La péninsule aux 24 saisons d'Inaba Mayumi
16/04/2019
C'est le monde des origines, chacun de nous y a vécu un jour.
Grâce à Marilyne (que ferais-je sans elle ?), je me suis retrouvée avec ce livre entre les mains après notre rencontre en juillet dernier. Je savais qu'il devrait attendre le bon moment : le problème avec les livres paisibles et méditatifs - les japonais sont maîtres dans cet art-là - c'est qu'ils peuvent fatalement devenir ennuyeux et creux lorsqu'on s'y force mal à propos. Je l'ai donc laissé tranquillement faire sa vie sur mes étagères et ai mis plusieurs semaines à le lire en entier, picorant ici ou là quelques tranches de vie de la narratrice, jusqu'au moment où elle m'a suivie plusieurs jours sans discontinuer. Son récit a priori insignifiant a fini par m'être un cocon délicat qui parvint à adoucir mes journées.
Cette narratrice est une femme d'âge mûr (nous n'en saurons pas plus si ce n'est, tardivement et furtivement, qu'elle est ménopausée). Défiant toutes les pressions sociales, elle est célibataire, sans enfant et l'heureuse maîtresse d'un chat (inutile de vous dire qu'elle m'a été spontanément très sympathique). Lassée du rythme effréné de la capitale japonaise où elle réside depuis trente ans, elle décide de partir un an dans sa maison au bord du monde, à quatre heures de train. La voilà à la péninsule aux 24 saisons.
Je vivrais de la terre. J'irais dans la mer. Je deviendrais pêcheur et chasseur, j'apprendrais à pêcher à la ligne, à cultiver la terre. Quelle vieillesse luxueuse !
Son quotidien est rythmé de longues balades dans la nature, d'observations, de cueillettes et de rencontres diverses avec le petit monde humain et animal qui peuple ce territoire reculé. Sous le vernis extrêmement anecdotique du propos se dessine une manière revigorante d'accueillir les plaisirs simples de l'année - et d'accepter aussi son lot d'impondérables. Vivre autant que possible en harmonie avec les saisons n'a rien d'idyllique, évidemment. Le corps est parfois très occupé et les journées bien remplies mais il y a un délice certain à évoluer de concert avec l'intégralité du vivant - c'est peut-être bien la meilleure méditation qui soit.
Même si je ne parlais à personne de toute la journée, la forêt et les champs retentissaient de chuchotements. Toute la vie de la nature parlait.
J'ai eu quelques claques littéraires dernièrement - vous voyez tous de quoi je parle, l'impression de se prendre un uppercut au détour des pages (il faudrait que je les chronique un de ces 4 d'ailleurs). Et bien ici, c'est exactement le contraire. J'ai vécu en suspension avec la narratrice, ai écouté le silence et pris le temps de savourer ses lignes simples, sans prétention, mais très justes dans leur intention. C'est vraiment bon, parfois, de prendre ce temps de pause - comme m'y invitait Marilyne dans le commentaire de son billet - pour se rappeler quelques essentiels.
Est-ce Buson qui a chanté l'"aveuglante lumière de la lune sur les rochers de l'hiver" ? On croit entendre le craquement de la lumière sur les branches, sur la moindre pierre. Les ombres noires dans la forêt, la rangée de petits arbres devant l'entrée, la route qui passe devant la maison en plan incliné, tout déborde du crépitement silencieux des éclats tranchants du clair de lune. Moi, je me penche sur la profondeur des ténèbres silencieuses où ni voiture ni âme ne passe, et mon oreille savoure l'ineffable plaisir d'être absorbée par la densité du silence.
14 commentaires
oh oui j'aime vraiment ce style de livre...reposant et en fin de compte il s'en passe des choses....oui
Mais oui, tu as raison. On n'a pas besoin d'être dans l'extraordinaire pour qu'un quotidien soit riche et ce livre le développe à merveille.
En suspension, j'aime bien cette expression. Une jolie lecture, pourtant sans complaisance. Contente qu'elle t'ai accompagnée un petit moment. Il me semble que C'est un récit très féminin, j'ai été sensible aux retours de cette femme ( sur elle même, sur l'extérieur, sur l'ailleurs ).
Oui, il y a ce double élan très intéressant d'ouverture et d'introspection - et je suis d'accord avec toi, même si le propos est universel, le texte est indéniablement marqué par la féminité de la protagoniste.
On a tellement besoin des livres reposants...
Absolument !
Je crois bien que je vais le lire...
Merci. Bonne journée.
Je te souhaite un bon voyage en cette péninsule, Bonheur du jour !
Je trouve les extraits élégants. J'aime beaucoup cette simplicité japonaise, mais comme toi, je trouve qu'il ne faut pas se forcer quand ce n'est pas le bon moment. Merci pour cette belle chronique et la découverte de ce livre !
La plus grande élégance émane bien souvent de la plus grande simplicité et les Japonais sont maîtres dans cet art.
Je note pour le moment où je me lancerai dans des lectures sur le Japon. La couverture me plaît beaucoup déjà !
J'ai clairement flashé sur la couverture avant même d'ouvrir le livre. Elle transporte à elle toute seule.
Il me fait de l’œil. En partie, je dois l'avouer, à cause de cette couverture adorable. En partie à cause de vos billets, à Marilyne et toi. Je pense que ça pourrait me parler.
Nous sommes d'accord à propos de la couverture et je suis ravie que nous t'ayons donné envie de lire ce livre. Lorsque le moment sera venu, j'espère qu'il te plaira.
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