La jeune fille à la perle de Tracy Chevalier
13/05/2017
Tracy Chevalier aime décidément les destins de femmes (et moi aussi, visiblement, pour jalonner mon voyage amstellodamois). Ainsi qu'elle le fera dans La dame à la licornes, Le récital des anges ou Prodigieuses créatures, c'est un personnage féminin qui tient le haut du pavé. Une jeune fille pour être précise, discrète, effacée et fidèle.
Griet est fille d'un céramiste modeste de Delft. Elle se voit contrainte de laisser sa famille pour partir travailler comme servante chez les Vermeer (Des papistes ! Rendez vous compte !) depuis qu'un accident de four a laissé son père aveugle. Les débuts sont difficiles : non seulement le manque des siens est cruel mais l'accueil des membres de la maisonnée - y compris celui de l'autre servante, Tanneke - est plutôt froid. Ses conditions de travail sont rudes : on la cantonne à des tâches subalternes éprouvantes et on la couche dans la cave (que du bonheur). Le seul moment béni dans cette semaine est le nettoyage de l'atelier du maître, qu'elle ne croise que peu au début de son séjour, d'ailleurs. L'environnement de travail de Vermeer est paisible et sa peinture ouvre de nouveaux horizons lumineux à Griet. Elle apprend à regarder, à sentir l'importance du mouvement, de tel ou tel objet dans la composition d'une toile. Elle développe des trésors d'imagination pour que son travail permette au maître de travailler dans la quiétude.
Celui-ci remarque progressivement ses talents et son charme simple. Il l'emploie alors à mélanger ses couleurs dans le grenier, ce qu'elle doit cacher à la maison pour ne pas déclencher une plus grande hostilité à son égard. Cette confiance l'honore et la ravit mais augmente encore sa charge de travail, ce que Vermeer ne remarque pas et, objectivement, se moque comme d'une guigne : seul son art compte. L'affection qu'il semble porter à Griet, n'est qu'intéressée. Il ne la défendra qu'autant que cela lui sert pour continuer à l'employer opportunément à son côté. Il en va de même lorsqu'il lui propose de poser pour lui. Il n'ignore pas ce qu'il en coûtera à Griet d'accéder à ses demandes durant cet ultime travail ; cela ne l'empêchera pas de les exiger sans autre forme de procès.
A force de lire Tracy Chevalier et de la chroniquer, je prends le risque de me répéter dans mon appréciation. Oui, décidément, il y a quelque chose de doux, de suranné et de lent dans son écriture qui transporte dans une autre époque sous prétexte de narrer la tranche de vie de tel ou tel personnage (féminin, souvent, on l'aura donc compris). J'évoquais dans la chronique de Prodigieuses créatures le fait que ce style bien particulier me semblait rendre à merveille les couleurs d'un bord de mer anglais du début du XIXème siècle ; il pourrait en être de même pour celles d'une maison hollandaise du XVIIème ! La luminosité profonde, presque religieuse, des tableaux de Vermeer vus par les yeux innocents de Griet est par ailleurs particulièrement bien rendue dans ce joli premier roman. En outre, la personnalité de notre protagoniste est très attachante : un mélange savamment dosé de simplicité, d'aménité et de force. Elle est capable d'une grande abnégation tout autant que d'audace lorsque l'occasion le réclame. Elle est l'élément stable de Vermeer, celui qui le relie au monde lorsque celui-ci n'est tourné que vers sa peinture.
Pourtant, je persiste dans mes bémols quant à l'écriture de Tracy Chevalier. Il y a parfois des longueurs qui rendent la lenteur de son style pénible et tendent à trouver une certaine fadeur dans la douceur du propos. A mesure que je la lis, je conçois ses romans comme d'agréables plaids dans lesquels j'aime m'enrouler. Je sais que je vais apprécier me plonger dedans et je sais qu'ils ne feront pas long feu sur la table de nuit : vite ouverts, vite dévorés. Je n'en reste pas moins lucide sur le talent littéraire qui en émane et qui me semble assez faible, d'autant qu'à force de la découvrir, je découvre du même coup un certains nombres de motifs qui se répètent inlassablement : la jeune fille innocente mais forte, un destin qui la met - temporairement ou pas - dans une certaine lumière, un goût pour l'histoire et les arts etc. Bref, en toute objectivité, on a un peu l'impression de lire et relire peu ou prou le même livre. Rien de mal à ça ; j'en prends ma part de délectation. Mais mieux vaut juste en être conscient.
La jeune fille à la perle de Tracy Chevalier, Folio, 2002, 313p.
20 commentaires
Je l'ai lu au moment où le film est sorti au cinéma. Bien aimé, oui, mais j'ai eu après l'impression de relire toujours le même livre. Et comme je n'ai pas particulièrement été sensible au style de l'auteur, je n'ai pas poursuivi (j'ai lu trois de ses romans en tout).
Je te rejoins tout à fait sur cette impression de lire toujours le même livre, ou presque. Pour ma part, une fois de temps en temps, je m'en contente car j'apprécie son univers doux et moelleux mais si, clairement, il ne t'a pas touchée, ça ne vaut pas du tout le coup de poursuivre !
Je te rejoins sur la faiblesse d'écriture. Personnellement, j'avais été très déçue. https://artdelire.org/2012/03/15/la-jeune-fille-a-la-perle/ j'en parlais ici lorsque j'ai commencé le blog. Par contre je lirais bien Prodigieuses créatures. Le sujet me parle plus. Je le lirai prochainement car ma mère et ma soeur m'en ont fait une critique élogieuse.
Ah oui, tu as même été plus que déçue ! Tu es carrément cinglante dans ta chronique huhu ! Au moins, c'est sans ambiguïté ! Cela dit, même si j'ai aimé, je n'ai pas réussi, malgré le projet que j'en avais, à revoir l'adaptation ciné - que pourtant j'avais aimée dans mon souvenir. Trop de lenteur coup sur coup tue le plaisir !
Je l'avais lu quand j'étais toute jeune, je n'ai pas bien compris tout ce qu'elle y a mis dans le roman, je crois que je l'ai lu en surface. J'aimerai bien le relire pour ressentir pleinement cette fois et comprendre l'impact de l'art, la relation entre les deux personnages et la vie qu'il y avait là bas. Toujours une magnifique chronique !
Merci beaucoup Ambroisie. Honnêtement, je ne suis pas sûre qu'il y a temps que ça à y lire... C'est un roman agréable, pas mauvais dans son genre, mais la réflexion sur l'art et la relation entre les deux personnages restent tout de même assez superficielles...
Lu il y a longtemps, complètement oublié (ta chronique me ravive certains souvenirs du coup), et clairement pas plus tentée que ça de poursuivre avec Tracy Chevalier... Même si ce livre avait eu le mérite de me faire découvrir Vermeer ;) As-tu le projet d'aller voir l'expo qui lui est consacrée au Louvre d'ailleurs ??
J'aimerais tellement ! J'avais projeté un A/R express pour cela durant le pont de l'Ascension SAUF QUE l'expo se termine précisément juste avant ! Et il m'est évidemment impossible de m'y rendre avant. Quel dommage ! J'espère que ce n'est que partie remise pour admirer ces belles toiles ! (Et comme promis, dès que je me rends prochainement sur Paris, je te dirai pour espérer te voir !)
Lu il y a quelques années. J'avais bien aimé mais avec des réserves. En fait je lui ai fait le même reproche qu'à beaucoup de bouquins contemporains, ça ne va pas chercher bien loin... Ton commentaire "sans casser trois patounettes à un canard" rend bien l'idée. :D Mais j'ai toujours eu envie de relire Tracy Chevalier. Ça viendra sûrement au détour d'une trouvaille d'occasion.
Voilà, c'est agréable, pas mauvais du tout, mais pas extraordinaire et franchement dispensable. Ça fait passer un bon moment de lecture, c'est déjà pas mal ! Pour ma part, j'aime revenir de temps en temps à cette auteure. C'est une de mes zones de confort préférées pour passer le temps ^^
Malgré ces imperfections redondantes sous la plume de Tracy Chevalier, je prends quand même toujours grand plaisir à la lire. Je garde de "La jeune fille à la perle" un très bon souvenir.
Nous partageons le même sentiment à son égard, alors !
J'avais beaucoup aimé mais il y a un je ne sais quoi dans le style (basic, je trouve) qui m'avait un peu gênée... Un bon roman pou rmoi, mais pas un grand roman.
Tu as bien résumé mon avis, Karine !
J'avais aimé ce roman et je j'ai envie de lire son dernier roman même si je suis tout à fait d'accord avec toi sur le style...
Je ne me rappelle plus de quoi parle son dernier roman.... Il faut que j'aille me rafraîchir la mémoire !
c'est ce style qui fonctionne, c'est vrai ! Moi ça me plaît aussi, j'ai découvert ce roman il y a peu et j'ai vraiment adoré!
Je suis ravie qu'il fonctionne sur toi aussi, Violette !
Je n'ai pas lu ce roman de Tracy Chevalier malgré le succès qu'il rencontre mais j'ai lu prodigieuses créatures qui m'avait beaucoup plu. C'est vrai que le rythme est lent mais je n'avais pas trouvé cela pénible. Bonne journée à toi !
J'avais également beaucoup aimé "Prodigieuses créatures" :)
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