josse, J'ai Lu, 2011, 89p.
Au seuil de partir pour Amsterdam, j'ai eu envie de voyager aussi en littérature. Que les mots m'accompagnent dans ce beau pays et me le fassent découvrir autrement. A l'exception de Miniaturiste, que je n'ai pourtant pas eu envie d'acheter - trop de chroniques sur tous les blogs tuent un peu l'envie de lire -, je n'ai trouvé sur le moment aucun livre se déroulant à Amsterdam même. Qu'à cela ne tienne, sur les conseils des excellents libraires lyonnais de Passages (je viens de voir, intégrant ce lien, qu'une rencontre avec Cheyne Editeur a lieu jeudi 11 mai, je ne suis que jalousie...), je suis repartie avec Les heures silencieuses de Gaëlle Josse, qui m'a embarquée à Delft - ce n'est pas si loin !- au coeur de l'âge d'or hollandais.
Sur une toute petite période d'un mois, Magdalena Van Beyeren nous livre son journal intime. Cette jeune femme - mais plus si jeune pour l'époque - fut mariée tôt à un capitaine de navire de la Compagnie des Indes Orientales qu'administrait son père. Ce dernier n'aura eu que des filles. Il prit longtemps plaisir à faire participer Madgalena à ses activités pour lesquelles elle montrait autant d'intérêt que de talent. Elle se révéla rigoureuse et avisée et l'atmosphère du port, l'appel de l'ailleurs lui étaient sources de joie. Mais il n'est pas donné aux femmes d'hériter d'une charge à cette époque. En sa qualité d'aînée, c'est donc à son époux, Pieter Van Beyeren que revint cet honneur, et elle fut assignée à être maîtresse de maison. Dans ce journal, elle livre avec pudeur ce changement de vie, l'affection qu'elle éprouve pour ses enfants, tous très différents de caractère, et la douleur que l'on peut éprouver à la perte de l'un d'eux. On ressent aussi de façon brûlante qu'il n'était pas à la femme de décider de quoique ce soit. Ses envies, ses joies, ses peines : tout cela passe au second plan. Aussi se plie-t-elle à ce que l'on attend d'elle, même si la dernière exigence de son mari la fait cruellement souffrir. Rédiger ce journal, c'est pour elle ménager le maigre espace de liberté qu'il lui reste et être pleinement elle-même.
Au départ de ce journal, un tableau d'Emmanuel de Witte, Intérieur avec femme jouant du virginal daté de 1667 (et exposé au musée des Beaux-Arts de Montréal). La Magdalena imaginée par Gaëlle Josse serait cette femme secrète qui choisit de poser de dos sur l'oeuvre du maître, comme une façon d'exprimer son existence en demie teinte : "Car à ne plus être désirée, ai-je encore un visage ?" A défaut de visage, ce court texte lui donne une voix sincère et lucide, toute en nuances et délicatesse. J'ai particulièrement apprécié la pudeur de ce témoignage fictif où point certes un peu de douleur et de mélancolie mais point d'amertume ou d'esprit revanchard, en même temps qu'un grand calme et beaucoup de lumière. En cela, il est révélateur des tableaux hollandais du XVIIème siècle et de l'état d'esprit, autant que je puisse l'imaginer, des femmes de l'époque. Je n'irais pas crier au chef d'oeuvre comme j'ai pu le lire chez plus charmé que moi mais c'est un texte doux et poignant qui, comme je l'espérais, m'a joliment transportée.
Avec le temps, ce sont nos joies d'enfants que nous convoquons le plus facilement dans nos souvenirs, elles nous accompagnent avec une rare fidélité. Retrouver ce que nous avons éprouvé dans ces moments demeure une source de félicité que nul ne pourra nous ravir. Le cours de nos vies est semé de pierres qui nous font trébucher, et de certitudes qui s'amenuisent. Nous ne possédons que l'amour qui nous a été donné, et jamais repris.
8 commentaires
Le premier roman que j'ai lu de Gaëlle Josse, et il garde une petite place spéciale dans mon amour de lectrice pour cette romancière.
Ses autres romans sont dans la même veine ? C'est aussi une découverte de l'auteure pour moi avec ce titre !
J'avais beaucoup aimé ce livre ! Et à défaut d'aller aux Pays-Bas pour prolonger cette ambiance si particulière, j'ai eu la chance de pouvoir visiter l'expo Vermeer du Louvre ... Sinon, malgré les nombreux billets mitigés sur Le Miniaturiste, je viens de l'acheter en poche ... je me dis que je pourrais être agréablement surprise, finalement !
Ohh, quelle chance pour l'expo Vermeer ! J'aurais adoré la voir ! Qu'en as-tu pensé ?
Pour ma part, je pense que je louerai Miniaturiste à la bibliothèque. Ainsi, je pourrai voir s'il me plaît ou pas sans dépenser ;)
Jolie citation.Je suis tentée
Ça ne m'étonne pas que tu sois tentée ! Il pourrait bien te plaire ! En plus, il se lit très vite.
Pour répondre à ta question Lili, j'ai adoré cette expo. Malgré le monde, la chaleur et toutes les choses déplaisantes liées aux grandes expo parisiennes, j'ai adoré voir en "vrai" La Laitière. C'est un tableau magnifique. Et j'ai beaucoup aimé découvrir les peintres flamands de l'époque de Vermeer qui rendent à merveille l'ambiance désuète et feutrée qu'on adore dans les romans tels que "La jeune fille à la perle" ou "Les heures silencieuses"
Merci pour ton avis, Mrs Figg ! C'est pour ces beaux moments culturels que je regrette de ne pas être parisienne (heureusement qu'il y a bien d'autres avantages là où je suis cependant)
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