Les échecs de l'été
27/08/2016
Une fois n'est pas coutume, et peut-être parce que cet été aura été particulièrement riche en livres qui me sont tombés des mains, j'ai décidé de garder la trace d'un petit florilège de mes échecs.
Je sais qu'il y a eu dernièrement (et ce n'est pas la première fois) une polémique sur l'intérêt de chroniquer un livre qu'on n'a pas aimé et, a fortiori, un livre qu'on n'a même pas fini. Après tout, sur quoi se base-t-on pour émettre un jugement (forcément péremptoire) si l'on n'a parcouru que le tiers, le quart voire le dixième du livre ? Que cela plaise ou non aux auteurs, je suis persuadée (et c'est d'ailleurs comme ça que fonctionnent beaucoup de critiques et d'éditeurs, je n'ai donc pas inventé le concept) que le style et le propos d'un livre se cernent assez rapidement entre les premiers chapitres, et quelques autres pages prises au hasard. On saura vite si on a affaire à un bon roman, un grand roman, un chef d'oeuvre intersidéral, un ovni (et je classe dans cette catégorie les livres qui me laissent toujours dubitative au début de la lecture, ceux dont je ne sais quoi penser - dans ces cas-là, je poursuis toujours), un roman médiocre, un roman commercial, un roman déjà écrit cent fois et/ou un roman surfait. Ce n'est sans doute pas infaillible, évidemment. C'est sans doute aussi pétri de subjectivité. Mais à partir du moment où cette subjectivité est bonne à dire lorsqu'elle est positive, l'inverse doit être également valable.
Partant de cette idée, je me dis qu'un partage des romans interrompus peut représenter autant d'intérêt que le partage d'un coup de cœur. En tout cas, pour ma part, je suis très curieuse d'échanger au sujet de ces échecs, afin de saisir ce que j'ai peut-être raté, de me sentir aussi moins seule dans mon ennui ou mon agacement face à certains ouvrages, et/ou, pourquoi pas, me faire changer d'avis et m'inviter à repartir du bon pied avec un livre rencontré au mauvais moment.
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Les singuliers d'Anne Percin, Le Rouergue, 2014, 393p. (J'ai constaté en librairie avant-hier qu'il venait de sortir en poche chez Babel.)
Que de promesses pour ce roman épistolaire qui plonge son lecteur au cœur d'une communauté artistique de la fin du XIXème, entre le fantasme (Hugo Boch et Hazel sont, entre autres, des mirages de l'auteure pour mener à bien son processus narratif) et la réalité (où l'on croise un Gauguin truculent, jouisseur et l'image d'un Van Gogh déjà évanescent, insaisissable). Le roman se veut la peinture bouillonnante d'une fin de siècle en pleine création et mutation : la peinture ne cesse de se renouveler, la photographie et la Tour Eiffel deviennent les symboles de la technologie faite art, les femmes commencent à être acceptées en écoles d'art et, dans tout ce tourbillon, les voyages forment toujours le mieux les artistes. C'est bien souvent du côté de petits villages perdus de la Bretagne d'Hugo Boch devise sur le monde, ses amis, l'inspiration, laissant deviner au lecteur une communauté éclectique et passionnante.
Connaissant mon amour de l'art, de la peinture en particulier et de la peinture du XIXème encore plus précisément, connaissant une certaine accointance pour l'épistolaire depuis un certain chef d'oeuvre du genre que je place au panthéon des miracles de la littérature, ce livre était fait pour moi à condition d'être à la hauteur des deux domaines sus-mentionnés - ce qui ne fut pas le cas, vous le voyez venir : entre une correspondance cousue de fil blanc (quoiqu'à ce stade-là, on frise le fluo) à laquelle on ne croit pas trois lettres et des propos sur l'art d'une banalité déconcertante, j'ai réussi à m'acharner sur 200 pages très molles avant d'abdiquer face à la platitude du style et l'inexistante profondeur du propos. Certains morceaux sont doux, plein de bonnes intentions, et parfois, pas trop mal vus mais l'ensemble est malheureusement trop lisse et trop superficiel à mon goût. Ecrire un livre sur la création artistique en se contentant de collectionner les clichés ne peut me convenir. Ce n'est pas désespéramment mauvais, non, c'est simplement médiocre - et je ne sais pas si c'est beaucoup mieux, en fait.
Le grand marin de Catherine Poulain, L'Olivier, 2016, 368p.
Je ne vais pas vous faire l'affront de résumer l'histoire de ce roman, parce qu'en toute honnêteté, je ne m'y suis pas acharnée très longtemps (beaucoup moins longtemps que le livre d'avant par exemple). Du coup, je ne sais même pas véritablement de quoi ça parle, à part ce que j'en ai lu dans les revues critiques et sur les blogs. Ce qui m'a par contre franchement marquée dès les premières pages, c'est l'incompréhension totale que j'ai ressenti lorsque j'ai attaqué le bouquin, pleine d'enthousiasme à la lecture des éloges démentiels qui en avaient été fait. Sans tourner autour du pot ni faire des courbettes diplomatiques, j'ai tout bonnement trouvé le style de Catherine Poulain d'une nullité limite insultante pour le lecteur et ce qu'elle racontait pas beaucoup plus élevé. Or quand je vois tous les prix que ce roman a glanés, tous les avis positifs qu'il a suscités dans des revues ou sur des blogs que je sais exigeants dans leurs lectures, je me dis que j'ai dû louper une marche, me planter de bouquin, ou faire une indigestion de champignons hallucinogènes. Avis à tous les lecteurs du Grand marin donc : qu'avez-vous trouvé au style (qui, définitivement, m'est rédhibitoire - non, en fait, vraiment, je le trouve insultant), à l'histoire ?! Ou inversement, y-a-t-il des lecteurs déconfits qui ont fait le même constat d'échec agacé que moi ?
Le huitième livre de Vésale de Jordi Llobregat, Le cherche midi, 2016, 620p.
Rien de tel, lorsqu'on est en panne estivale de lecture, qu'un bon thriller un poil obscur, historique, érudit et, qui sait, peut-être un peu ésotérique. En repérant ce roman sur le site du Cherche Midi qui mentionnait une comparaison avec Carlos Ruiz Zafon, j'ai immédiatement pensé à Marina que j'avais fort apprécié. Communauté linguistique oblige, j'ai aussi beaucoup pensé à José Carlos Somoza dont je dévore chaque ouvrage. Bref, ce roman devait me réconcilier avec le plaisir de dévorer avidement des centaines de pages en une après-midi, ce qui m'a décidé à le demander en SP (une fois n'est pas coutume).
Et là, c'est le drame... La scène d'ouverture, découverte d'un corps non identifié, presque irréel et donc censé être hautement flippant, est à la limite du risible. Soit, une plantade arrive et la tentation du cliché, dans ce genre littéraire, n'est jamais loin. Il faut savoir accepter de passer outre certaines facilités pour se laisser embarquer (oui, je suis faible, parfois). Poursuivant, donc, je découvre que les chapitres suivants dévoilent un personnage clé successivement, et l'histoire est ainsi vue alternativement par tel ou tel regard - regard qui perpétue malheureusement le cliché sus-mentionné : qui, le tout jeune professeur d'université à qui tout sourit mais qui reçoit une lettre le ramenant sur les traces de son passé (suspeeeeeeens), qui le journaliste pouilleux, endetté jusqu'à la moelle, risée de son journal mais qui cache, en fait, un scoop en or massif qu'il ne peut pas tout de suite dévoiler (ouh ouuuuuh), qui un personnage mystérieux dont la noirceur frise en fait le satanisme de farces et attrapes (depuis que beaucoup trop d'auteurs se sont amusés avec). Bref, on en revient aux ficelles fluo que j'évoquais tout à l'heure chez Anne Percin, à la différence près que j'ai trouvé ici une prétention narrative pas du tout en accort avec le mauvais style de gare effectif de l'auteur. Cette prétention fallacieuse a achevé de me rendre le bouquin carrément détestable. Anne Percin avait le mérite d'être d'une sincérité humble dans ses mots. Ici, jordi Llobregat semble persuadé d'avoir inventé la poudre alors qu'il écrit, à tout casser, un mauvais thriller déjà écrit cent fois, pompeux, ennuyeux et téléphoné.
Je m'excuse auprès du Cherche Midi qui a eu la gentillesse de me faire parvenir ce roman pour cet avis virulent et sans aucune nuance. Ça ne m'arrive pas souvent de trouver un livre à ce point mauvais mais quand c'est le cas, je préfère ne pas tourner autour du pot.
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Quelqu'un parmi vous a-t-il lu l'un de ces trois romans ? J'attends vos avis divers et variés - plus pondérés, mitigés, aussi virulents que moi, dubitatifs, tranchés, opposés, passionnés, à paillettes ? - pour enrichir mes propres lectures !
10 commentaires
Sans vouloir revenir sur la polémique, je trouve que tu as tout à fait raison de parler aussi de ce que tu n'aimes pas, ne serait-ce que pour donner un contrechamp. Sur les deux premiers notamment que je n'ai pas encore lus mais qui ont été encensés partout, ton avis est très intéressant d'autant qu'il est très détaillé.
Merci Papillon. Je ne savais pas que "Les singuliers" avait été encensé de partout... Je l'ai découvert lorsqu'on me l'a offert ; je n'en avais jamais entendu parler auparavant. Du coup, on ne peut même pas dire que j'ai été déçue à cause de trop d'attentes, comme ça peut parfois arriver...
En effet, un avis négatif parmi beaucoup d'avis positifs, ça peut parfois permettre de remettre un peu de perspective...
Tu me coupes l'herbe sous le pied à propos du roman d'Anne Percin que j'avais reçu lors de sa sortie et que je me proposais de lire dans les jours à venir. Le sujet aussi a beaucoup pour me plaire mais là ton avis me refroidit, brrr !
Pour les autres titres, je t'avoue que je ne les connais même pas :( !
Concernant la fameuse polémique, je suis depuis le début de mon blog POUR les critiques négatives et pour parler même des lectures inachevées parce que, tu le dis très bien : "Mais à partir du moment où cette subjectivité est bonne à dire lorsqu'elle est positive, l'inverse doit être également valable. "
J'espère que tu seras plus enthousiaste que moi sur "Les singuliers" ! D'après Papillon, il a beaucoup plu par ailleurs... Peut-être est-ce moi qui suis trop exigeante ? Tu m'en diras des nouvelles !
Je n'ai pas lu ces livres et n'ai donc pas d'avis, mais ton billet est intéressant, aussi bien dans les propos génériques que dans les critiques des livres. :)
Mon modeste apport sera que je ressens parfois une certaine fadeur en littérature contemporaine, j'ai l'impression d'avoir plus affaire à des aspirants écrivains "qui s'y croient" qu'à des écrivains accomplis. Ça peut expliquer quelques ratés.
En effet, le phénomène assez pénible qui consiste à se regarder écrire est fréquent en littérature contemporaine... Ou peut-être a-t-il toujours été là, mais l'âge a passé ce fait là sous silence dans les littératures des siècles précédents ? En tout cas, un peu de distance ne fait pas de mal et je me dis que quelques avis négatifs, à l'occasion, y participent :p
Je n'ai lu aucun de ces trois livres, et seul le premier pourrait a priori m'intéresser.
Pour le fait de critiquer ou non les livres inachevés, je ne le fais plus depuis longtemps. Parce que je n'arrive déjà pas à parler ceux que je lis, parce que souvent je n'ai rien de spécial à dire de ces livres, et surtout parce que cela m'arrive en fait très rarement.
Cela dit, on repère très vite un livre mauvais, et je trouve que ce serait se donner beaucoup d'importance d'imaginer qu'une critique négative puisse avoir un immense impact. Ta remarque sur le fait que tu veux échanger avec des amateur de ses livres rappelle en plus bien qu'à la base, on n'est pas des critiques, mais des lecteurs voulant parler à d'autres lecteurs.
Je pense que certains blogs peuvent avoir un impact significatif par leurs chroniques. Ce n'est évidemment pas le cas du mien, ce qui me déculpabilise grandement de mes chroniques négatives !
Beuh...j'étais pourtant sûre d'être venue commenter ?!? OUI, mille fois oui aux avis , meme négatifs ! Pourvu qu'ils soient bien argumentés ;-) ce qui est le cas ici
Merci Mior ! Je confirme que nous avions échangé à propos de ce billet, mais via facebook ;)
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