Rendez-vous poétique avec Robert Desnos et Pablo Picasso
18/10/2017
Le dernier rendez-vous poétique commence à dater furieusement... Et je ne m'étais pas même fendue de le faire dialoguer avec d'autres formes d'art, celui-là. Il faut dire que je ne suis que peu d'humeur poétique à l'automne et, avant cela, je ne suis pas tombée sur des textes poétiques très émoustillants... Autant j'aime chroniquer toutes mes lectures romanesques (ou presque), autant j'aime ne faire place à la poésie sur ce modeste espace que lorsqu'elle me fait profondément vibrer. Force est de constater que je n'ai pas beaucoup vibré ces derniers mois. (En poésie comme ailleurs, c'est de plus en plus le festival du lieu commun et de l'autosatisfaction).
Fort heureusement, Gaëlle Nohant est là pour raviver quelques flammes oubliées ! A l'occasion des matchs de la rentrée littéraire 2017 et de son dernier roman, Légende d'un dormeur éveillé, je redécouvre le sémillant Robert Desnos. Une fois n'est pas coutume donc, ce nouveau rendez-vous poétique ne sera pas contemporain. D'aucuns diront même qu'il manque d'originalité, et pourtant. Pour beaucoup, Desnos, c'est le poète rigolo dont on a appris un certain nombre de textes à l'école primaire. C'est, éventuellement, un nom que l'on a recroisé une fois ou deux durant le secondaire, si l'on avait un enseignant titillé par le surréalisme et/ou la poésie engagée (et si, toutefois, Eluard ou Aragon ne l'avaient pas préalablement coiffé au poteau dans la sélection difficile du groupement de textes). Ainsi, Desnos fait partie de ces poètes qu'on croit tous connaître mais dont, en fait, on ne connaît souvent que le nom et deux/trois poèmes à tout casser.
Pour ma part, j'ai eu ma période "Corps et Biens" au lycée, mais je ne l'avais pas re-feuilleté depuis longtemps et, surtout, je n'avais jamais vraiment poussé plus loin ma connaissance du poète. J'y remédie au gré de ma lecture du roman de Gaëlle Nohant que je prends le temps d'interrompre régulièrement pour quêter les poèmes dont elle distille des extraits au gré de ses pages avec un art du dosage et de l'à-propos vraiment délicieux (Mais j'y reviendrai en temps utile. Spoilers, comme dirait River Song).
Pour revenir à Desnos, voici un de ses textes poétiques dont la simplicité et l'actualité me font l'effet d'une gifle. Et en moitié-bonne maso que je suis, je dois reconnaître que j'ai aimé ça. Mieux : je ne m'en lasse pas. Du coup, c'est cadeau.
Insiste, persiste, essaye encore.
Tu la dompteras cette bête aveugle qui se pelotonne.
Aujourd’hui des fous et des sots se promènent par la ville.
Parole, on les prend pour des sages.
L’équilibre et la lucidité sont un des cas de la folie humaine.
Insiste, persiste, essaye encore.
Connaissant de ton destin ce qu’homme digne du nom doit en connaître.
Résolu comme un digne de ce nom doit être résolu.
Revenu de bien des illusions dans le domaine du rêve et de l’amitié.
Rêvant et aimant autant qu’en ta jeunesse,
Moins la duperie.
Insiste et persiste encore
Capable de parler des étoiles et du ciel et de la nuit et du jour,
de la mer, des montagnes et des fleuves.
Mais plus dupe.
Ni désespéré.
Moins encore résigné.
Dur comme la pierre et t’effritant comme elle.
En marche vers la force dont le chemin est aussi celui de la mort
Résolu à aller aussi loin, aussi longtemps que possible.
C’est à dire vivre.
Bacchanales ou Le Triomphe de Pan de Pablo Picasso, d’après Poussin. 24-29 août 1944.
Cet univers de Picasso, il est avant toute chose Vie. Jamais l'espèce humaine ne poussa, contre la mort, cri plus triomphal et plus sonore. C'est un univers en perpétuel expansion et contraction sur lequel nos idées changent et se complètent au fur et à mesure qu'il se complète lui-même et qu'il se révèle à nous sous un jour nouveau.
in Ecrits sur les peintres de Robert Desnos (of course), p.174
2 commentaires
Je serais incapable de parler de poésie aussi bien que toi et j'en lis trop peu... Mais je sais que les poètes 1e moitié du 20e siècle me font toujours vibrer ! Apollinaire, Larbaud, Aragon, Max Jacob, Prévert, et donc Desnos. Bref les grands classiques modernes. Récemment j'ai découvert Marceline Desbordes Valmore (autre siècle. ..) et une délicieuse poète pour enfants (mais qui me réjouit), Marcelle Vérité. Tes billets sur la poésie me font régulièrement penser qu'il faut que j'explore ce territoire des fées. Ce n'est qu'à sa mort que j'ai commencé à lire Yves Bonnefoy par ex ! Un jour je me pencherai sur tous les poètes que tu as présenté ici ;)
PS la sélection de Picasso est très bien vue !
Je suis décidément heureuse que ces rendez-vous poétiques, même s'ils se font rares ces derniers temps, t'inspirent l'envie de découvrir le monde merveilleux de la poésie ! C'est un peu le but, modestement : car la poésie n'est pas juste un passage obligé (et souvent ennuyeux pour beaucoup) des études littéraires, c'est avant tout un territoire d'explorations, d'expérimentations, de subversions, d'insurrections et d'humanité.
Merci aussi pour ton commentaire positif sur l'association entre le texte de Desnos et la peinture de Picasso ! J'aime passer du temps à essayer de trouver le dialogue le plus intéressant entre les œuvres et cette mise en regard-là m'a bien plu !
A très bientôt pour de nouveaux échanges poétiques, ma copinette
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