le Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas
06/09/2017
Ça y est : J'ai refermé la dernière page ce matin. Mine de rien, ce pavé de 1500 pages (grosso modo) m'aura tenu la grappe plus d'un mois, ce qui est suffisamment rare pour être noté (la dernière fois doit bien se compter en années). Mais quelle belle manière de passer le mois d'août entre les paysages bretons, les amis, la solitude creusoise et quelques travaux dans la maison ! il n'y a décidément pas meilleure lecture estivale ! S'il ne devait y avoir qu'UN livre pour caractériser le romanesque, ce mélange d'aventures extraordinaires et de sentiments exacerbés, ce serait indéniablement ce titre-là, où le très humain côtoie l'imagination la plus folle (et, souvent, la plus amusante).
Quand on vit avec les fous, il faut faire aussi son apprentissage d'insensé.
Au commencement, pourtant, Edmond Dantès est un jeune homme tout ce qu'il y a de plus normal, à ceci près qu'il incarne la plus totale intégrité. Second sur un navire marchand, il prend la place du capitaine au décès soudain de celui-ci. Afin de respecter ses dernières volontés, il récupère un pli sur l'île d'Elbe, qu'il devra ensuite porter sur Paris, puis rentre à Marseille. Jusque là, pas de quoi fouetter un chat, sauf qu'on est en 1815 et que le pli émane de Napoléon Bonaparte : celui-ci fomente son retour au pouvoir et, en effet, il débarquera en France un mois plus tard. En attendant, en ce mois de février, il ne fait pas bon être considéré comme bonapartiste. Danglars, l'intendant du navire, passablement jaloux qu'un blanc-bec de dix ans son cadet dirige à sa place le bateau, aussi compétent et légitime soit-il, profite donc de ce concours de circonstances pour devenir calife à la place du calife. Avec le concours de Fernand, l'amoureux éconduit de Mercédès, la fiancée de Dantès, et grâce à l'ambition démesurée du procureur du roi, M. de Villefort, il parvient à éloigner durablement l'inopportun. Et pour cause : le voilà enfermé quatorze ans au château d'If, une prison en pleine mer. Entre des périodes d'abattement, de délire, de résignation, il fait la connaissance d'un co-détenu considéré comme dément car il clame une immense fortune qu'il veut bien amputer pour retrouver la liberté. En réalité, l'abbé Faria est loin d'être fou et, se sachant près de mourir, il confie à Dantès le secret de son trésor pour en faire son héritier. En plus de lui donner une fortune, la mort de l'abbé Faria donne également à notre héros une occasion en or, bien que surprenante et périlleuse, de s'échapper enfin de sa geôle.
Les blessures morales ont cela de particulier qu'elles se cachent, mais ne se referment pas ; toujours douloureuses, toujours prêtes à saigner quand on les touche, elles restent vives et béantes dans le cœur.
A partir de là, Edmond Dantès qui n'était que droiture et franchise devient l'incarnation suprême de l'orgueil vengeur. Après avoir retrouvé figure humaine et quelques deniers, sa première démarche est d'aller récupérer le trésor de l'abbé Faria puis de se rendre à Marseille pour éclaircir les raisons et les auteurs de son injuste incarcération. Ceci fait (c'est fou comme l'argent délie les langues), il se retire une dizaine d'années, parcourt le monde, pour ne réapparaître qu'un beau jour à Rome sous le pseudonyme de Comte de Monte-Cristo et faire la connaissance de deux jeunes hommes : Albert de Morcerf et Franz d'Epinay. A partir de là, la vengeance est en marche. Je vous en passe les détails, d'une part parce que ce serait trop long à résumer, d'autre part parce que c'est sacrément tordu et tortueux. L'essentiel, c'est qu'on découvre à cette occasion un nouveau visage de Dantès. Il a pris du plomb dans l'aile et dans le crâne depuis 1815. Aussi semble-t-il méconnaissable à tous ceux qui l'ont connu jadis, et le plus magique est qu'une simple perruque, un simple déguisement suffisent à lui permettre de prendre mille et une identités différentes. Autant dire que Clark Kent avait bien tort de se faire chier avec des lunettes ! En outre, cette vengeance qui semble être son seul moteur, et sans doute aussi l'opulence financière qui est passée par là, l'ont rendu d'une mégalomanie assez formidable. En peu de mots, il se voit tout simplement comme l'instrument de la providence divine. S'il se montre plutôt dispendieux envers ceux qui l'ont toujours soutenu (et il en a peu, il faut bien le dire), il se révèle machiavélique et implacable avec les autres. Il aurait pu se contenter d'un duel avec chacun de ceux qui furent la cause de son malheur mais il préfère une machination longue, perverse et qui, dès le départ, laisse présager de nombreux dommages collatéraux. De plus, pour arriver à monter cette machination, il s'achète les services ou les renseignements (ou les deux) d'un sacré paquet de personnes qu'il paye, certes, grassement, mais dont il se moque éperdument et qu'il traite le plus souvent avec un mépris assez éhonté. Il avoue à la toute fin avoir été pareil à Satan pour arriver à ses fins... A défaut de modestie et d'empathie pour la plupart des personnages qu'il croise et côtoie, il fait au moins preuve de lucidité, c'est déjà ça !
Avant d’avoir peur, on voit juste ; pendant qu’on a peur, on voit double, et après qu’on a eu peur, on voit trouble.
En somme, Dantès n'est pas un ange mais il est l'essence même du héros romanesque : animé de passions, de valeurs et de sentiments exaltés, il subit un malheur tout aussi violent et dont on aurait peine à concevoir l'injustice. Une telle épreuve ne pouvait que marquer au fer rouge un personnage de sa trempe. Ce qu'il y avait de bon se met au service de la vengeance. Devenu Comte, il semble encore plus magnétique, charismatique, dégager encore plus de puissance qu'avant. Tous et toutes le respectent instinctivement. Il est fort, évidemment, talentueux dans à peu près tous les domaines, fait preuve d'une totale maîtrise de lui-même, séduit ou inquiète tour à tour selon son désir, manipule à loisir et se sort de toutes (absolument toutes) les situations. On peut difficilement faire mieux que lui sur tous les plans. A peu près tout ce qui le touche (et tout ce qu'il touche) de près ou de loin est donc totalement dépourvu de la quelconque vraisemblance. Ça fait partie du charme de ce genre de roman : on est dans le domaine des grandes aventures, des complots fumeux, de l'imagination débridée et des grandes entreprises.
... apprendre n'est pas savoir; il y a les sachants et les savants : c'est la mémoire qui fait les uns, c'est la philosophie qui fait les autres.
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas un fond de réalité dans ce roman fleuve, bien au contraire ! L'arrestation de Dantès donne un aperçu assez probant du contexte politique et social tendu avant le retour de Napoléon tandis que les longs mois de vengeance brossent avec une ironie savoureuse la société parisienne de 1840. On y découvre sans trop de surprise l'hypocrisie et l'arrivisme sous couvert de bonnes manières et de réceptions somptueuses. La noblesse n'y a, décidément, de noble que le nom ! Le véritable maître de toute cette fosse nauséabonde est, comme cela a toujours été et comme c'est toujours le cas, l'argent qui régit absolument toutes les ambitions - à l'exception d'un tout petit groupe de personnages encore animé par l'amour ou l'honneur.
Maintenant que l'aventure est pour moi terminée (vais-je me lancer dans quelques lectures pour le boulot ? Vais-je me laisser tenter par la rentrée littéraire ou par le mois américain ?), je retiendrai tout particulièrement l'ambivalence, la complexité et surtout l'orgueil aussi fabuleux que détestable de Dantès qui font de lui la quintessence du héros ; le portrait acidulé plein d'ironie de la bonne société parisienne ; et, évidemment aussi puisqu'on parle de Dumas, certains passages stylistiquement plus faibles que d'autres (qui sont sans doute d'une autre main ?). Mais surtout, je retiens un mélange de tout cela qui fait de ce roman une aventure assez dingue, souvent passionnante, qui suscite aussi bien le rêve que le frisson !
Merci, Monsieur Dumas, je suis remontée à bloc pour la rentrée !
16 commentaires
Il fallait bien tout ton punch pour parler de ce roman ci. En tout cas, c'est décidé, je le note illico sur ma to-read list !
Le punch pour faire passer la longueur : c'était nécessaire !
Je suis contente de t'avoir donné envie de le retenter
HAAA! Je suis ravie que tu aies aimé! J'avais adoré. J'adore Dumas mais je l'ai trouvé encore plus génial avec ce récit. C'est tellement FOU cette vengeance hyper complexe. Et tu brosses bien l’ambiguïté du héros, qui est plus génial (au sens doué de génie) que sympathique.
Comment ne pas l'aimer, ce roman ? Tout y est, de façon peut-être un peu trop appuyée par moments, mais tout y est quand même : l'émotion, le drame, l'aventure, la démesure et se trouve distillé en un seul personnage, clairement, génial. Il faudrait vraiment être rabat-joie pour faire la fine bouche !
Je me souviens avoir dévoré et adoré cette histoire et je crois que j'étais aveuglée par le comte de Monte-Cristo au point de ne pas voir ses gros défauts que tu soulignes si bien ;-)
Ahhhh on sent la jeune lectrice alors ! Si je l'avais lu ado, je suis sûre que Monte-Cristo m'aurait éblouie aussi. Ça marche un peu moins bien maintenant !
Pourquoi n'ai-je pas encore un mois de vacances pour le lire ??????
C'est exactement ce que je me disais pour me lancer dans "Les Misérables" !
Moi justement j'ai relu Les Misérables, qui doit avoisiner le même nombre de pages. J'ai lu Le Comte il y a hyper longtemps, je ne me souviens plus de grand-chose. À prévoir pour un prochain été...
on échangera peut-être nos lectures estivales l'été prochain alors ! ;)
un merveilleux souvenir de lecture, mais c'est vrai que ça tient quelque temps une telle lecture!
Oui ! Même en ayant un bon rythme de lecture et du temps devant soi, on ne le finit pas en une semaine !
Je vois que tu as vécu! Comme moi quand je l'ai lu ! Le romantisme de Dumas fait toujours recette !
Oui, malgré le vécu qu'on a ou pas, Dumas nous embarque et c'est fantastique !
J'ai lu le manga dernièrement, ça compte ? ;) C'est un roman que j'ai dans ma PAL depuis... pas loin de dix ans. Comme Guerre et Paix, j'attends le bon moment pour le lire (le pire étant que je suis sûre que je vais adorer).
C'est toujours comme ça ! J'ai le même problème avec "Les misérables"... Je tourne autour, je tourne autour... Parfois, on n'a tout simplement pas envie de s'attaquer à un pavé, sachant le temps qu'il va durer... L'été est idéal pour ça, du coup. On verra quel sera le titre choisi l'été prochain !
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