Robinson de Laurent Demoulin
02/04/2018
Gallimard voulait estampiller ce texte récit ; Laurent Demoulin le considérait comme un roman ; finalement aucune barrière de genre ne le limite. Dans plusieurs dizaines de fragments dont le rythme est savamment dosé, l'auteur raconte et brode son quotidien avec Robinson, son fils oui-autiste. Tel est le pitch et on pourrait, en vérité, s'arrêter là. Il n'y a pas de fil narratif, dans la mesure où le concept de progression linéaire est inopérant au contact de Robinson. Tout se situe exactement dans les moments présents qui résonnent les uns avec les autres. Ainsi, à défaut d'histoire ordonnée vers une acmé artificielle y a-t-il des échos, souvent scatologiques, et des éclats de tendresse silencieuse.
Indéniablement, Laurent Demoulin n'a pas pour ambition de donner dans la neutralité et la bien-pensance concernant l'autisme. Aussi n'hésite-t-il pas à qualifier ce syndrome de maladie, ce qui pourra faire tiquer certains lecteurs un peu sensibilisés à la question - comme ça a été mon cas, je dois bien le reconnaître. Ce texte est le regard très personnel qu'il porte sur sa relation avec son fils, d'une façon subjective pleinement assumée. Il n'est pas du côté des concepts et du choix des mots dans l'absolu mais de celui qui tâche de construire une relation avec un jeune garçon de dix ans, privé de langage - le comble pour un professeur d'université spécialiste de Ponge et Barthes-, prenant en compte avec empathie, patience et souvent difficulté, toutes les particularités que cela occasionne. Même s'il y a parfois beaucoup de maladresse, de l'épuisement voire de la colère chez ce père désemparé, le texte respire la tendresse et l'humilité. A défaut de dialoguer avec Robinson, Laurent Demoulin a trouvé le moyen de discuter à travers lui et interroge la force de la relation filiale sans les repères habituels du langage. C'est une manière, plus largement, de nous interroger sur ce qu'est l'humanité, sans trop y toucher et lorsque les mots manquent. Il ressort de ce texte une lumière délicate. Fragile, certes, mais d'une intensité qui donne le sourire.
Si la modernité s'écrit dans le refus de la tradition, alors l'autisme est moderne. Si l'artiste moderne ne craint aucun interdit, alors le oui-autiste vit sa vie comme une oeuvre moderne.
Robinson est un enfant anarcho-oui-austistique qui ne respecte aucun "Non!". Malgré mes sermons et mes reproches, il vient de déchirer son dernier livre d'images, page après page.
Dépité, j'ai jeté les déchets de L'Imagerie des animaux sauvages dans la corbeille à papier de ma chambre - chambre qui jouxte la sienne.
Si le classicisme est désir d'ordre, d'harmonie et de permanence, les oui-autistes sont des artistes classiques : Robinson est allé rechercher dans ma poubelle chacun des petits morceaux de papiers glacés colorés et, patiemment, les a rangés sur son étagère - là où, il y a peu, s'alignait une jolie collection de livres pour enfants.
2eme lecture du mois belge à l'occasion de la journée mondiale de sensibilisation à l'autisme
17 commentaires
Je ne savais pas que c'était la journée de sensibilisation à l'autisme, doublement merci pour ton billet donc J'ai un élève autiste, mais très différent forcément (il parle presque normalement). J'ai vu un spectacle très intéressant, "Is there life on Mars ?" du théâtre documentaire qui rend compte de ce que vivent au quotidien les autistes et leurs proches et complète avec des jeux de sons et lumière, de la danse, de l'expression corporelle. C'était touchant.
Le spectre autistique est tellement large. Si ton élève n'a aucun problème dans les apprentissages et la parole, peut-être est-il Asperger ?
Le spectacle que tu as vu semble très intéressant. Honnêtement, en ce moment, l'autisme, Asperger en particulier, est très à la mode (à se demander pourquoi d'ailleurs, considérant qu'on a connu plus glamour), du coup il y a à boire et à manger sur la question. Mais lorsque c'est fait avec qualité et profondeur, ça suscite la réflexion de façon inspirante.
Je n'ai pas encore lu ce livre qui est dans ma Pal depuis que j'ai rencontré l'auteur chez mon libraire. Il parlait de son fils avec énormément d'amour et d'humour. Pour l'avoir plusieurs fois croisé en sa compagnie, je peux dire toute mon admiration pour se père si patient et si aimant avec son fils.
J'imagine clairement que le quotidien ne doit pas être un long fleuve tranquille, ainsi qu'il l'exprime merveilleusement dans son livre. Il faut une sacré dose de patience et d'abnégation. Qu'il ait tiré de cette expérience au long cours une oeuvre littéraire de qualité est doublement admirable.
J'ai adoré ce roman... quelle puissance!
Absolument, Fanny !
J'ai noté de titre, j'hésitais, non pas pour le sujet mais pour ton ton et le choix narratif. ( et aussi parce que le même type de récit attend déjà sur mes étagères ... ^-^ )
Pardon ; pour LE ton
( sinon, si tu t'intéresses au sujet sur ce type d'écriture, je serai partante pour une LC. Le titre qui attend sur mes étagères s'intitule " Cher Gabriel " - H.W.Freihow - Gaïa - si tu ne l'as pas déjà lu )
Et bien, pour ma part, le ton et le choix narratif m'ont conquise ! Je ne peux donc que t'encourager à tester ! Pour le coup, en ce qui me concerne, c'est le choix de la lettre ouverte qui me fait plutôt hésiter. J'ai peur que ça verse un peu dans le pathos... Hmm... Qu'en penses-tu, en feuilletant le bouquin ?
Je n'ai pas l'impression pour le pathos, plutôt l'impression de beaucoup de réflexions.
Pourquoi pas, alors ! Je vais essayer de le trouver en librairie pour pouvoir le feuilleter avant de l'acheter. Je vais aussi regarder s'il est à la médiathèque :)
Le spectre est si large - j'ai gardé un enfant autiste qui ne parlait pas mais j'en ai croisé d'autres qui parlent et hier j'en ai vu un à la télévision qui travaille, vit seul ..alors qu'enfant il ne parlait pas. Ses parents se sont battus pour qu'il aille à l'école et ils ont réussi.
J'ai lu cette année une BD où un père parle également de son enfant "différent" - c'est bien car avant on "cachait" ces enfants-là.
J'ai lu un livre adolescente sur une famille américaine qui avait pris en charge son enfant (à l'époque ils étaient envoyés dans les hôpitaux psy) et inventé une méthode - je l'ai toujours et je l'ai relu il y a quelques années.
Merci pour tes partages d'expériences et de lectures, Electra. En effet, il n'y a pas un autisme mais un large spectre autistique.
Je ne savais pas que tu étais sensibilisée à la question de l'autisme. Ce genre de récit a du bon en ceci qu'ils humanisent les enfants autistes (mais pourquoi "oui-autistes" ?) et permettent de sensibiliser le public à cette question encore très méconnue. .. Chaque personne est une île qui construit plus ou moins facilement des ponts vers les autres de toutes façons
Il nous reste plein de choses à découvrir l'une sur l'autre ;)
"Oui-autiste" parce qu'on qualifie communément les neurotypiques de non-autistes !
J'aime beaucoup ton image de l'île.
J'ignorais ce qu'est un oui autiste (j'aime bien l'histoire du livre déchiré et re rangé )
Je trouve que ce terme est une jolie trouvaille de l'auteur :)
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