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31/10/2014

Dracula de Bram Stoker (et de quelques autres)

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Dracula de Bram Stoker, Babel, 2001 [1897], 603p.

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Par une nuit sordide, gonflée à bloc de hurlements terrifiants, Jonathan Harker débarque mi-figue mi-raisin au château du comte Dracula. Le lieu est désert, le comte le dévore des yeux, et la pénombre n'arrange rien à l'affaire. Harker s'accroche tant bien que mal à la nécessité de finaliser sa vente immobilière mais toute quiétude se fait sérieusement la malle lorsqu'il croise trois délicieuses créatures affamées au détour d'un couloir. Les jours passent et la folie prend le dessus. Que penser d'un comte qui emprisonne son propre invité, grimpe aux murs de son château, à mi-chemin entre la hyène et l'araignée, et sert à ses créatures quelque enfant à dîner ? On se ferait des cheveux blancs pour moins que ça. Harker n'a pas d'autre choix que d'écrire de fausses lettres à Mina, sa promise, en attendant de retrouver la civilisation selon le bon vouloir de Dracula.

De son côté, Mina observe son amie Lucy perdre pied, elle aussi. D'étranges crises de somnambulisme l'emmènent loin dans la nuit sombre et la laissent de plus en plus exsangue. Puisque le docteur Seward ne trouve aucun remède, c'est au professeur Van Helsing de se lancer à son chevet. A défaut de la guérir - en a-t-il vraiment été question ?- il entreprend de tout faire pour qu'elle ne continue pas à vivre. Car c'est à lui que revient la fameuse sentence après le dernier souffle de Lucy : "Tout commence à présent !"

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Si l'on ne présente plus le roman, il semble que le personnage éponyme soit plus méconnu qu'on ne pourrait l'imaginer. Lors d'une récente discussion, j'ai encore constaté que pour beaucoup, Dracula incarne l'alliance parfaite du diabolique et du romantique. Or, point de romantisme du tout chez Bram Stoker. Dans ce passionnant roman, fait de mille voix narratives, de sang et de pleine lune, Dracula est un vieux bougre plutôt hideux - le gars a quand même des doigts griffus, des sourcils épais et hirsutes et la figure livide et ridée d'un cadavre. Autant dire qu'on en ferait pas son quatre heures. En outre, il n'est ni question d'une transformation par amour, ni de la poursuite de sa défunte femme à travers les âges. Dracula se fiche bien de la gente féminine, à moins qu'il ne puisse s'y désaltérer. S'il poursuit bien Mina chez Stoker, c'est pour mieux la dévorer. Son petit discours lors de la transformation de Mina est d'ailleurs plein de violence, de bile et d'injonctions. Il veut l'asservir et s'en délecter, un point c'est tout. Entendons-nous bien, chez Bram Stoker, Dracula est l'allégorie d'une émulation délétère à l'encontre de l'ordre établi de l'époque. Il n'y a pas l'once d'une évocation positive sous le manteau, uniquement la construction d'un mal absolu à figure presque humaine que la machine victorienne - le scientifique, le notaire, l'homme valeureux et amoureux, la femme pure et délicate - doit combattre pour que triomphe et perdure le pouvoir en place. Concrètement, Dracula de Bram Stoker, c'est le manichéisme en culotte de velours.

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Mais alors, voyons, d'où vient le Dracula qu'on aurait presque envie de bisouiller sous la couette ? Il faut dire qu'au cours du XXème siècle, le visage de Dracula a bien évolué. Si Murnau était resté assez fidèle à la description de Stoker, la magistrale interprétation de Bela Lugosi en 1931 oriente ni vu ni connu j't'embrouille l'image canonique de Dracula vers un belâtre dans la force de l'âge, à l'élégance gominée jusqu'au bout de la cape. Il faut reconnaître à Coppola un retour aux sources quant à la figure rabougrie de Dracula. On a beau se demander ce qu'il a fumé la première fois qu'on le voit, Coppola est plus dans le vrai que Tod Browning à ce niveau-là.
Quant à la personnalité du protagoniste, convenons ensemble que le vampire de manière générale se renouvelle grandement à partir des années 70 et des romans d'Anne Rice, entre autres. Avec Entretien avec un vampire, celui qui était jadis un monstre sans autre forme de procès, devient un être complexe à qui l'on reconnaît le poids d'une âme antédiluvienne. Le vampire peut dès lors inspirer et ressentir pitié et affection. Le coup de grâce est envoyé par Coppola en faisant de son Dracula l'incarnation de l'amour éternel : Love never dies, tout ça, tout ça. Cette réécriture totale du mythe de Dracula est passée comme une lettre à la poste tant le réalisateur a, par ailleurs, adapté avec une scrupuleuse attention tout le bouquin de Stoker. Il nous a hypnotisé, l'air de rien, afin de masquer sous les allures de la transposition ultra fidèle - n'a-t-il pas titré son film Bram Stoker's Dracula ? - la transformation de celui qui était jadis l'allégorie du changement à abattre vers l'allégorie du changement à souhaiter - le souffle des valeurs terriblement humaines et sentimentales contre la machine nécrosée du conformisme puritain. On pourrait ajouter que le film se situe pile à l'époque de l'explosion médiatique du sida mais je vous passerai toutes les analogies qu'on pourrait faire à ce sujet parce qu'on y serait encore là demain matin (or, manque de bol, on ne serait plus dans les clous d'Halloween).

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Si on y réfléchit bien, là on a tendance à parler du cliché du vampire, on a plutôt affaire à un mythe incroyablement complexe. Il est suffisamment imprégné dans notre culture pour ne jamais mourir et a su renouveler ses visages pour expliquer la société différemment selon les époques. Il a offert à nombre de cinéastes, de graphistes, de publicitaires et j'en passe, de quoi s'amuser d'une pincée de fantastique le temps d'1h45. Il a su susciter quelques débats passionnants et néanmoins éthyliques de fin de soirée pour savoir si l'immortalité serait ou non la fête du slip. En fin de compte, Dracula, c'est un peu un artichaut. On a jamais fini de le déguster tout à fait tant il y a à effeuiller, et en plus, c'est pas mauvais. C'est fin, c'est très fin, ça se mange sans fin.

 

challenge-des-100-livres-chez-bianca.jpgchallenge-un-pave-par-mois.jpgUn doublé halloweenesque chez Bianca avec une 16eme participation aux 100 livres à avoir lus et une 2eme participation pour octobre au challenge un pavé par mois

 

 

 

Challenge XIX.jpgEt une 8eme participation au challenge XIXème chez Fanny