La cigale du huitième jour de Mitsuyo Kakuta
16/04/2018
Février 1985. Kiwako rôde autour de l'appartement d'un jeune couple. Elle attend leur départ pour entrer chez eux. Elle veut voir, toucher où ils vivent. C'est tout. Mais à cet instant, un bébé se met à pleurer. Le nourrisson n'a que quelques mois. Kiwako, désemparée et touchée viscéralement par ces pleurs et l'instinct de les calmer, emmène l'enfant. A partir de là, l'existence n'est que fuite ou presque pour Kiwako et l'enfant, une petite fille qu'elle baptise Kaoru. Le duo va écumer quelques adresses de fortune et de hasard avant d'échoir dans une communauté sectaire quelques années et dont il faudra à nouveau s'échapper. Pourtant, malgré les conditions précaires de leur vie, "la mère" et l'enfant vivent en harmonie. Leur attachement est évident, sensible, touchant. On se prendrait presque à espérer que Kiwako ne soit jamais prise...
Elle pensa sans raison : je connais cet enfant et cet enfant me connaît. [...] Elle enfouit son visage dans les cheveux vaporeux du bébé en inspirant profondément.
C'était doux. C'était chaud. De ce petit corps si souple qu'il en semblait si fragile émanait pourtant une robustesse inébranlable. Si frêle et si fort. Une petite main effleura la joue de Kiwako. Un contact humide et chaud. Kiwako se dit qu'elle ne devait pas le laisser. Moi je ne te laisserai jamais tout seul, comme ça. Je vais te protéger. De tous les ennuis, de toutes les tristesses, de la solitude, de l'inquiétude et de la peur, je te protégerai. Kiwako était incapable de réfléchir. Elle continua à murmurer, comme une incantation. Je te protégerai, je te protégerai, je te protégerai. Toujours.
Magie des blogs et des swaps que d'avoir ce roman entre les mains ! Merci Ellettres ! Honnêtement, je ne l'aurais sans doute jamais lu sans ça pour deux raisons : le sujet ne m'attirait pas plus que ça de prime abord et surtout, j'ai mis un moment à rentrer dans le roman. Je ne me suis pas attachée d'emblée à Kiwako et le récit très factuel, à l'aveuglette, des premiers jours de sa fuite ne m'a pas passionnée. Mais j'ai continué malgré tout. Ellettres en avait fait un coup de cœur, il y avait donc forcément baleine sous gravillon ! Finalement, je me suis retrouvée happée presque malgré moi, comme ça m'arrive souvent avec la littérature contemporaine japonaise : je lui trouve toujours quelque chose à redire, notamment une trop grande blancheur de style et une trop grande neutralité de ton qui frisent parfois pour mon esprit très occidental un certain ennui (mais il faut tout de même préciser ici qu'en plus d'une mentalité très différente, la littérature japonaise souffre aussi pas mal des traductions, je pense), mais je suis harponnée quand même. D'une façon extrêmement ténue, subtile, infime, l'auteur(e) parvient toujours à me ferrer au quotidien des personnages. C'est ce qui s'est passé ici, clairement. Je me suis attachée sans m'en rendre compte à Kiwako - dont on oublie presque qu'elle est tout de même la kidnappeuse dans l'histoire - et à Kaoru qui trouvent leur bonheur d'être ensemble malgré toutes les difficultés d'un quotidien sans papiers et sans attaches véritables.
J'ai encore plus apprécié la seconde partie du roman - dont je ne vous dis volontairement rien, si ce n'est que Kaoru en devient la narratrice. Si certaines invraisemblances m'ont parfois gênée dans la première partie, celle-ci est incroyablement juste et très nuancée quant à la manière de vivre la situation pour chacun des personnages. Ce n'est pas follement drôle, du coup, mais c'est pourtant lumineux. Comme si tout ce qui était planté un jour avec amour finissait nécessairement par fleurir, même très tard, même d'une façon étonnante et inattendue. La cigale du huitième jour, celle qui survit à toutes les autres, est cet animal étrange et étranger qui vole en équilibre entre la mélancolie et la lumière. Dans les deux cas, les émotions sont pures et nous invitent à la gratitude de chaque instant.
Le billet de ma copinette Ellettres
17 commentaires
Tu as raison, c'est un livre dans lequel on n'entre pas si facilement que ça.
Je ne suis donc pas la seule à avoir éprouvé cette difficulté :)
bin je pense que cela reste difficile de rentrer dans ce livre car il s'agit d'un rapt de bebe....pas facile d'avoir de l'empathie pour le personnage principal apres tout....je ne sais pas, en tout cas, de mon cote si je vais le lire....pour cette raison.
Honnêtement, ce n'est pas ça qui m'a gênée. C'est plutôt le style et le ton. J'ai toujours du mal à rentrer pleinement dans un texte japonais, comme je le disais dans ma chronique, à cause de ça. Sinon, au contraire, comme le souligne aussi Ellettres ci-après, l'auteure ménage extrêmement bien l'empathie que l'on peut avoir pour Kiwako et nous prête à réfléchir grâce à cela.
oh okidou....oui c'esr un style assez a part l'ecriture japonaise....;)
Totalement ! Avec quelque chose d'envoûtement pourtant !
oh ouiiii....
Oh là là, je retrouve mes sentiments à l'égard de ce roman, à la lecture de ton billet, tout en finesse et analyse subtile comme d'habitude. Je crois que ce que j'avais tant aimé dans la Cigale du huitième jour, c'était cette relation presque indestructible entre Kiwako et Kaoru, malgré la folie du geste de la première. Oui bien-sûr, son geste est éminemment grave, personne n'aimerait être dans la situation des parents à qui on vole leur bébé, rien ne le justifie. Mais la grande intelligence de l'auteure est de nous faire réfléchir au sens fondamental du lien, notamment maternel, et à nous faire comprendre Kiwako (et même souhaiter qu'elle garde l'enfant comme tu dis !). J'avais bien aimé la première partie, celle de la cavale aussi, même si invraisemblable elle était quand même haletante. L'enfermement dans la secte est tout de même un refuge pour Kiwako et Kaoru. Bref, ce livre a le don de renverser nos standards moraux ;)
Tu as parfaitement raison, Delphine ! Le renversement des valeurs, ou plutôt sa mise à plat opérée ici, met en lumière à quel point les questions morales sont formatées par la société et, conséquemment, par le point de vue que l'on porte sur elle.
C'est ce que j'aime, finalement, dans la littérature japonaise : je commence souvent le texte en me disant que ça ne casse quand même pas trois pattounettes à un canard et puis, mine de rien, je m'aperçois que non seulement je m'accroche au récit mais, qu'en plus, encore plus mine de rien, cela soulève des réflexions profondes et passionnantes.
Merci à toi pour cette belle découverte ! J'espère que tu t'amuses autant avec "Cristallisation secrète" ^^
Récemment, le film Tallulah avec Ellen Page a repris ce thème de la jeune paumée qui vole un bébé à une mère négligente, sans préméditation... Un chouette film.
Merci pour ce tuyau cinéma ! Je note !
Alors la relou que je suis se demande surtout comment des parents peuvent sortir de chez eux et laisser leur bébé tout seul... (mais j'imagine qu'il doit y avoir une explication logique)
Je ne connais rien aux polars japonais, mais les billets que je lis ce mois-ci me font repérer certains titres. Celui-ci m'intéresse pour la relation kidnappeuse/enfant.
Je te rassure, tu n'es pas la seule relou de l'histoire : je me suis fait la même réflexion que toi en lisant ce passage... Et figure-toi qu'il n'y a aucune explication logique !
Par contre, ce n'est pas vraiment un polar en fait, voire pas du tout. L'histoire est vraiment centrée sur Kiwako et Kaoru.
Tiens tiens, intriguant comme sujet ! Je ne sais pas si je partage tes petites réserves sur la littérature japonaise et la neutralité de ton, j'ai l'impression que c'est quelque chose qui me plaît au contraire, peut-être parce que ça me sort de mes habitudes. par contre comme Lilly et toi ma première pensée a été "mais comment se fait-il qu'un nourrisson soit laissé tout seul ?". Dommage de construire toute une histoire sur une première scène illogique, mais ça ne me refroidit pas pour autant ! merci pour la découverte !
Parfois j'arrive à prendre ce ton très différent comme un dépaysement savoureux d'emblée (c'est le cas avec Kawabata par exemple) et parfois il me faut un temps d'adaptation (ça a été le cas ici). Mais au final, je reviens toujours à cette littérature car au fond, j'aime ça malgré tout !
Pour ce qui est de la première scène illogique, on la dépasse facilement et rapidement sans problème pour se concentrer sur la relation que tissent les deux protagonistes :)
J'avais craqué pour ce livre à sa parution (j'adore la littérature japonaise et cette couverture et ce titre étaient irrésistibles), il était en coup de coeur de libraire, et puis, comme tant d'autres, il prend la poussière dans ma PAL depuis... J'avais failli m'y mettre il y a peu mais le résumé ne me parlait plus. Alors merci pour ton billet parce que ça me remotive d'un coup là !
Et bien tu vois, le résumé ne m'emballait pas follement a priori non plus mais finalement, c'est une très bonne surprise ! Je ne peux que t'encourager à le sortir de ta PAL !
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