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01/12/2015

Mā de Hubert Haddad

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de Hubert Haddad, Zulma, 2015, 246p.

"La marche à pied mène au paradis ; il n'y a pas d'autre moyen d'y parvenir, mais il faut marcher longtemps. Avant d'en connaître l'épreuve, je fréquentais assidûment un des bars lilliputiens de la plus étroite des ruelles de Golden Gai, dans la zone est de Tokyo, à proximité de Kabukicho ; les touristes occidentaux, en file indienne sur les chaussées, aiment y retrouver l'ambiance des vieux films de l'après-guerre, au temps de l'occupation américaine. La pègre voisine n'encombre qu'incidemment les Six Ruelles, même si les filles et les noceurs de Kabukicho s'y égarent à l'occasion. Carré de baraques joliment décorées en plein coeur de Shinjuku, Golden Gai est un bout de quartier plutôt tranquille fréquenté par les ronds-de-cuir et les représentants de commerce solitaires habitués des hôtels capsules, quelques cérébraux, des originaux mélancoliques, poètes et barbouilleurs, toute cette bohème noctambule des comptoirs." p.9

coup de coeur.jpg, quel étrange titre pour les européens que nous sommes ! A la fois plein de mystère et vaguement ridicule, ce simple kanji dit pourtant tout l'espace qui relie les éléments du monde dans une harmonie imperceptible. Au fil des pages, à l'image de ce titre taoïste, Hubert Haddad raconte une magnifique histoire de reliance éminemment poétique.
En des époques différentes, deux Shōichi prennent la route. L'un porte en lui la blessure profonde du suicide de sa mère qu'il noie de poésie et de saké. Après quelques tentatives pour vivre sédentaire, c'est dans la marche que ce Shōichi là, devenu Santōka par la magie des pseudonymes littéraires, découvre comment vivre l'instant présent. Entre les pas, Santōka envoie ces haïkus au vent, à la lune et à son éditeur. C'est ainsi qu'on le connait plus d'un siècle après son existence solitaire.
C'est ainsi que Saori lui voue une admiration sans borne. Elle, la quadragénaire fraîchement divorcée qui lui dédie une biographie fouillée dans laquelle elle se permet d'intervenir. Elle, qui se pique d'un jeune serveur sous prétexte qu'il lui ressemble comme deux gouttes d'eau. Cet autre
Shōichi portera à son tour une blessure : celle de trop aimer Saori qui s'en moque, au fond, et qui disparaît subitement. Laissé seul, désemparé, sans repère, c'est encore une fois la mort qui précipite le malheureusement dans l'errance sans fin. Shōichi choisit malgré lui d'aimer Saori jusqu'au bout en devenant celui qui l'a fasciné : un bougre vagabond.

"Le voyageur, après combien de haltes où nul ne l'espère, se dissout à la fin aux boucles du voyage sans rien avoir appris des espaces. On marche si longtemps, des années, pour oublier ; on pourrait très bien mourir à chaque pas, c'est pour ça qu'on avance. Il faut savoir s'arrêter n'importe où, à n'importe quel moment, et prendre avec délicatesse le pouls de l'impermanence. Si les saisons et les jours sont les enfants du temps, chaque instant est un temple." p. 69

 

Un nouveau roman "japonais" de Hubert Haddad, c'est un appel délicieux que je ne pouvais pas manquer. J'avais encore des impressions très douces de son Peintre d'éventail, sans doute l'un de mes plus agréables souvenirs récents de lecture. Je ne m'attendais à rien, pourtant, de ce nouveau titre, par peur d'être déçue. Et puis, dès la première page, je retrouve ce même souffle fabuleux qui me transporte. Je découvre à quel point j'aime Hubert Haddad, à quel point je le trouve inspiré, précieux dans le style mais juste dans la perception de l'esprit Zen, aérien et subtil, tout en volutes. Il faut dire que je suis sensible à l'esprit japonais suranné et spirituel qu'il évoque à travers la vie dépouillée de Santōka. D'aucuns pourront parler de clichés qui ne reflètent plus le Japon contemporain. Mais j'aime ce Japon qui subsiste malgré tout dans tout le quotidien du pays et Haddad le livre avec une telle poésie que j'en voudrais bien des clichés tous les jours.

Mā, c'est un roman qui peine à se décrire ; c'est avant tout un esprit qui circule entre les êtres et appelle à concevoir les années qui séparent, la mort ou le désamour, comme autant de cordes invisibles qui maintiennent au contraire tous en un même cercle. C'est le roman des destinées oubliées, qui se sont toujours tracées en marge des douleurs et des lumières aveuglantes. nous raconte avec un sacré talent comment la simplicité peut être source du sublime. 

"Les années passent, semblables aux lanternes célestes qui se dispersent très haut et s'éteignent parmi les étoiles. Le passé n'est passé de rien, le futur nous effleure à peine, et tout se résorbe dans l'instant présent." p. 104

 

Challenge pépites.jpgEt une sacrée pépite pour le non-challenge 2015-2016 de Galéa, une !