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25/07/2016

Aziyadé de Pierre Loti

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Aziyadé de Pierre Loti, 1879
Lecture numérique

 

Aziyadé Frederick_arthur_bridgeman-harem_fountain.jpgL'Orient est décidément le territoire de tous les fantasmes au XIXème siècle, mélange d'exotisme, de sensualité et de violence. Il y a quelque chose d'hypnotique dans l'Orient déformé de les auteurs de ce siècle romantique !
Il y a évidemment de cela dans l'Aziyadé de Pierre Loti qui raconte l'amour passionnel, fulgurant, improbable entre Loti, un officier de marine anglais et la fameuse Aziyadé, toute jeune femme murée dans son harem. Leur rencontre se fait à travers les barreaux qui scellent son appartement puis, sans se parler puisqu'une langue les sépare, ils se rencontrent nuitamment, à la faveur des absences de l'époux d'Aziyadé. Ils se suivent ainsi de Salonique à Stamboul (les noms de villes aussi ont quelque chose d'exotique, n'est-ce pas ?) et vivent à la faveur d'un petit appartement camouflé de feuillages, Loti déguisé en autochtone, et grâce au concours de Samuel, Achmet, ou Kadidja.
Mais c'est trop beau, cela ne peut durer. Loti se fait rappeler par son pays un beau jour de mai 1877. Il n'a que quelques jours avant le départ et malgré des hésitations, il ne peut se résoudre à rester en Turquie. Il laisse Aziyadé qui jure de ne pas pouvoir lui survivre. Le conte oriental prend alors des accents de tragédie shakesperienne.


Aziyadé parle peu ; elle sourit souvent, mais ne rit jamais ; son pas ne fait aucun bruit ; ses mouvements sont souple, ondoyants, tranquilles, et ne s’entendent pas ; C’est bien là cette petite personne mystérieuse, qui le plus souvent s’évanouit quand paraît le jour, et que la nuit ramène ensuite, à l’heure des djinns et des fantômes.

Le plus frappant, dès lors qu'on entame la lecture, est la forme choisie par Pierre Loti. C'est une succession de courts chapitres, qu'on peut qualifier de fragments, qui développent sous forme de journal et de lettres une histoire qui commence immédiatement, sans préambule. Loti arrive à Salonique, décide de se promener en tenue traditionnelle par défi, ennui ou désinvolture, on ne sait trop - pour se divertir tout du moins -, croise les yeux d'Aziyadé et nous voilà dans le vif du sujet. Point de longue mise en place de la situation, du décor, des personnages. Tout est déjà là, en quelques chapitres d'une quinzaine de lignes chacun. C'est progressivement, à mesure que l'histoire se nourrit et, particulièrement, dès lors qu'elle est sise à Istanbul, que l'environnement historique, politique et quotidien de la vie turque fleurit et prend de l'ampleur en écho à l'épanouissement de la relation entre Loti et Aziyadé. Les chapitres s'étoffent et l'on découvre une vie éminemment exotique et chatoyante. Je ne l'ai pourtant pas trouvé si fantasmée que ça et il semble que Pierre Loti ait été un observateur pertinent du tournant vers la constitution turque en 1876 et du début de la guerre russo-turque en 1877.

Par ailleurs, on sent l'esprit fin de siècle gagner le personnage de Loti. Il n'a plus rien de l'exaltation pleine d'espoir, parfois poussive, du personnage romantique. Il se révèle au contraire pétri de contradictions, de questionnements et, surtout, d'une sorte d'impossibilité de vivre le sentiment jusqu'au bout, trop empêtré dans une langueur sourde. Quelque chose de l'esprit déjà blasé, à moitié consumé, qui semble avoir déjà trop vécu pour son jeune âge. Loti apparaît comme le miroir inversé d'Aziyadé, d'une grande naïveté et d'une pureté de sentiments dénuée de calcul. Leur rencontre, tout comme leur relation est improbable. On ne sait comment cela tient, si ce n'est par une magie proche du conte, qui nous embarque dans les rues odorantes, bruyantes, voilées d'une Turquie lointaine, qui n'a peut-être jamais existé.

Il n'y a pas de Dieu, il n'y a pas de morale, rien n'existe de tout ce qu'on nous a enseigné à respecter; il y a une vie qui passe, à laquelle il est logique de demander le plus de jouissance possible, en attendant l'épouvante finale qui est la mort.
 

 En somme, ce fut un beau voyage (comme dirait Du Bellay)

Image : La fontaine du Harem, Frederick Arthur Bridgman, 1875

09/07/2016

Harry Potter et le prince de sang-mêlé de J.K.Rowling

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Harry Potter et le prince de sang-mêlé de J.K.Rowling, Folio Junior, 2006, 747p.

 

coup de coeur.jpgJe vais être franche : j'avais pas senti venir le coup de cœur ! J'avais apprécié les précédents tomes de la série, soit, mais avec un certain recul tout de même. D'ailleurs, à la fin du tome 5, j'ai eu besoin de prendre un peu de distance avec les grosses longueurs qui avaient fini par me peser - oui parce que ma lecture de L'Ordre du phénix date en fait du mois d'avril. Du coup, j'ai lu autre chose, peu de romans ado et peu de fantasy/SF (Un seul en fait, qui souffre aussi de grosses longueurs. Serait-ce un dommage collatéral de ce genre romanesque de diluer sans fin des épisodes qui ne servent à rien ?!).
Et puis, la fin de l'année scolaire arrivant, l'envie de se détendre le citron est arrivée de concert. C'est dans cette optique que j'ai empoigné le tome 6 de Potter...

Et j'ai adoré ! Soit que la série gagne à ne pas enchaîner les tomes, soit que ce celui-là est vraiment bon, je ne saurais le dire. Quoiqu'il en soit, J.K.Rowling laisse définitivement derrière elle les ressorts qui balisaient jusqu'ici les premiers tomes et introduit le récit par une entrevue hilarante entre les deux Premiers Ministres anglais, l'un beaucoup moins sûr que l'autre, et l'autre plus si ministre que ça. Ça pose d'emblée le décor avec une juste subtilité, de même que le second chapitre qui offrira à mille suppositions de trotter dans l'esprit du lecteur tout au long de cette sixième aventure.
Objectivement, celle-ci est d'ailleurs très mince. L'auteure a choisi de situer l'action sur le plan de l'introspection et du savoir - c'est une quête de connaissance/d'être qui prévaut sur une quête de possessions/d'avoir ou plutôt qui sera nécessaire à la quête de possessions comme nous le comprendront au fur et à mesure du récit et comme le tome 7 en sera la pleine concrétisation. En ce sens, puisque je suis dans la lecture du tome 7 en ce moment, j'ai vraiment l'impression que l'un et l'autre fonctionnent comme les deux facettes d'une même médaille dans la grande quête qu'est la destruction de Voldemort. L'Ordre du phénix n'était finalement que l'apéro (malgré ses plus de 1000 pages) !

Du coup, au lieu de grands combats, de bêtes monstrueuses ou de rebondissements de fou, on a droit à une recherche progressive sur le passé de Voldemort ; qui amène conséquemment Harry à prendre une autre étoffe par la confiance que lui offre Dumbledore et son implication active et "officielle" dans ses recherches. Je suis décidément impressionnée par cette capacité si juste de l'auteure à rendre l'évolution de l'adolescence. Ici, Harry est dans sa dix-septième année et atteint doucement la maturité adulte en prenant conscience, notamment, qu'il y a une différence entre subir son destin et le choisir (quelle justesse de Rowling sur ce coup-là !). Ce qui ne l'empêche pas, par ailleurs, de continuer à réagir comme un vrai capricieux qui se respecte : bref, c'est nuancé et c'est très bien !
Et étonnamment, alors qu'il y a beaucoup moins d'action, il y a beaucoup moins de longueurs. Chaque phénomène du quotidien trouve un écho dans les phénomènes suivants et chaque chapitre fonctionne comme une pièce nécessaire du puzzle. Enfin ! Que c'est plaisant d'avoir cette sensation lors de la lecture ! Je n'en pouvais plus de lire telle ou telle considération sur le quotidien de Poudlard pour des cacahuètes !

Ce qui nous amène au film, que je me suis empressée de regarder et, comme c'était prévisible, ma déception a été à la hauteur du coup de cœur que j'avais eu pour le roman. Toutes les scènes qui fonctionnaient précisément comme liens entre les gros temps forts du récit - en ce sens, qui étaient donc cruciales - ont été supprimées. Résultat : le film ressemble à une suite décousue de scènes sans couture. La quête du savoir, le passage à l'âge adulte : tout ça passe à la trappe. Il n'y a grosso modo rien à sauver du film qui est un déchet intersidéral.

En attendant, je retourne à ma lecture du septième et dernier tome ! C'est déjà presque fini raaaaah ! La suite au prochain numéro !

 

Challenge a year in England.jpgChallenge A Year in England chez Titine

11ème participation

 

 

 

 

challenge-un-pave-par-mois.jpgChallenge un pavé par mois chez Bianca

2ème participation de Juillet 2016

08/07/2016

Rendez-vous poétique avec Yves Bonnefoy et Anselm Kiefer

En apprenant la mort d'Yves Bonnefoy voici quelques jours, j'ai réalisé que je ne le connaissais que peu. Je croyais le connaître en ayant croisé l'un ou l'autre de ses textes au hasard de mes études ou en l'ayant entendu lors d'une conférence. Au fond, tout cela restait très superficiel. Aussi, considérant que la mort n'est jamais que le commencement d'autre chose, je me suis dit que c'était l'occasion de partir enfin à sa rencontre. Je me heurtai alors à la pierre qui revient comme une litanie monolithe à laquelle se confrontent toutes nos intentions vivantes. Paroi pauvre, impénétrable, nue par excellence, nos existences s'y déchirent et, dans ce déchirement, éprouvent ce que c'est que mourir, c'est-à-dire ce que c'est que vivre. La pierre : ce livre irréductible sur lequel s'écrit notre humanité imparfaite, lumineuse.

 

UNE PIERRE

Les livres, ce qu'il déchira
La page dévastée, mais la lumière
Sur la page, l'accroissement de la lumière,
Il comprit qu'il redevenait la page blanche

Il sortit. La figure du monde, déchirée
Lui parut d'une beauté autre, plus humaine,
La main du ciel cherchait la sienne parmi des ombres,
La pierre, où vous voyez que son nom s'efface
S'entrouvrait, se faisait une parole

In Les planches courbes, Gallimard Poésie, 2005, p. 39

 

Anselm Kiefer Livre 2.jpg

Sculpture d'Anselm Kiefer

Photo issue de son exposition à la BnF, "L'alchimie du livre"