Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10/03/2014

L'Assommoir d'Emile Zola

L'Assommoir-Emile-Zola-7.jpg
L'Assommoir d’Émile Zola, Le livre de poche, 1983 [1877], 491p. (+30p. de notes pour la présente édition)

 

Henri_de_Toulouse-Lautrec_018.jpgGervaise a le malheur d'être née Macquart, cette branche bâtarde issue de l'ancêtre Adelaïde à qui l'on doit tous les personnages de la saga zolienne. Elle porte le vice héréditaire sur sa jambe boiteuse et l'alcool coule depuis toujours dans ses veines, tant ses parents aimaient la goutte et l'anisette. Pourtant, Gervaise est aimable comme tout, ronde et rose comme une fleur et travailleuse avec ça. Lorsque cette fripouille de Lantier la délaisse en plein Paris, avec deux enfants sur les bras, pour aller courir le jupon et une meilleure fortune, Gervaise se démène comme un diable à la blanchisserie de madame Fauconnier et assure son train-train. "On ne m'y reprendra plus" dit-elle en parlant des hommes et de leurs belles promesses. Pourtant, Coupeau se montre bien gentil, lui fait une cour comme il faut et ne boit pas. Ça, non ! Le père Coupeau s'est cassé le cou en tombant d'un ouvrage un jour de grosse culotte, on ne risque pas de le prendre à faire pareil ! Gervaise finit donc par céder et se remet en ménage. Elle se marie même cette fois-ci (et la noce de crapahuter au Louvre avec des yeux ronds). Si la vie semble tourner joliment, c'est pour mieux dégringoler. La faiblesse de Coupeau pour la boisson, qu'il a lui aussi dans les veines, finit par le rattraper. Du vin, il tombe à la gnôle que le père Colombe distille dans son alambic aux allures de monstre infernal. La faiblesse de Gervaise pour la gourmandise et la paresse la pousse à des complaisances de plus en plus délétères. Pour ne pas embêter son monde, pour ne pas être embêtée, elle tolère d'abord beaucoup puis tout et n'importe quoi. Dans ce torrent, la boutique de Gervaise, l'argent, les maigres espoirs fondent et c'est tout une boue qui finit par engluer le ménage. Plus on s'encrotte et moins on a l'envie d'en sortir. Coupeau ne travaille plus depuis longtemps et part régulièrement à Saint-Anne se retaper après une crise de delirium tremens. Gervaise salope tous ses ouvrages, finit par être mise dehors de partout. Au fond, une goutte n'a jamais fait de mal à personne alors à quoi bon s'en priver ? Quitte à boire l'argent du ménage, autant le boire à deux. De toutes façons, Gervaise n'a plus qu'une paillasse sous un escalier. Gervaise n'est déjà plus grand chose. La tragédie héréditaire l'a rattrapée.

 

Évidemment, le naturalisme de Zola est impressionnant. Dans le quartier noir de la Goutte d'Or, si joliment choisi, c'est tout le monde ouvrier qui se met en branle. On croise tantôt une fleuriste, un forgeron, une dentelière, un sergent de ville, des concierges, des ouvriers en chambre, un serrurier, un croque-mort et tout ce petit monde s'agite dans la ruche de Paris ; une ruche crasseuse, où règne la promiscuité, mais qui se refait tranquillement une beauté en ouvrant les boulevards. Et quoi de mieux pour faire parler le peuple que d'user de sa propre langue ? Pour sûr, il fallait oser, il fallait bien s'appeler Zola, pour cravacher la littérature à coup d'oralité et de jurons bien tapés ! On comprend mieux les quelques critiques salées qui ont pu fleurir à la parution du roman en 1877. En attendant, ces petites langues précieuses rabattues, ce procédé audacieux donne à chaque page une vie explosive. Non, L'Assommoir "ne porte pas bien son nom" comme je l'entends si souvent ironiquement. L'Assommoir est vibrant, à chaque page.

Pour schématiser honteusement, le projet romanesque de Zola dans ce volume était de démontrer les ravages de l'alcool dans le milieu ouvrier, de concert avec sa théorie déterministe héréditaire. En d'autres mots, tous les personnages sont peu ou prou les deux pieds dans la goutte mais ceux qui s'y roulent carrément jusqu'à la déchéance sont ceux qui en avaient déjà quelques antécédents fâcheux. Oh oui, on lit tout cela dans L'Assommoir. Mais, on ne va pas se mentir : ce n'est pas ce pseudo-côté scientifique qui le rend génial.

blanchisseuse.jpgCe qui est fabuleux chez Zola, ici comme dans tous ses autres romans, c'est qu'aussi naturaliste soit-il, il est 100 fois plus que ça. Son naturalisme dépasse les bornes d'une stricte obédience à une logique scientifique et à l'observation documentaire. Son naturalisme se fait mythe, se fait grandiloquence, et parvient comme l'a jadis fait le Romantisme avant lui, à créer toute une gamme d'émotions puissantes. Nous ne sommes pas dans la dissection mais dans la passion perpétuelle ! Zola n'a rien du naturalisme un peu froid, un peu pince sans rire de son comparse Maupassant. Bien au contraire, comme le fait si bien l'alambic, il allume les flammes, déchaîne les passions, et rend le lecteur tout essoufflé de toutes ses impressions qu'il provoque. Comment, en effet, ne pas ressentir une sympathie dévorante pour Gervaise, cette pauvre petite bonne femme si gentille qui s'enlise inexorablement ? On a bien souvent envie de la cajoler ou de lui secouer les puces. Et puis ses fripons de Lorilleux ou de Lantier, ils mériteraient bien quelques tannées bien senties. Enfin, on se surprend à aimer ou détester les personnages de Zola comme si on les connaissait.

Le recours au naturalisme grandiloquent a bien son pendant : un bon petit manichéisme de derrière les fagots, l'air de rien, point le bout de son museau. A l'exception des personnages principaux, la plupart des autres s'apparentent surtout à des "types", chargés de broder la toile du quartier ouvrier parisien comme il faut ou simplement de relancer le récit. Il faut bien quelques travers. Celui qui peine le plus le lecteur est sans doute cet indécrottable pessimisme. Vous pouvez courir pour trouver chez Zola quelque chose qui éclaire in extremis le chemin. Non, il est tracé d'avance, c'est comme ça. C'est bien la fatalité tragique. Mais que voulez-vous, avec Zola, je suis aussi faible que Gervaise et je lui pardonne tout. Je deviens toute rose et complaisante à son endroit. D'ailleurs, je suis déjà en manque de cette petite goutte littéraire bien savoureuse et je me demande si je ne vais pas m'enfiler cul-sec un autre Rougon-Macquart pour la peine...

 

(Illustration 1 : La blanchisseuse de Toulouse Lautrec, 1888 ; illustration 2 : Les blanchisseuses de Degas, 1874)

 

Lu en lecture commune avec Charline douce dont je vais lire immédiatement le billet !

 

Challenge XIX.jpgChallenge XIXeme chez Fanny

4eme lecture

 

 

 

Challenge Rougon Marcquart.jpgChallenge Rougon Macquart chez Lili Galipette

14eme lecture

 

 

 

challenge melange des genres.jpgChallenge Le mélange des genres chez Miss Léo

1ere lecture pour le XIXeme siècle dans la catégorie "Classique français"

iframe src="http://www.facebook.com/plugins/like.php?href=http%3A%2F%2Flapetitemarchandedeprose.hautetfort.com%2Farchive%2F2014%2F03%2F03%2Fl-assommoir-d-emile-zola-5299389.html&layout=button_count&show_faces=false&width=50&action=like&colorscheme=light" scrolling="no" frameborder="0" allowTransparency="true" style="border:none; overflow:hidden; height:30px">

Commentaires

Il est vraiment super ton billet ! Tu fais bien d'insister sur ce qui dépasse le naturalisme chez Zola, sur le côté vibrant de chaque page et de son style.. je ne l'ai pas assez fait. Pareil, je m'enfilerais bien cul-sec un nouveau Rougon-Macquart ! Merci pour cette LC :)

Écrit par : Charline | 10/03/2014

Merci ma douce, et merci également pour cette lecture commune ! Du côté, comme tu sais, je n'ai pas trainé : j'ai effectivement avalé cul-sec un nouveau Rougon-Macquart ^^ Quelque chose me dit qu'un troisième suivra dans les prochaines semaines héhé ! Je suis d'humeur à poursuivre dans son univers et son écriture.

Écrit par : Lili | 10/03/2014

Je l'ai lu il y a très longtemps et j'avais beaucoup aimé ce volume des Rougon-Macquart, il faudrait d'ailleurs que je me plonge à nouveau dans la lecture de Zola mais ce ne sera pas pour tout de suite, par manque de temps, bien que ton billet donne envie !

Écrit par : Bianca | 10/03/2014

Bizarrement, je lis souvent plus vite un volume de Zola que n'importe quel autre bouquin (c'est le cas du roman contemporain que je trainasse en ce moment alors que je le trouve passionnant). Je trouve qu'il se lit de manière très fluide. Mais je comprends qu'il faille sentir la motivation de s'y attaquer : c'est le genre de classiques dont on sait qu'il nous durera plus de quelques jours ^^

Écrit par : Lili | 10/03/2014

Lu à 17 ans, j'ai été traumatisée, certaines scènes sont encore vivaces dans ma mémoire !

Écrit par : Manu | 10/03/2014

Ce n'est effectivement pas un roman très drôle... Je comprends qu'il t'ait marqué ! Je l'ai également lu à 17 ans et en le relisant, je me suis rendue compte que je m'en souvenais encore très bien...

Écrit par : Lili | 11/03/2014

J'adore Zola, et celui-ci reste assurément l'un de mes préférés ! J'ai d'ailleurs bien envie de le relire, mais il faut aussi que je découvre les quelques Rougon-Macquart que je n'ai pas encore lus...

Écrit par : Miss Léo | 11/03/2014

C'est aussi ce que je me dis ! Du coup, j'ai enchaîné avec un titre que je n'avais pas encore lu. A l'heure actuelle, il m'en reste encore 5 à découvrir mais je les thésaurise un peu : je vais être triste quand j'aurai fini toute la saga !

Écrit par : Lili | 11/03/2014

Et voilà comment on tombe dans l'alcoolisme littéraire! En lisant Zola! Je suis bien d'accord avec toi : le naturalisme a de sacrés faiblesses mais le talent de Zola les fait oublier!
Le seul roman qui soit un peu optimiste est Au bonheur des dames où le patron épouse l'employée par amour! C'est rare, non? A condition de ne pas savoir ce que devient le couple plus tard!!
Quant à moi, je préfère tout de même Germinal à l'Assommoir.

Écrit par : claudialucia ma librairie | 11/03/2014

L'alcoolisme littéraire ! C'est exactement ça ClaudiaLucia, tu as tout compris !
C'est vrai, "Au bonheur des dames" se finit sur une note plus optimiste. Que devient le couple plus tard ? Serait-ce dans un des 5 volumes que je n'ai pas encore lus ? ^^

Écrit par : Lili | 11/03/2014

Ca y est, je m'enfile un nouveau Rougon-Macquart cul sec dès ce soir : je viens de rentrer des courses avec "Nana" dans mon sac, youhouuu ! :D

Écrit par : Charline | 11/03/2014

Ah ouiiii, Nana : excellent choix !!! Je l'avais dévoré !! J'espère qu'il t'emballera autant que moi :)

Écrit par : Lili | 11/03/2014

Un billet qui donne assurément envie de découvrir ce livre.
J'en ai trois de Zola dans ma PAL pour cette année (Le ventre de Paris, Nana et Au bonheur des Dames), j'espère arriver à tous les lire. Celui-ci va assurément les rejoindre.

Écrit par : Soie | 16/04/2014

Excellent choix, Soie, ces trois titres sont également géniaux ! J'espère qu'ils te plairont !

Écrit par : Lili | 16/04/2014

Ce n'est pas mon Zola préféré, je préfère ceux qui ont un arrière-fond politique comme la fortune des Rougon. Cependant, je suis une admiratrice inconditionnelle du style de Zola même si ses théories sont fausses !

Écrit par : maggie | 23/04/2014

Pour ma part, c'est l'amour qui me botte moins chez Zola, après qu'il s'agisse de misère sociale ou de politique, je suis friande. Comme toi, j'ai adoré La fortune des Rougon !

Écrit par : Lili | 23/04/2014

Je vous applaudis pour votre exercice. c'est un vrai charge d'écriture. Développez

Écrit par : serrurier paris 17 | 21/07/2014

Je vous vante pour votre éditorial. c'est un vrai boulot d'écriture. Développez .

Écrit par : cliquez ici | 12/08/2014

Les commentaires sont fermés.