Un automne à Paris, saison II
29/10/2018
Oui, j'ai décidé d'attaquer avec une image forte.
On prend les mêmes qu'il y a deux ans et on recommence : Les vacances de la Toussaint, un Airbnb dans un lieu chéri, un train aux aurores pour profiter pleinement dès la première journée, puis le jardin du Luxembourg, les librairies aux alentours, le Père-Lachaise, le quartier Mouffetard, le jardin des plantes... Il faut bien reconnaître qu'à deux, on a deux fois plus de petites habitudes et le tout combiné remplit facilement les journées. Nous sommes tout de même sortis un brin de nos sentiers battus pour sillonner le Marais, la place des Vosges, le quartier Oberkampf en passant par l'église Saint Ambroise. Que des lieux inconnus de nous ou que nous n'avions vu qu'une fois, lointainement, en sortant d'une bouche de métro. Nous perdre et flâner fut une de nos meilleures idées du séjour.
A cette occasion, nous avons découvert l'appartement de Victor Hugo, place des Vosges. Un lieu qui réunit art, histoire et littérature... Vous me voyez venir ? Evidemment, on est entré.
Le premier étage est entièrement consacré à une exposition temporaire des caricatures de l'écrivain jusqu'au 6 janvier 2019. Celles-ci s'articulent de façon chronologique autour de l'exil et évoluent principalement au gré des prises de positions politiques d'Hugo, non sans évoquer la parution de ses grandes œuvres (notamment pendant la période à Guernesey) ; c'est aussi l'occasion de voir son visage se transformer au fil du temps (on passe d'un petit air napoléonien au bon barbu vieillissant). Evidemment, c'est truculent et passionnant. Vous pouvez y aller les yeux fermés.
Quant à l'appartement à proprement parler, il occupe l'intégralité du deuxième étage et mélange les univers des diverses demeures hugoliennes au fil du temps. Par exemple, ce qui était le salon est aujourd'hui entièrement décoré et meublé de cette influence japonisante qui se trouvait dans les demeures de Guernesey. En somme, au lieu d'un véritable appartement richement conservé, il s'agit plutôt d'une collection d'instantanés grandeur nature de la vie de Victor Hugo ; ce n'est donc pas inintéressant, loin de là, mais peut-être pas exactement ce à quoi je m'attendais.
Nous avons également profité de crapahuter dans le quartier pour revoir la galerie Perrotin que j'avais délaissée depuis un paquet d'années. En ce moment, Sophie Calle et le duo Elmgreen et Dragset ont les faveurs de cet espace impressionnant jusqu'au 22 décembre 2018.
Sophie Calle expose Parce que, série de photographies dissimulées sous des citations feutrées, invitation décalée à réfléchir notre quotidien et Souris Calle, hommage posthume à son chat. Ces deux œuvres sont du pur Calle : mise en scène de soi et de la douleur intime, litanie incessante, apparente objectivité au service d'un narcissisme décontracté, interrogations autour des questions identitaires, auctoriales, et des frontières de la création. Comme dirait le poète, je est un autre. La vérité, c'est que mon appréciation de Sophie Calle a changé. Je l'aime toujours comme Proust aime les madeleines, et la voir exposée m'a indéniablement touchée, mais vingt ans ont passé... Les réseaux sociaux ont offert à tous l'art de l'égocentrisme et du voyeurisme assumés par photos et textes interposés. Ce que Sophie Calle propose, malgré son petit ton piquant, sa patte indéniable et ses impressionnantes relations, n'a plus grand chose d'original ni de subversif aujourd'hui - ni au regard de son propre travail qui manque de renouvellement ni au regard du monde actuel. L'artiste a soixante-cinq ans et s'est fait distancer dans les virages. Remarquez, l'avantage, c'est qu'on peut la quitter dix ans et la retrouver exactement au même endroit. C'est reposant et confortable. C'est un peu comme lire Amélie Nothomb (bisous avec des cœurs).
Parce que c'est la citation qui m'a fait le plus marrer ( et que j'adore les alvéoles pulmonaires)
Elmgreen et Dragset, quant à eux, font de la philosophie de comptoir avec trois bouts de bois, un rouleau de scotch et deux allumettes interrogent les notions d'espaces, de frontières et d'ordres publics/privés par le recours à l'absurde et au détournement d'objets. Bref, ils se touchent ils font de l'art contemporain.
Cependant, soyons clairs, nous n'avons pas fait que nous perdre. Quelques expositions fameuses étaient également au programme, dont plusieurs nous sont passées sous le nez par manque de temps ou manque d'anticipation. Ainsi, nous avons dû renoncer aux expositions Caravage au musée Jacquemart André et Néandertal à la galerie de l'évolution pour cause de file d'attente démentielle. Si vous prévoyez de les visiter, pensez donc aux billets coupe-file ! L'exposition actuelle du Palais de Tokyo m'est également passée sous le nez car j'ai eu la bonne idée de m'y pointer un mardi. Improvisation ratée sur ce coup-là. Par contre, nous avons fort apprécié l'exposition du T-Rex à la galerie de paléontologie, extrêmement bien amenée, documentée et enrichie de nombreuses animations ludo-éducatives.
Mais passons aux deux expositions à mon sens incontournables - celles pour lesquelles je montais à Paris et qui valent leur pesant de cacahuètes.
Ici brillait la flamme de l'art inspirée des lois philosophiques et esthétiques qui influençaient le goût, le style et la technique des beaux-arts sans rencontrer de résistance.
Alphonse Mucha
Jusqu'au 27 janvier 2019, le musée du Luxembourg expose l'incroyable Alphonse Mucha. De lui, on connaît tous les emblématiques affiches Art Nouveau au format japonisant, sur lesquelles évoluent des créatures éthérées et sublimes, nimbées de fleurs et de volutes ornementales. Soyons clairs, j'y allais principalement pour voir ça et je n'ai pas été déçue. Merci à l'exposition de proposer un parcours thématique qui nous plonge directement dans cet univers bohème et populaire dont elle éclaire le processus créatif de nombreux croquis préparatoires.
Mais l'artiste ne se résume pas à cela. Il était aussi mystique investi dans la franc-maçonnerie et curieux d'hypnose. Sa foi et ses réflexions spirituelles ont puissamment infusé son oeuvre - ainsi l'auréole sur toutes ses lithographies publicitaires et décoratives et les fabuleuses héliogravures pour l'illustration du Notre-père.
Il s'est également adonné aux arts décoratifs en dessinant bijoux, vaisselle, meubles, décors avec un talent franchement époustouflant - ses planches d'objets divers aux crayons sont sans doute parmi les plus belles œuvres de cette exposition - puis il opère un virage engagé au vingtième siècle et plonge à corps perdu dans son Épopée slave. Evidemment, c'est plus daté ; certains avancent même que c'est totalement dépassé et loin d'être ce que Mucha a fait de mieux. N'empêche que l'intégralité des cinq espaces d'exposition délivre un Mucha complexe et foisonnant tel que les affiches seules ne le laissaient pas entrevoir.
Le souci du détail est poussé jusque dans l'agencement des espaces rappelant formes, couleurs et dimensions Art Nouveau. Le seul bémol est le nombre impressionnant de visiteurs. Le coupe-file est impératif et, si possible, en semaine et à l'ouverture si vous ne voulez pas mourir d'étouffement ou d'une crise de misanthropie...
Je voulais peindre ce qui ne se voit pas, le souffle de la vie, le vent, la vie des formes, l'éclosion des couleurs et leur fusion.
Zao Wou Ki
Et puis Zao Wou Ki au musée d'art moderne jusqu'au 06 janvier 2019. Cette exposition propose un cheminement au gré des mutations de l'abstraction de Zao Wou Ki, de sa Traversée des apparences en 1956 jusqu'au milieu des années 2000. A cette période, il renoue avec l'encre de Chine et les détails figuratifs disséminés. L'art de Zao Wou Ki échappe à la parole - et les mots d'Henri Michaux repris en titre de l'exposition annoncent clairement la couleur. Je n'en dirais donc pas grand chose si ce n'est que son oeuvre est puissante, éclatante. Elle doit se voir donc se vivre pour vibrer en silence. C'est très clairement une claque, comme je l'espérais et comme ça fait un bien tellement fou.
Sophie Calle, Elmgreen et Dragset peuvent seulement aller se tailler des slips de bain pour s'exhiber sur la plage. Il y a les philosophes du dimanche qui jouent avec leur zizi et il y a les artistes. Zao Wou Ki, donc.
L'espace est silence. Silence comme le frai abondant tombant lentement dans une eau calme.
Henri Michaux
Sur ce, je vous lâche la grappe. Comme la dernière fois, j'ai ramené pas mal de lectures mais je garde ça au chaud pour vous en parler au fur et à mesure. J'en ai aussi profité pour me faire tatouer par une artiste talentueuse de folie, Clarisse Amour, qui officie chez Le gamin à dix doigts. Comment vous dire que je ne suis que joie (et envie de recommencer) ?! Non, en vrai, j'arrête là car on déborde complètement des frontières culturelles du blog (et je commence un peu trop à ressembler à Sophie Calle). Bon début de semaine à vous !
22 commentaires
J'adore cet article ! Que c'est bon :-D . Paris, Paris... Ah, le Marais, je ne me lasse pas de m'y perdre. [ soupirs d'aise ]. Et Mucha, je garde le meilleur pour la fin, ce sera pour décembre, avec l'expo Venise. Grande fan je suis d'art nouveau, je trépigne. Je reviens de l'expo Zao Wou Ki, je te rejoins complètement, grand moment, même si j'ai préféré la première salle entre toutes. Quel voyage. Superbe séjour que le votre ( avec petit soleil, ce qui ne gâche rien ).
Tu me rappelles que j'ai un billet dans les brouillons sur V.Hugo dessinateur... Bon, alors, quelques livres en souvenir, disais tu ? ^-^
Hmmm j'allais te répondre que, pour ma part, j'avais préféré la deuxième salle de l'expo Zao Wou Ki mais, à ce moment-là, je me suis rappelée de la troisième salle. Non, en fait, j'ai vraiment tout aimé de cette exposition. Elle m'a fait l'effet d'une gifle merveilleuse.
Si tu es fan d'art nouveau, tu vas clairement ronronner tout le long de l'expo Mucha : c'est une beauté ! Mais vraiment, j'insiste : essaye d'y aller à l'heure la plus creuse possible, même avec un coupe-file. Nous avons eu droit à un monde monstrueux et je dois t'avouer que ça gâche tout de même une partie de la fête.
A propos d'Hugo, ma tournure de phrase n'était peut-être pas claire mais en l'occurrence, il s'agit d'une expo temporaire sur les caricatures qu'on a faites de lui, non qu'il a dessinées lui-même. Cela dit, je serais bien curieuse de lire ton billet sur un Hugo dessinateur, tiens !
Et oui, j'ai ramené quelques lectures évidemment héhé... Notamment quelques revues d'expo et des occasions glanées chez Gibert, histoire de prolonger le voyage. Miam !
Avec tout ça, le soleil, c'était le cerise sur le gâteau. Je suis ravie qu'on y ait eu droit !
Pas de souci de tournures de phrases, j'avais bien compris pour les caricatures. Quelques craquages revues d'expo par chez moi également ( je tiens encore le projet zéro achat ) ( la Bd, ça ne compte pas ;))
Ah nickel alors !
J'adore ce projet zéro achat où les BD et les catalogues d'expo ne comptent pas ! C'est magique :D
Et la poésie, ça compte ? (En parlant de ça, j'ai fini ma lecture pour notre rendez-vous poétique : quelle déception !)
Je devais aller voir Victor aujourd'hui, mais le froid et le temps gris ont repoussé la visite à une autre fois. Ça aurait été sympa de s'y croiser !
Mais oui, ç'aurait été amusant ! Je suis sûre que l'exposition te plaira, tu m'en diras des nouvelles ! (Cela dit, ça a son charme aussi de faire des expos par temps frisquet : ça offre un excellent alibi pour s'offrir un thé ou un chocolat chaud avec une pâtisserie en sortant héhéhé !)
Évidemment, la poésie ne compte pas ! Il faut savoir saupoudrer un peu de magie dans sa vie ;-) . Oups pour la déception :-p
Je suis complètement d'accord ! C'est pour cela que je ne me fixe aucune interdiction d'achat autre que ponctuelle et courte : je ne m'autorise pas cinquante plaisirs de fous dans la vie, alors s'il fallait qu'en plus, je m'interdise d'acheter des livres pendant des mois... Il ne faut pas pousser mémé !
Zao Wou ki, ah je suis en amour, mais s'il y a du monde ... J'ai vu quelques grandes oeuvres il y a 4 ou 5 ans en province, peu de visiteurs, et gratuit!
J'ai prévu une visite à Orsay , sans coupe file, je sais c'est mieux le coupe file, mais le dernier a été 'perdu' suite à un retard de train...
J'ai donc lu ton billet avec intérêt, et on verra bien comment occuper une journée, il y a du choix
Alors, pour le coup, il n'y a pas beaucoup de monde pour l'expo Zao Wou Ki ; tu peux y aller tranquillement sans coupe-file et profiter pleinement des œuvres !
C'est vrai qu'un coupe-file, c'est contraignant : ça impose un horaire et par là, empêche toute spontanéité ou toute variation en fonction d'imprévus. En ce qui me concerne, je ne peux pas faire autrement à cause de mon dos, au risque d'arriver décédée à l'exposition sinon. Si je n'avais pas cet impératif physique, je fonctionnerais sûrement plus comme toi, au feeling :) J'espère que tu trouveras une belle inspiration le jour J !
C'est sûr que Picasso risque de 'vider' Zao wu ki, donc, à voir sur le moment!
Pour le coup, Picasso à Orsay ne me tentait pas trop... Mais tu m'en diras des nouvelles !
Je suis d'accord avec toi : Zao Wou-ki est un immense artiste. Et le musée d'art moderne, avec ses grand espaces éclairés, le lieu idéal pour exposer ses toiles. Cette exposition m'a beaucoup touché.
C'est vrai que je n'ai pas du tout parlé de l'espace d'exposition du musée d'art moderne mais tu as parfaitement raison, la grandeur et la lumière de ce musée mettent à merveille en valeur la peinture de Zao Wou Ki.
J'ai vu la maison Hugo place des Voges ( même s'il n'y avait aps les caricatures). En revanche, j'aurais adoré voir celle de Mucha! Ce devait être un bon moment. Jolies photos :-)
Je te confirme que Mucha est splendide. Peut-être auras-tu l'occasion d'y aller d'ici janvier prochain ? Je te le souhaite, en tout cas !
Ah tu as eu nettement plus beau que moi, veinarde.
J'aurais beaucoup aimé voir l'expo Mucha, mais sans les gens, donc je n'y suis pas allée. En revanche je regrette un peu d'avoir zappé Zao Wou Ki, j'avais vu des choses de lui il y a plusieurs années et c'est un grand artiste. Mais je sais bien que l'on ne peut pas tout faire.
C'est vrai que j'ai été vernie par le beau temps !
Malheureusement, un peu comme le lapin d'Alice, on court toujours après le temps pour admirer toutes les belles expos de Paris ! Pour ma part, je regrette l'expo Caravage à Jacquemart-André, et puis j'ai réalisé il y a quelques jours que j'ai aussi loupé Basquiat à la fondation Vuitton... Tant pis ! On a profité d'autres choses, autrement !
Chouette! Quelle belle bouffée de culture et de lumière. :)
Tu as parfaitement résumé ces quelques jours !
Oh là là tu m'as complètement télétransportée dans la ville-lumière avec ton billet, ma copinette ! Ah les balades le nez au vent qui te font découvrir des endroits méconnus et pourtant pleins de magie... C'est un peu ce que vit Bérénice à Paris au début d'Aurélien ;)
J'ai écouté récemment une interview de Sophie Calle sur France Q, ça parlait de son chat décédé et de tous pleins de grands artistes (genre Bono !) qui avaient écrit des chansons en sa mémoire. Franchement, je sais que je m'adresse à une amoureuse des chats, mais j'ai trouvé que toute cette énergie créative aurait pu être employé à un projet de plus grande envergure. Mais soit, ceci n'est que mon ressenti ;)
Evidemment je ne suis que jalousie devant ta visite de l'expo Mucha. Mais avec autant de monde et enceinte de 6 mois, je crois que ça aurait été galère de toutes façons... Quant à Zao Wou Ki, je découvre, merci ! Caravage évidemment ça a de la gueule, mais sache qu'il y a des peintures de lui dans l'église Saint-Louis-des-Français à Rome... Peut-être à l'occasion de prochaines vacances ? ;)
Douces bises et bonne rentrée ma belle !
Je suis ravie de t'avoir transportée par la pensée !
Effectivement, j'ai déjà eu le plaisir de voir des peintures du Caravage dans quelques églises romaines (moment d'extase esthétique et de recueillement). C'est un peu pour ça, honnêtement, que je n'ai pas piétiné de dépit en voyant le monde fou devant Jacquemart-André. Je savais qu'il n'y aurait que peu de toiles du maîtres finalement... Et puis, j'ai ainsi découvert d'autres choses à l'impro ; c'était tout aussi bien...
Les commentaires sont fermés.