Pot-Bouille d'Emile Zola
05/01/2018
Si j'en crois mes lectures de décembre et de ce début janvier (dont toutes, je crois, restent à chroniquer), l'année qui s'annonce se fera sous le signe de la jeunesse et des classiques. En l'occurrence, l'envie de lire un énième Rougon-Macquart ne m'avait pas prise depuis quelques années et est arrivée de façon inattendue. Je venais de terminer un autre classique (dont je vous parlerai prochainement sans doute) et me pensais dans l'optique de passer à quelque chose de plus léger. C'était sans compter les lectures jeunesses entamées en parallèle qui remplissent parfaitement cette fonction. Je pouvais, par conséquent, allègrement enchaîner les pavés plein de subjonctifs imparfaits sans trop me griller les neurones. Banco ! J'ai donc empoigné le premier des cinq derniers Rougon-Macquart de ma PAL. Et c'était parti pour Pot-Bouille.
Dans ce volume, le dixième de la série, Zola débarque Octave Mouret de sa province. Ce fils de Marthe Rougon épouse Mouret arrive à Paris, bien décidé à faire fortune, après des débuts joyeux et coquins dans le commerce marseillais*. Sur recommandation d'amis et grâce au ménage Campardon qui habite au 2ème étage, il emménage dans l'immeuble Vabre de la rue de Choiseul. L'atmosphère y est très comme il faut, d'une bourgeoisie fière d'elle-même c'est-à-dire de ne pas frayer avec la fange ouvrière. Même les escaliers sont chauffés et pavés d'étoffe rouge - jusqu'au troisième étage seulement, puisque plus on monte les étages, moins on est argenté. Octave se montre plus que ravi de tant de signes extérieurs de richesse dans cette société qu'il entend conquérir.
Il se pencha sur la rampe, dans l’air tiède qui venait du vestibule ; il leva la tête, écoutant si aucun bruit ne tombait d’en haut. C’était une paix morte de salon bourgeois, soigneusement clos, où n’entrait pas un souffle du dehors. Derrière les belles portes d’acajou luisant, il y avait comme des abîmes d’honnêteté.
Son objectif est très clair : séduire et réussir et, si possible, les deux à la fois. Pour cela, il va taper à tous les râteliers - excusez l'expression qui, par sa vulgarité et son peu d'égard pour les sentiments d'autrui restitue cependant assez bien l'état d'esprit de Mouret -, de sa voisine de palier qu'il engrosse l'air de rien à l'une des épouses Vabre, sans parler évidemment de la fameuse Mme Hédouin, propriétaire du Bonheur des dames. Je n'ai pu m'empêcher de penser, tout au long de ma lecture, à ce Bel-Ami que Maupassant publiera trois ans après Pot-Bouille, sorte de Rastignac en soldes qui ne voit dans les femmes, outre l'obtention d'un plaisir parfaitement égoïste voire forcé la plupart du temps, que les différentes marches de l'ascension sociale.
Lui, que la présence d’une femme, même de la dernière des servantes, emplissait d’un ravissement, riait d’un rire perlé, en la caressant de ses yeux couleur de vieil or, d’une douceur de velours.
Inutile de dire qu'il n'est pas le seul à faire ses cochonneries sous le manteau - enfin, sous le manteau, c'est beaucoup dire... lalalaaa - puisque tout le monde s'en donne à cœur joie avec des courtisanes, avec les bonnes - en somme, avec tout ce qui passe. Je ne vous parle même pas de l'ivrognerie ou de la prétention qui amène au vice de la dépense** qui touchent autant ces bourgeois engoncés de fatuité que les habitants de la Goutte d'Or dans L'Assommoir. De L'Assommoir d'ailleurs, parlons-en, ainsi que de Nana. Si l'on en croit la préface de l'édition du Livre de Poche, Zola a été particulièrement outré des réactions bien-pensantes que suscitèrent ces deux ouvrages-là en particulier. Il n'était pas de bon ton, évidemment, de peindre une réalité aussi noire, aussi ordurière et méprisable de l'Empire. Zola pourrissait du même coup par ses mots la littérature et une certaine image de la France, semble-t-il, selon toute une clique de bourgeois parisiens. Manque de pot, Zola est rancunier et a la plume facilement acerbe. L'Assommoir et Nana sont orduriers ? Qu'à cela ne tienne, il va faire pire en peignant cette caste de parvenus conformistes.
Par exemple, je l'accepte volontiers, votre congé ! Plus souvent que je resterais dans cette baraque ! Il s'y passe des propres choses, on y rencontre du joli fumier. Ça ne veut pas de femmes chez soi, lorsque ça tolère, à chaque étage, des salopes bien mises qui mènent des vies de chien, derrière les portes !... Tas de mufes ! tas de bourgeois !
Aussi, dans Pot-Bouille, il soulève allègrement le voile de l'hypocrisie bourgeoise et prend un malin plaisir à démontrer que la noirceur de la nature humaine est commune à tous les étages de la société - il y a peut-être même quelque chose de pire à jouer le double jeu de s'y vautrer tout en le fustigeant. Dans ce roman, les bourgeois n'ont pas l'excuse de la misère ahurissante des ouvriers de L'Assommoir. Il n'y a pas que le déterminisme à mettre sur la table ; il y a aussi le plaisir gratuit du vice.
Dans cette optique de vengeance littéraire, Zola ne ménage donc pas ses efforts. On va être clair : Pot-Bouille est souvent caricatural, intransigeant et souffre d'une répétition parfois inutile des situations. J'ai connu l'auteur plus nuancé, c'est indéniable. Avec tout ça, Pot-Bouille est exactement ce qu'il avait vocation à être : un gros pavé dans la mare de la bien-pensance bourgeoise. Du coup, malgré ses défauts, il est aussi d'une acidité jouissive. Zola avait de la bile à revendre et il ne nous épargne rien de l'horreur des derrières de rideaux (je vous laisserai le plaisir de découvrir tout le catalogue des situations tordues possibles par vous-mêmes). Mais de tout cela, tout le monde s'accommode tant que les apparences sont sauves. Parce que c'est bien la seule chose qui différencie le bourgeois de l'ouvrier : les apparences, un point c'est tout. Le seul qui échappe à la règle (comme une manière de s'auto-congratuler), c'est le romancier qui, loin d'être touché par la gale ambiante, garde l'esprit suffisamment froid et distant pour révéler certaines vérités qui blessent.
Hippolyte, en train de laver la robe de madame, répondit :
– Ça n’a pas plus de cœur que mes souliers… Quand ils se sont crachés à la figure, ils se débarbouillent avec, pour faire croire qu’ils sont propres.
Octave Mouret se sort finalement plutôt bien de ce cloaque. Malgré ses frasques, il finit par épouser - comme tous les lecteurs du Bonheur des dames le savent - Mme Hédouin. Celle-ci, contrairement à ce qu'on pouvait penser au début du roman, n'est pas vraiment une énième conquête de notre protagoniste séducteur. Leur mariage est un arrangement commercial fort astucieux. Caroline Hédouin a très bien compris les qualités d'Octave dans le commerce moderne florissant et Octave, quant à lui, a très bien compris le potentiel du Bonheur des dames. Leur mariage est une forme d'association d'affaires avant l'heure. N'empêche que d'une façon ou d'une autre, Octave est arrivé à ses fins.
Pour cela et parce que le portrait de Mouret dans ce titre va, en partie, à l'encontre de celui que je m'étais formée à la lecture du Bonheur des dames il y a... fort fort longtemps, j'ai décidé de relire ce dernier dans la foulée. Affaire à suivre, donc !
*Cf. La conquête de Plassans pour découvrir un bout de l'enfance de Mouret puis La faute de l'abbé Mouret pour l'évocation du renoncement de son cadet, Serge, à l'héritage familial.
** Je n'ai encore pas pu m'empêcher de penser à La Parure (décidément, encore Maupassant) sur cette question de l'argent et du paraître à travers certaines répliques des Josserand ou des Vuillaume.
Au passage, mes précédentes chroniques de Zola :
Une page d'amour, L'Assommoir, Le ventre de Paris et La terre.
17 commentaires
Et bien, quelle début d'année. ( ouf, celui-ci je l'ai lu, sinon tu m'aurais tentée :)) ( j'avoue, je ne les ai pas tous lus, les Rougon-Macquart )
Pour ma part, il m'en reste quatre maintenant : "La joie de vivre" qui suit "Au bonheur des dames" (les enchaînerais-je, du coup ? ^^), puis les trois derniers de la série. Cela dit, j'ai lu le premier il y a presque vingt ans donc, une fois que je les aurai terminés, je pourrais commencer à les relire héhé ! J'ai déjà relu "L'Assommoir" il y a trois ans, je crois. Voilà que je refais la même avec "Au bonheur des dames" avec grand plaisir. C'est ce que j'aime avec les classiques : on en n'a jamais fait le tour tout à fait !
Bon, d'accord, tu as de l'avance, c'est le genre de projets que je traîne depuis... disons que j'ai lu mes premiers Rougon Macquart à la même époque que toi :) Et les relire serait très intéressant ! ( mais déjà trop de projets pour cette année ! )
Je comprends ! Initialement, je n'avais pas prévu de relire non plus, plutôt de lire déjà les non lus, mais l'envie m'a prise en finissant Pot-Bouille alors j'y vais au feeling !
Je l'ai lu l'an dernier, juste avant de lire Au bonheur des dames, et il a disons... beaucoup évolué! Pas mon préféré de l'auteur mais ça reste Zola.
On est d'accord ! Il me semblait aussi que le Mouret de "Pot-bouille" n'était pas celui d'"Au bonheur des dames" ! Tu me rassures ! Bon, j'ai quand même commencé à relire le second roman, histoire d'en avoir le cœur tout à fait net ;)
Ah mais ce livre, je l'adore.
Et j'adore le raconter à mes trolls fasciné par cette petite vie qui grouille dans cette immense maison !
Il m'a beaucoup plu aussi ! Mais, de manière générale, je suis super bon public avec Zola ! C'est un de mes auteurs chouchous !
J'imagine la tête des gamins en effet ! Pour ma part, j'évoque plutôt Zola dans ses relations avec la peinture, du coup ça reste très soft. Mais j'adorerai bosser L'Assommoir au lycée, mioum !
Formidable!! Je crois que c'est la première fois que je lis une chronique de Zola chez toi. Je ne me souviens pas très bien de ce tome mais je crois qu'il y a un accouchement clandestin? Je le relirai dans quelques années. Là je vais passer à la Conquête de Plassans avec Tigger Lilly (on a pris un peu de retard: on aurait dû le lire au quatrième trimestre 2017) et je prêterai attention à ce que tu dis sur Serge dans ta note.
Contente que tu aies aimé en tout cas. Et c'est la force de Zola, je pense, de montrer les choses dégueulasses pour ce qu'elles sont. J'ai toutefois quelques réserves sur cette attitude du fait qu'il a lui-même trompé sa femme pendant quinze ans... ¨Petit soupir.
Il y en effet un accouchement clandestin dans le dernier chapitre qui fait froid dans le dos de réalisme et de pathétique...
Je me suis mal exprimée dans ma note par contre à propos de "La conquête de Plassans" : dans celui-ci, tu découvriras la famille de Mouret, son enfance ainsi que sa scolarité - même si, clairement, le roman tourne essentiellement autour du couple parental et, encore plus essentiellement, de sa mère et du curé aux dents longues qui sévit à Plassans. J'avais beaucoup aimé ce tome-là ! Serge sera par contre le personnage principal de "La faute de l'abbé Mouret" et c'est dans celui-ci qu'il renonce à l'héritage familial. Pour le coup, ce tome-ci m'avait plutôt barbée. Je trouvais les tics d'écriture de Zola trop présents, il en devenait la caricature de lui-même, et certains propos trop niaiseux (comme toi, je l'aime quand il est crade, beaucoup moins quand il est mièvre !)
Bon, du coup, suite à ton commentaire, j'ai modifié ma note pour être plus claire ! J'en ai aussi profité pour ajouter les liens vers les 4 autres Zola que j'ai lus et chroniqués depuis l'ouverture du blog. Et c'est là que je m'aperçois que le dernier datait d'il y a 3 ans et demi ! Tempus fugit, nom d'un pti canard rayé !!
Ok pour la précision sur Serge! Moi j'avais moins aimé la Conquête de Plassans, trop énervée par ce prêtre odieux et Marthe (je crois, j'ai un doute sur le prénom) manipulée, mais je suis contente de le relire.
Pour les tics de Zola de la Faute de l'abbé Mouret, penses-tu par hasard aux interminables listes de fleurs et de plantes en général? :D
Ahhh mais tu les as déjà lus en fait !
Alors, oui, dans "La faute de l'abbé Mouret", il y a en effet ces interminables catalogues Jardiland qui font péter un plomb (note qu'à contre-courant de beaucoup de lecteurs/trices, c'est aussi l'effet que me fait "Au bonheur des dames" (Jardiland en moi, Le Printemps en plus) pour la 2eme fois malgré quelques passages poétiques sublimes grmbl), mais c'est surtout la scène où Mouret cède à l'appel de la chair dans ce fameux jardin luxuriant blah blah blah. Pendant tout le chapitre, je me disais "Vas-y Emile, on l'a compris le truc du jardin d'Eden là, remballe tes sabots, sois subtil bordel !" :D
Oui, je les ai lus il y a quelques années. C'est d'ailleurs très plaisant de les relire quand je me souviens encore assez nettement de l'intrigue (même si ma mémoire n'est pas des meilleures dans l'absolu) car ça me permet de faire plus de recoupements avec les tomes à venir. Bon certains tomes sont plus flous que d'autres, genre Pot-Bouille... :p
Je suis très en retard sur tout en ce début d'année, que je te souhaite néanmoins fort bonne, ma chère Lili. Mais là je ne pouvais rester indifférente devant un si beau billet. Je n'oublie pas que c'est toi qui m'as convaincue d'ouvrir "La fortune des Rougon" l'an dernier (que je n'ai malheureusement pas chroniqué). Là tu me donnes envie de continuer dans la série ! J'avais lu toutefois Au bonheur des dames il y a, moi aussi, fort longtemps. Hâte de lire ton billet sur celui-là !
Merci pour ton commentaire malgré ton rush de début d'année, copinette ! Bonne année à toi aussi bien sûr !
Je suis ravie que tu aies lu et apprécié "La fortune des Rougon" ! Je te souhaite de découvrir les autres qui sont, pour la plupart, vraiment très chouettes ! On pourra échanger là-dessus à l'occasion !
Mille bises douces :*
"Nana" sera mon prochain Zola dans ma découverte de la série, et "Pot-Bouille" le suivant (même si parfois il me faut deux ans entre deux Rougon-Macquart...). J'ai hâte de découvrir la jeunesse de ce coquinou d'Octave avant de relire "Au bonheur des Dames".
Je suis comme toi : mon dernier Rougon-Macquart datait de l'été 2014 ! Ce n'est pas étonnant que ça me démangeait d'y revenir ! J'espère que "Nana" t'emballera autant que moi :)
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